Cita bibliográfica: Justus Van Effen (Ed.): "XLV. Discours", en: Le Misantrope, Vol.2\004 (1711-1712), pp. 24-31, editado en: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Los "Spectators" en el contexto internacional. Edición digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1703 [consultado el: ].


Nivel 1►

XLV. Discours

Nivel 2► Metatextualidad► J’avois promis aux Dames dans mon prémier Misantrope, de les entretenir quelquefois, & je m’étois même flaté de leur dire certaines choses assez dignes de leur attention. Jusqu’ici je ne me suis pas trop bien acquité de cette promesse ; & comme je me pique d’être religieux observateur de ma parole, je prens une forte résolution de réparer ma faute dans ce second Volume de mon Ouvrage. Je commence des à présent, Mesdames, & je vous destine toutes les réflexions que je prétens faire cette semaine. Heureux ! si je puis vous les rendre agréables ; & si tirant mon stile de sa sécheresse ordinaire, j’y puis répandre quelque chose de cette galanterie aisée qui distingue avantageusement Bussy d’avec le Chevalier d’Her... & d’avec Voiture. ◀Metatextualidad

[25] Un bon nombre de gens vous aiment, Mesdames, quand ils sont jeunes, ils vous aiment avec fureur : mais incapables de cette délicate tendresse qui ne tombe que dans les belles ames, leur passion pour vous se perd avec l’activité de leur jeunesse. Souvent même vous leur devenez odieuses, & ils disent dans leur cœur au Beau Sexe,

Cita/Lema► Je vous ai trop aimé pour ne vous point haïr. ◀Cita/Lema

Pour moi je vous ai fort aimées aussi, & comme mon cœur & mon esprit ont eu toujours part à ma tendresse pour vous, je vous garde encore une estime tendre & délicate. Je fais plus, & j’en devrois rougir en qualité de Misantrope. Je suis chagrin d’être d’un âge à m’en devoir tenir avec vous à l’estime.

Ne croyez pas que je sois de ces sots Vieillards, qui se font un plaisir de dire à tout moment qu’ils ont été des compéres dans leur jeunesse, & que peu de Femmes ont pu résister à leur mérite : c’est tout ce que je puis pardonner au pauvre Abelard. Un peu de vanterie est permise aux malheureux du premier ordre. Que l’amour-propre est ingénieux ! Un Homme d’âge ne trouvant plus dans son extérieur de quoi plâtre, veut du moins faire aimer l’extérieur qu’il a eu autrefois. Il apelle le passé au secours du présent, & enterré dans sa perruque, importuné par sa grosse figure, il se tue de répéter qu’il a eu la tête belle, & la taille fine, Laissons-[26]les-là, ils me raméneroient tout droit à la Morale.

Autorretrato► Quand j’étois jeune, je faisois de mon mieux pour vous être agréable ; & souvent, au défaut de vous plaîre, je me faisois un plaisir d’examiner pourquoi vous me plaisiez, & ce qui vous manquoit pour me plaîre encore davantage. Quelquefois même je me faisois un chagrin délicat de ne vous pas aimer aussi fortement que j’eusse souhaité, & je me hasardois à vous donner des conseils aussi contraires à mon repos que favorables à vos charmes. Mais d’ordinaire on avoit peu d’égard à la bonté de mes intentions, & j’étois fort mal récompensé de ma franchise & de mon desintéressement. Mon malheur me donna lieu de remarquer que vous n’aimiez pas assez la candeur, ni en vous-mêmes, ni dans les autres, & que ce sentiment secondoit mal votre beauté contre le cœur d’un honnête-homme. ◀Autorretrato Vous voulez des Amans d’un mérite distingué. Mais le moyen de leur plaîre long-tems, si vous ne ménagez la délicatesse de leur amour-propre ? N’est-ce pas travailler à les éloigner de vous, que de préférer aux louanges judicieuses que leur candeur vous dispense, les éloges circulaires qu’un Flateur outré prodigue indifféremment à toutes les Femmes ? Les Hommes ne sont pas de votre goût sur la franchise ; ils ne l’aiment pas trop dans leurs amis ; & ils la chérissent dans leurs Maîtresses, pourvu qu’elle n’ait rien de rude & d’injurieux, & que vous l’adoucissiez par des maniéres polies, [27] qui naturelles au Beau Sexe, ne sont pas toujours incompatibles avec la sincérité. Ce que la candeur a d’aimable en elle-même, joint à ce qu’elle a de rare parmi vous, est tout-à-fait propre à vous attirer l’estime & la tendresse de tous ceux qui ont quelque goût pour le vrai mérite.

Il n’est pas nécessaire d’être entré bien avant dans votre cœur, pour savoir que vous êtes sort sensibles à la perte de vos Amans. Mais que vous seriez peu exposées à ce malheur, si vous saviez ménager vos agrémens & notre tendresse !

D’ordinaire vous rebutez vos Amans par des caprices excessifs, ou vous endormez leur passion par une languissante uniformité d’humeur. Votre empire sur leur cœur seroit bien plus durable, si vous saviez donner à vos maniéres une certaine irrégularité, qui parût moins l’effet d’un esprit bisarre, que d’une vivacité propre à varier votre mérite, & à le présenter toujours sous une face nouvelle.

Montrez à votre Amant tantôt une petite fierté qui réveille, tantôt une complaisance qui touche ; une autre fois une crédulité qui s’insinue dans son cœur, souvent un peu de jalousie qui l’anime ; en un mot, faites-lui voir toujours quelque chose de nouveau & de touchant dans vos sentiments & dans votre tour d’esprit, & je vous répons que son cœur entretenu dans une activité continuelle, n’aura pas le loisir d’être inconstant.

Ne croyez pas, Mesdames, que les Hom-[28]mes changent d’ordinaire par une trahison concertée : leur amour est né bien souvent en dépit d’eux, & il meurt de-même, faute de l’agréable nourriture que lui peut donner le nouveau. Prodiguez cet aliment à leur tendresse, & vous leur ferez goûter dans le plus fidéle attachement, toutes les douceurs de l’inconstance.

Permettez-moi encore de vous dire, Mesdames, que d’ordinaire vous négligez de cultiver votre esprit, ou que vous le cultivez trop, ou mal. En général la Nature ne rend guéres ses productions achevées, elle laisse presque toujours quelque chose à faire à l’Art. Pour rendre votre tour d’esprit heureux & aimable, il vous faut un peu de réflexion, un peu de lecture. Bien souvent il vous arrive d’enrichir votre esprit par ces moyens, mais rarement vous apliquez-vous à former votre raison. Changez de méthode, si vous m’en croyez ; donnez vos plus grands soins à votre raisonnement, il en a plus besoin que votre esprit.

Gardez-vous bien pourtant de faire les Philosophes. Si vous voulez nous charmer par des raisonnemens exacts, par des réflexions profondes, ménagez-leur une expression aisée & naturelle ; qu’elles ne sentent jamais l’étude & le cabinet, & qu’elles ne paroissent que l’effet d’un génie peu vulgaire. Le naturel est votre partage, il fait votre mérite; & vous devez vous apliquer uniquement à mettre ce naturel dans tout son [29] jour, & non pas à l’affaisser & à l’ensevelir sous la science.

Certaines Femmes, pour s’éloigner des mignardises par lesquelles une Précieuse prétend nous attendrir en sa faveur, croient s’attirer notre estime en s’élevant au-dessus des foiblesses de leur sexe, & en affectant la force de corps & d’esprit qui caractérise les Hommes. Mais à mon avis elles tombent dans une extrémité tout aussi éloignée de l’aimable, que celle qu’elles veulent éviter.

Se piquer de négliger ses charmes, & de ne point donner à sa beauté tous les avantages qu’elle peut recevoir de l’Art, affecter avec cela des airs robustes & virils, c’est se piquer de nous déplaire.

Ce que nous aimons le plus dans une Femme, c’est sa qualité de Femme. Ce n’est proprement que ce qui caractérise son sexe, qui nous touche, & qui nous rend sensibles à son mérite. Ses belles qualités nous peuvent donner de l’estime & de l’amitié, mais elles ne nous donnent de l’amour qu’autant qu’elles sont entées sur la Femme, s’il m’est permis de parler ainsi.

Quand je me suis amusé quelquefois à lire les Rolands & les Amadis, ce que j’y découvrois de plus éloigné de la vraisemblance, n’étoit pas ces Géans démesurés pourfendus par un homme ordinaire, ces Palais bâtis par enchantement, ces Armées défaites par un seul Paladin : je trouvois mille fois plus extravagant que tout cela, l’a-[30]mour qu’on y donne aux Héros pour des Marphises & des Bradamantes, qui prêtoient le collet au plus vaillant Chevalier, & qui de jour s’exposoient aux injures de l’air, & couchoient sur la dure pendant la nuit.

Si vous vouliez suivre mes avis, Mesdames, vous ne feriez point d’effort pour cesser d’être Femmes ; & quand même la Nature vous auroit donné un tempérament robuste & viril, vous le cacheriez par l’affectation délicate d’un peu de foiblesse. Une Femme a bonne grâce d’être un peu foible, elle doit seulement prendre garde de ne pas outrer cet agrément, & de n’en point faire un vice, ou un ridicule. J’aime surtout qu’une Dame daigne être aimable, & qu’elle veuille bien prendre un peu de peine pour nous plaîre. Mais ce conseil doit être pratiqué avec précaution ; & bien souvent, Mesdames, vous prenez des mesures très fausses pour nous rendre sensible à vos agrémens. Il vous faut de l’ajustement, j’en conviens ; il n’y a qu’une Beauté achevée qui puisse soutenir le négligé ; & ce négligé pour être avantageux, a besoin encore une espéce d’art caché, & surtout d’une propreté riante, sans laquelle les attraits les plus touchans ne sauroient que choquer notre délicatesse. D’ordinaire vous copiez, dans la maniére de vous mettre, le ridicule d’un Peintre de l’Antiquité, qui avoit entrepris de faire un Portrait de Vénus. Son imagination n’étant pas assez forte pour ramasser dans son tableau toutes les [31] graces d’une belle Nature, il chargea sa Déesse d’habits magnifiques & de pierreries ; n’étant pas assez habile pour la faire belle, il l’a fit riche.

Si la Nature ne vous a pas été favorable, ne prétendez pas sauver votre laideur de nos réflexions à la saveur de votre parure, ni arrêter nos yeux par l’éclat de vos habits, pour les détourner de vous-mêmes : toute la richesse qui vous environne, ne sert qu’à mettre votre peu d’agrément dans tout son jour ; & les beautés que vous empruntez de la Fortune, ne font que répandre de la lumiére sur la laideur qui vous est naturelle. Combien de fois l’éclat d’un diamant a-t-il fait remarquer l’énorme grandeur d’une oreille à laquelle il servoit de parure ? Combien de fois la maigreur d’une gorge n’a-t-elle pas reçu de très mauvais services, d’un collier de perles qu’on y avoit mis pour tout un autre usage ?

On ne sauroit supléer au défaut d’un extérieur revenant, que par les sentimens généreux de l’ame, par l’agrément de l’esprit, par la facilité de l’humeur, & par la politesse des maniéres.

Pour vous qui êtes aimables… Mais je vois mon cahier rempli ; on ne finit point, Mesdames, quand on se met à vous parler ; plus on dit de choses, & plus on en trouve à dire. Aussi ai-je bien envie de renouer la conversation, & de vous faire voir que j’ai fait des réflexions aussi justes sur la nature de l’Ajustement, que sur celle du vrai Courage. ◀Nivel 2 ◀Nivel 1