Mon imagination qui se trouvoit dans l’assiette que je viens de
dépeindre, me transporta sur le Parnasse, que je trouvai entiérement
conforme aux descriptions des Poёtes. Latins &
François séparés en deux bandes.
Les uns & les autres s’étoient plaints souvent de l’ennui que leur
donnoient certains fâcheux, qui étant éloignés de leur goût & de
leur tour d’esprit, les empêchoient de jouir d’une conversation plus
agréable. Le Dieu des Vers trouvoit cette plainte bien .
François, & je fus choisi pour m’acquiter du même emploi à
l’égard des Modernes. Il faloit rêver, comme je faisois, pour ne me pas
croire indigne de cette grace : mais agréablement trompé par mon songe,
je croyois le mériter de reste, & je prétendois connoître exactement
la juste valeur du mérite de tous nos Poёtes.
Se livrant au beau feu de son heureuse audace,
De la Lyre des Grecs les
ravissans accords.
L’épithéte avec choix en ses Vers
enchassée,
Fait l’effet sur l’esprit de toute une pensée.
Son
goût exact & sûr par de sages bons-mots,
Philosophe enjoué, son utile
malice
Sapa le ridicule & confondit le vice,
Jamais d’un
faux esprit la trompeuse beauté,
Ne fit voir dans ses Vers le
Bon-sens maltraité.
Trop heureux si la Muse, à son sujet
fidelle,
Aux loix de la méthode eût été moins rebelle.
J’étois ravi de voir que l’amitié n’aveugloit point
Personne ne me parut plus propre à être comparé à
Donne à ses traits railleurs plus de tour, plus de grace ;
Son
fertile génie, au bon-sens épuré,
Sur la route du vrai court d’un
pas assuré.
Jamais ce mâle Auteur d’aucun mot inutile
De ses
Vers châtiés n’embarasse le stile ;
Et la rime bisarre, &
l’exacte raison,
Contractent sous ses mains une heureuse
union.
Heureux si moins ravi du grand vol de Pindare
Il eût
mieux évité l’infortune d’
Et qu’il n’eût point
mêlé dans ses Vers envieux
Avec le fade Auteur l’Auteur judicieux.
& enrégistré par la
Muse Sécretaire, que j’aperçus Latin. Le Dieu du Parnasse voyant mon
embarras, me dit de ne me mettre en peine de rien, & que
Latin qui se mit sur les
rangs, voici comme on rendit justice à son mérite.
Il ne falloit pas être bien habile pour trouver du raport entre le génie
de
La rime orne les Vers, & jamais ne les gêne ;
Tout ce qu’il dit,
paroit partes Graces dicté.
Dans des chemins fleuris toujours il
nous proméne.
De ses tours la fertilité
Donne à la Fable
ancienne un air de nouveauté
Il fait rendre le naïf
Compatible avec le vif.
Le
bons-sens de ses Vers n’exclut pas-la finesse ;
Et cet Auteur sans
égal,
Quand il suit
Prend un air
original ;
Si les songes avoient quelque ordre, le portrait de
Aux Romains dans le Ciel fut trouver de Ayeux.
En conduisant
Par les Dieux mis
en œuvre il soutint son génie.
Sublime, il ne va pas se perdre dans
les airs ;
Et simple, un terme bas n’avilit point ses Vers,
A
leur noble cadence une oreille attentive
Lie aux plus foibles sens
la raison fugitive ;
Mais il fait fondre en pleurs son malheureux
Héros.
D’abord que l’
De son cœur trop humain l’excessive tendresse,
A son
pieux Guerrier fait part de sa foiblesse ;
Aussi méchant Soldat que bon
Religieux.
Le dernier Vers me rapella dans l’esprit une pensée de
J’avoue que j’étois bien intrigué pour trouver parmi les François un Poёte comparable à
Mais le génie de cet illustre Prélat est tout-à-fait différent de celui
de
Dans l’embarras où je me trouvois, je jettai par hazard les yeux sur une
troupe de Tragiques François, & je considérai
qu’il faut à peu près le même tour d’esprit pour la Tragédie que pour la
Poësie Epique. En effet, l’une & l’autre demandent de l’élevation
& de la force dans l’expression & dans la pensée. L’une &
l’autre ont commerce avec les Héros & les Rois. Toutes deux animent
la passion, par les caractéres qu’elles dépeignent ; & par des
intrigues ménagées avec art, elles attachent notre curiosité à la
recherche du dénouement.
Entre tous ces Poёtes Dramatiques,
Sur la Scène entassa merveille sur merveille :
De son stile plus pur
la force & la douceur,
Par l’esprit satisfait pénétrent jusqu’au
cœur.
S’éloignant du phébus évite la bassesse ;
Egal en ses
beautés , grand, fleuri, merveilleux,
Jamais il ne renonce au
langage des Dieux.
Mais du goût des François l’habitude
l’enchaîne,
Il ne fait aux Romains donner l’ame Romaine.
Au-lieu
de revêtir la fierté de
Ou du Vainqueur
fameux des Persans abattus,
Le Romain & le Grec, qu’un fade
amour domine,
Dans ses timides Vers ont le cœur de
A peine eus-je achevé ce portrait, qu’un petit Homme tortu & bossu
parut devant le trône d’
Moi qui, bien-que Rimeur perclus,
Ne suis Rimeur à la
douzaine,
Et fus tandis que je vécus,
Nommé malade de la
Reine,
Dont j’exerçois avecque peine
L’emploi chetif pour mille
écus.
Savez-vous bien que plus habile
Que moi, ne sut jamais un
sot
Que souvent mon burlesque stile
Sut faire boulonner
En le traduisant mot à mot ?
Par votre sacré Violon,
Que ne
me veuilliez éconduire.
Et qu’à mon bon Ami Mâron,
Etant
toujours son Compagnon,
Je puisse aprendre l’art de rire.
En ses
Vers toujours il pleura.
Mais, pourvu qu’il soit corrigible.
Mon
humeur le corrigera ;
Et s’il est animal risible,
Avec moi rire
il lui faudra.
Le Dieu du Parnasse avoit bien de la peine à garder son sérieux à cette
plaisante proposition : il ne laissa pas de l’aprouver, convaincu que
L’art de savoir badiner de tems en tems, donne au sérieux même un air aisé, qu’une humeur toujours sombre lui ôte à coup sur.
De
Sit vos esprits sur le
même modéle :
Mais on peut bien être assuré
Que ce modèle est
égaré.