On parle dans cette République, en des termes pleins d’admiration, de la
Sobriété des anciens Hollondois, & de leur
indifférence pour les Richesses. On considére avec un profond respect la
conduite de ces Péres de la Patrie, qui avant que de s’assembler pour le
bien de l’Etat, prènoient un repas frugal à l’ombre de quelque arbre
Cependant, à examiner la chose de près, il est probable qu’il y avoit
dans cette tempérance, plus d’habitude que de raisonnement, plus de
naturel que de vertu. Supposé même qu‘ils eussent connu l’usage des
Richesses, il ne faut pas une grande force d’esprit pour leur préférer
la Pauvreté quand on considére ces deux états en eux-mêmes &
débarassés des accessoires qui les accompa-Bataves, la honte & le mépris étoit attaché aux usages les
plus ordinaires qu’on fait des Richesses, qu’il y avoit de la gloire à
ne point paroître au dessus de ses Concitoyens. Les Charges, les
Dignités, l’Estime & le Respect, étoient accordés au mérite &
non pas aux trésors. La Pauvreté ne faisoit que rendre plus vénérable un
homme vertueux & habile, on pouvoit en quelque sorte aimer la
Pauvreté par intérêt.
Les Aristides & les Phocions de l’Antiquité étoient justement dans le même cas ;
ils rejettoient les trésors dont ils pouvoient se mettre en possession
sans peine. Faut-il tant s’en étonner, & leur sagesse étoit-elle de
difficile pratique ? Sans le secours de l’abondance ils jouissoient de
la considération de leurs Compatriotes, & gouvernoient la
Quand je songe quelquefois à ma jeunesse, le souvenir d’un tendre commerce vient souvent se présenter à mon imagination, avec tout ce qu’il a de plus flateur pour la vanité : mon imagination remplie de ces idées riantes, fait bientôt agir les ressorts les plus cachés de mon cœur, elle y cause un desordre délicieux, un mouvement tendre & vif dont j’ai de la peine à me défendre, & auquel je me fais un plaisir de m’abandonner ; mais ma raison soutenue par mon âge, ne laisse pas longtems mon cœur en proie à cette dangereuse agitation ; je m’efforce bientôt à rapeller dans mon esprit, les chagrins que traîne après elle la passion la plus heureuse, même la bassesse qu’il y a dans la conduite d’un Amant, & l’extravagance de ces sentimens délicats dont il s’aplaudit le plus. Ces images me raménent bientôt du plaisir à la raison ; & revenu à ma prémiére tranquilité, je me félicite de n’avoir pas attendu le secours de la vieillesse, pour sauver mon cœur d’un trouble si cruel, & mon esprit d’un déréglement si funeste. Ma raison est alors contente d’elle-même, & cette satisfaction de la raison est une volupté qu’on ne sauroit comprendre, à moins d’en avoir goûté toute la douceur.
Il ne fut jamais de passion plus desintéressée que la mienne. . . . . Je
regarde vos Amans comme vos sujets, au-lieu de les
Une réflexion sérieuse vient m’avertir que vous vous moquerez de tout ce discours : mais vous ne sauriez vous moquer de mes foiblesses, que vous ne soyez contente de votre beauté ; & je suis satisfait de ma honte, si elle vous donne quelque satisfaction. . . . .
On sacrifie son repos, sa liberté, sa fortune ; la gloire ne se sacrifie
point, dit
Voilà des sentimens bien délicats. Mais qu’est-ce que la délicatesse des sentimens, quand elle n’a de ressource qu’en elle-même ?
On se trompe d’ordinaire, selon moi, sur le
caractére de Philosophe. On donne souvent ce nom à un homme qui a lu un
grand nombre de Livres de Philosophie, qui a quelque idée des différens
Systémes, qui fait par cœur les Argumens qui les apuyent. Il fait
comment
Littérateur de la
Philosophie, si l’on peut s’exprimer ainsi.
Le titre de Philosophe ne me paroit dû qu’à ceux qui raisonnent de leur propre fond, & dont le jugement agit plus que la mémoire. Ils pressent les argumens des autres, ils profitent de leurs découvertes : mais ils les digérent par la méditation, ils savent les enchaîner à leurs propres idées, & gardant une indifférence entiére pour les opinions d’autrui, ils ne les adoptent que quand leur raison en a décidé en dernier ressort.
Autre erreur sur la Philosophie. On croit que c’est être Philosophe, que de ne s’occuper que de sujets qui paroissent au dessus de l’élevation ordinaire de l’esprit humain.
Mesurer le cours des Astres, fouiller dans les entrailles de la Nature, se perdre dans les méditations abstruses de la Métaphysique, voilà seulement ce qu’on croit du ressort de la véritable Philosophie. Idées vagues qui ne caractérisent en aucune maniére cette Science merveilleuse.
Le vrai Philosophe, plus avide de l’Utile que charmé du Curieux, raporte
toutes ses vues à l’excellence de sa nature, & au but de son
existence. Il fait qu’il n’est pas créé pour démêler les routes des
Astres. Il respire pour se procurer un véritable bon-
Sa principale étude c’est de former sa raison, de la rendre éclairée & exacte, de pénétrer dans la nature de ses devoirs, en un mot de concilier la Vertu avec l’agrément de la vie, & avec le bonheur des Etres semblables à lui. Il n’a commerce avec les autres Sciences, qu’autant qu’il en peut tirer des lumières pour celle que je viens de dépeindre, à moins qu’ils ne s’en veuille servir quelquefois comme d’un plaisir & d’un délassement.
On peut conclure de ce raisonnement, que d’ordinaire c’est être Philosophe, que s’éloigner de ce que le Vulgaire apelle Philosophie.
La véritable Philosophie embrasse toutes les actions de la vie, la conduite générale de l’homme : elle entre même dans son enjouement & dans ses badinages, en y répandant les lumiéres d’un Bon-sens inaltérable, qui met une différence essentielle entre les amusemens d’un Honnête-homme & les bousonneries d’un Faquin.
Je trouve un Traité sur quelque matiére que ce soit, absolument mauvais,
quand il ne facilite pas à l’esprit le moyen de définir exactement le
sujet qu’on lui présente. Tel est le Discours du
sur l’Eloquence, tel est le Traité de Longin sur le Sublime, & tels me paroissent la
plupart des Traités que nous ont laissé les Anciens.
S’il nous avoit fait sentir que la véritable Amitié n’est autre chose
qu’un Contract tacite entre deux personnes, qui
touchées d’un mérite naturel, & de la conformité de leurs
humeurs, s’engagent, en partie par inclination, en partie par un
intérêt raisonnable, à se rendre tous les devoirs que la Raison
& un Amour-propre réglé peuvent permettre ; il auroit pu
tirer de cette idée, l’étendue & les bornes que l’Amitié exige de
nous ; nous n’aurions point été embarassés par des régles vagues &
incertaines ; & par son secours nous aurions pu distinguer l’Amitié
raisonnable d’avec l’Amitié fougueuse & déréglée, qui dégénére en
une véritable passion.
Je suis sûr que c’est ne pas savoir une chose, que de n’en pouvoir pas
ramasser toutes les propriétés dans une seule idée complette à
distincte, qu’on apelle définition. On peut la placer à la fin, ou au
commencement d’un Traité, & ces différentes méthodes peuvent plaîre
à différens tours d’esprit. Quant à moi je suis pour la
Je trouve l’autre méthode plus embarassante pour l’esprit, & plus fatigante pour la mémoire. Avant que de parvenir à sa définition, on court risque d’avoir oublié quelque idée qui doit y aboutir, & souvent on est obligé de rebrousser chemin.
Les Auteurs qui négligent ces méthodes, me sont suspects de ne savoir pas
leur matiére à fond, & d’écrire sans avoir fait un plan général de
leur Ouvrage. Cependant, à mon avis, il faudroit un Plan dans une Ode
Pindarique même, pourvu que les liaisons en fussent cachées avec art.