Puristes, & ne hasarderoient pas le moindre mot, quand il
devroit faire le plus bel effet du monde. Rien d’heureux ne leur échape,
rien ne coule de source & avec liberté ; ils parlent proprement,
mais ennuyeusement. »
Cette réflexion est de
Puristes qu’il dépeint si bien,
sont de certains Esprits subalternes, qui n’ayant pas la force de penser
bien & de raisonner juste, se bornent à parler exactement. Connoître
à fond les régles les moins importantes de la Grammaire, c’est leur
mérite ; & s’y asujettir servilement, leur tient lieu de gloire
, , , & François. Ils en
savent la naissance, les progrès, l’établissement, & la ruïne.
Je leur passerois leur petitesse d’esprit, s’ils ne sortoient pas de la sphére de leur habileté, pour censurer avec une hauteur pédantesque, ceux dont l’ame a plus d’élevation, & qui s’efforcent plus à asservir leur génie à une exacte Raison, qu’à l’empire des Grammairiens.
S’ils examinent un Ouvrage, ne pensez pas que la beauté de votre
imagination, la justesse de vos pensées, & la netteté de votre
méthode, puissent leur donner quelque satisfaction ; c’est bien à ces
minuties-la qu’ils songent. Voici un mot qui commence à vieillir, vous
diront-ils : il a beau exprimer mieux que tout autre ce que vous pensez,
point de quartier, il faut le remplacer par un terme qui soit plus à la
mode, & qui signifie moins. Cette période est trop longue, il en
faut faire trois ; qu’importe qu’elle contienne une pensée qu’on ne
sauroit démembrer sans l’affoiblir ; il en faut faire trois, & les
droits de l’oreille doivent l’emporter sur
On sort d’un Sermon dont tout le monde est satisfait ; le peuple le
trouve admirable, merveilleux, divin ; il paroit au Philosophe, clair,
raisonné, méthodique ; ceux qui fréquentent les Eglises comme ils vont
voir les Spectacles, s’y sont bien divertis ; plusieurs en reviennent
convaincus, d’autres touchés & quelques-uns meilleurs. Pour le
Grammairien, il rentre chez lui sans nouvelles lumiéres dans l’esprit,
sans mouvemens dans le cœur, & sans satisfaction dans l’ame. Eh ! le
moyen qu’il puisse goûter un pareil Prédicateur ! Il a dit Crucifixion au-lieu de crucifiement.
Je n’aprouve pas d’un autre côté la liberté licentieuse de certains
Esprits bisarres, qui sans avoir égard au génie de la Langue, se livrent
à une imagination échauffée, n’emploient pas un mot dans son usage
ordinaire, & se font ainsi un jargon particulier. On les écoute
longtems sans les entendre, & trouvant enfin la clé de leurs
phrases, on comprend qu’ils viennent de la promenade,
& qu’ils vont jouer une partie d’Hombre. Ils ne sauroient
se résoudre à parler comme les autres hommes, & ils emploient la
métaphore pour vous demander des nouvelles de votre santé.
Je veux, dans la maniére de s’exprimer, une liberté qui n’aille pas
jusqu’au liberti-
C’est à cette sage hardiesse que les grands Hommes doivent les beautés
les plus neuves de leurs Ouvrages, & que sur-tout
Soupirer quelque chose ne se dit pas en bonne
Grammaire ; soupirer des Vers, cependant, exprime
dans la derniére perfection, le caractére de tendresse naïve qui est
particulier aux Vers de soupirer des Vers
dit autant qu’une période entiére. On ne l’avoit point employé de cette
maniére avant
Cependant le grand nom de
De Puriste à l’Académie
Françoise la transition me paroit assez naturelle. Bien des Françoise comme les
autres ? & ce dépôt ne pourroit-il pas s’altérer entre leurs
mains ?
On croit encore que la Langue ne sauroit changer qu’à son désavantage,
& qu’elle est dans un point de perfection où il faut la laisser
absolument. On étoit persuadé de la même chose du tems de Romains ; sans
convenir qu’ils sont infiniment supérieurs aux plus habiles Historiens
François.
On en donne une raison dont la solidité est très sensible, mais qui
regarde tous les Historiens modernes, & non pas les François en particulier.
Il faut une capacité très étendue pour bien écrire l’Histoire. Il faut
connoître les Loix des Peuples dont on décrit les actions Il faut savoir
démêler les principe de ces actions,
Chez nous l’Homme de Robe a étudié les Loix, le Ministre d’Etat entend la
Politique ; le Général sait gagner des batailles, ou trouver des
ressources dans une retraite ; & rarement notre capacité
passe-t-elle les bornes de notre profession. Il n’en étoit pas ainsi des
Romains, sur-tout quand ils étoient d’une
famille illustre. Ils partageoient leur premiére jeunesse entre les
Etudes & les Exercices ; & ayant formé de cette maniére leur
Corps & leur esprit, ils étoient obligés de faire un certain nombre
de Campagnes, & de passer par toutes les Charges militaires avant
que de parvenir aux prémiéres Dignités de la République. Ces Dignités,
ou leur naissance, leur donnoient entrée au Sénat, & leur
procuroient l’occasion de pénétrer dans tous les secrets du
Gouvernement, & de connoître parfaitement les Loix fondamentales de
l’Etat. Souvent encore, reçus dans un Collège de Pontifes, ils
ajoutoient à toutes ces connoissances, celle d’une Religion purement
politique, par laquelle mettant à profit la crédulité du Peuple, on lui
faisoit un frein de sa propre sottise.
Mais une raison plus particuliére pourquoi les Romains l’emportent sur les François
dans ce genre d’écrire, c’est la force de leur Langue, & la maniére
concise dont el-l’efféminât par une délicatesse
excessive, & qui la gênât par une exactitude ingrate.
On voit dans François, que la ridicule
nécessité qu’on lui impose d’éviter l’équivoque de sens qu’il faut fuir
sans doute, pour faire naître dans l’esprit du Lecteur précisément la
même idée qui est excitée dans le nôtre. Je parle d’une équivoque qui
n’est que dans les paroles, & dont le plus stupide des hommes ne
sauroit être embarassé. Cependant il faut s’en garder soigneusement,
& se servir de détours & de circonlocutions, qui ne servent qu’à
cette netteté inutile, & font pâtir l’esprit de leur disette de
sens.
Il seroit bon que quelque grand Génie voulût donner l’exemple de le
mettre au dessus de cette exacte stérilité des Puristes, & voulût
dire naturellement ce que