Pour moi je vous ai fort aimées aussi, & comme mon cœur & mon
esprit ont eu toujours part à ma tendresse pour vous, je vous garde
encore une estime tendre & délicate. Je fais plus, & j’en
devrois rougir en qualité de
Ne croyez pas que je sois de ces sots Vieillards, qui se font un plaisir
de dire à tout moment qu’ils ont été des compéres dans leur jeunesse,
& que peu de Femmes ont pu résister à leur mérite : c’est tout ce
que je puis pardonner au pauvre
Il n’est pas nécessaire d’être entré bien avant dans votre cœur, pour savoir que vous êtes sort sensibles à la perte de vos Amans. Mais que vous seriez peu exposées à ce malheur, si vous saviez ménager vos agrémens & notre tendresse !
D’ordinaire vous rebutez vos Amans par des caprices excessifs, ou vous endormez leur passion par une languissante uniformité d’humeur. Votre empire sur leur cœur seroit bien plus durable, si vous saviez donner à vos maniéres une certaine irrégularité, qui parût moins l’effet d’un esprit bisarre, que d’une vivacité propre à varier votre mérite, & à le présenter toujours sous une face nouvelle.
Montrez à votre Amant tantôt une petite fierté qui réveille, tantôt une complaisance qui touche ; une autre fois une crédulité qui s’insinue dans son cœur, souvent un peu de jalousie qui l’anime ; en un mot, faites-lui voir toujours quelque chose de nouveau & de touchant dans vos sentiments & dans votre tour d’esprit, & je vous répons que son cœur entretenu dans une activité continuelle, n’aura pas le loisir d’être inconstant.
Ne croyez pas, Mesdames, que les Hom-le
nouveau. Prodiguez cet aliment à leur tendresse,
& vous leur ferez goûter dans le plus fidéle attachement, toutes les
douceurs de l’inconstance.
Permettez-moi encore de vous dire, Mesdames, que d’ordinaire vous négligez de cultiver votre esprit, ou que vous le cultivez trop, ou mal. En général la Nature ne rend guéres ses productions achevées, elle laisse presque toujours quelque chose à faire à l’Art. Pour rendre votre tour d’esprit heureux & aimable, il vous faut un peu de réflexion, un peu de lecture. Bien souvent il vous arrive d’enrichir votre esprit par ces moyens, mais rarement vous apliquez-vous à former votre raison. Changez de méthode, si vous m’en croyez ; donnez vos plus grands soins à votre raisonnement, il en a plus besoin que votre esprit.
Gardez-vous bien pourtant de faire les Philosophes. Si vous voulez nous
charmer par des raisonnemens exacts, par des réflexions profondes,
ménagez-leur une expression aisée & naturelle ; qu’elles ne sentent
jamais l’étude & le cabinet, & qu’elles ne paroissent que
l’effet d’un génie peu vulgaire. Le naturel est votre partage, il fait
votre mérite; & vous devez vous apliquer uniquement à mettre ce
naturel dans tout son
Certaines Femmes, pour s’éloigner des mignardises par lesquelles une Précieuse prétend nous attendrir en sa faveur, croient s’attirer notre estime en s’élevant au-dessus des foiblesses de leur sexe, & en affectant la force de corps & d’esprit qui caractérise les Hommes. Mais à mon avis elles tombent dans une extrémité tout aussi éloignée de l’aimable, que celle qu’elles veulent éviter.
Se piquer de négliger ses charmes, & de ne point donner à sa beauté tous les avantages qu’elle peut recevoir de l’Art, affecter avec cela des airs robustes & virils, c’est se piquer de nous déplaire.
Ce que nous aimons le plus dans une Femme, c’est sa qualité de Femme. Ce n’est proprement que ce qui caractérise son sexe, qui nous touche, & qui nous rend sensibles à son mérite. Ses belles qualités nous peuvent donner de l’estime & de l’amitié, mais elles ne nous donnent de l’amour qu’autant qu’elles sont entées sur la Femme, s’il m’est permis de parler ainsi.
Quand je me suis amusé quelquefois à lire les
Si vous vouliez suivre mes avis, Mesdames, vous ne feriez point d’effort
pour cesser d’être Femmes ; & quand même la Nature vous auroit donné
un tempérament robuste & viril, vous le cacheriez par l’affectation
délicate d’un peu de foiblesse. Une Femme a bonne grâce d’être un peu
foible, elle doit seulement prendre garde de ne pas outrer cet agrément,
& de n’en point faire un vice, ou un ridicule. J’aime surtout qu’une
Dame daigne être aimable, & qu’elle veuille bien prendre un peu de
peine pour nous plaîre. Mais ce conseil doit être pratiqué avec
précaution ; & bien souvent, Mesdames, vous prenez des mesures très
fausses pour nous rendre sensible à vos agrémens. Il vous faut de
l’ajustement, j’en conviens ; il n’y a qu’une Beauté achevée qui puisse
soutenir le négligé ; & ce négligé pour être avantageux, a besoin
encore une espéce d’art caché, & surtout d’une propreté riante, sans
laquelle les attraits les plus touchans ne sauroient que choquer notre
délicatesse. D’ordinaire vous copiez, dans la maniére de vous mettre, le
ridicule d’un Peintre de l’Antiquité, qui avoit entrepris de faire un
Portrait de
Si la Nature ne vous a pas été favorable, ne prétendez pas sauver votre laideur de nos réflexions à la saveur de votre parure, ni arrêter nos yeux par l’éclat de vos habits, pour les détourner de vous-mêmes : toute la richesse qui vous environne, ne sert qu’à mettre votre peu d’agrément dans tout son jour ; & les beautés que vous empruntez de la Fortune, ne font que répandre de la lumiére sur la laideur qui vous est naturelle. Combien de fois l’éclat d’un diamant a-t-il fait remarquer l’énorme grandeur d’une oreille à laquelle il servoit de parure ? Combien de fois la maigreur d’une gorge n’a-t-elle pas reçu de très mauvais services, d’un collier de perles qu’on y avoit mis pour tout un autre usage ?
On ne sauroit supléer au défaut d’un extérieur revenant, que par les sentimens généreux de l’ame, par l’agrément de l’esprit, par la facilité de l’humeur, & par la politesse des maniéres.
Pour vous qui êtes aimables… Mais je vois mon cahier rempli ; on ne finit
point, Mesdames, quand on se met à vous parler ; plus on dit de choses,
& plus on en trouve à dire. Aussi ai-je bien envie de renouer la
conversation, & de vous faire voir que j’ai fait des réflexions
aussi justes sur la nature de l’Ajustement, que sur celle du vrai
Courage.