Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXXV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.3\035 (1716), S. 216-221, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1668 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XXXV. Discours.

Zitat/Motto► Γάμος γάρ α’νφρώποιτιν ευκταιον κακόν.

Fragm. vet. Poëtæ.

Le Mariage est un mal, que l’on doit souhaiter. ◀Zitat/Motto

Metatextualität►

Réfléxions sur l’Amour & sur le Mariage.

◀Metatextualität

Ebene 2► Mon Pere, dont j’ai dit un mot dans le premier de tous mes Discours, & que je ne dois nommer qu’avec respect & un cœur plein de gratitude, m’a souvent entretenu sur le chapitre du Mariage. Animé par son avis & mon inclination, j’adressai mes vœux, dès ma plus tendre jeunesse, à une Demoiselle d’une grande beauté, qui, s’il m’est permis de le dire, n’avoit aucune antipathie pour mon Individu ; mais parce que mon Humeur taciturne m’empêchoit de briller à ses yeux, elle me prit à la fin pour un Sot, & résolue d’avoir plus d’égard au Mérite qu’à toute autre chose dans ceux qui lui en contoient, elle épousa un Capitaine de Dragons, qui faisoit des Recrues dans son voisinage.

Depuis ce malheur, j’ai toûjours eu de l’aversion pour les Damoiseaux, & je n’ai plus osé tenter fortune auprès du beau Sexe. Les observations que je fis alors, & les avis que je reçus de mon honnête Homme de Pere, ont produit l’Essai, que je vai [217] donner ici, sur l’Amour & sur le Mariage.

Le tems le plus agréable de la vie d’un Homme est en général celui qu’il passe à faire la cour à sa Maitresse, pourvu qu’il l’aime de bonne foi, & qu’elle soit discrette & civile. Dans la poursuite de l’Objet aimé, il sent que l’amour, les desirs, l’esperance, & toutes les affections les plus douces de l’Ame prennent tous les jours de nouvelles forces.

Il est plus facile à un Homme adroit & rusé, qui n’est point amoureux, de persuader à sa Maitresse qu’il l’aime, & d’arriver à son but, qu’à un autre qui sent pour elle une violente passion. L’amour sincere est accompagné de mille soucis, d’impatiences & de ressentimens, qui rendent un Homme peu aimable aux yeux de la Personne, dont il veut toucher le cœur ; outre qu’il le remplit de craintes, qu’il lui abat l’esprit, & qu’il le fait souvent paroître ridicule, lors qu’il auroit envie de se distinguer.

On peut dire en général que les Mariages contractez, après une longue fréquentation, sont les plus heureux. L’Amour devroit jetter de profondes racines, & se bien fortifier, avant qu’on y entât le Mariage. Une longue suite d’expériences & d’attentes nous fixe l’idée dans l’Esprit, & nous accoutume à sentir une véritable tendresse pour la Personne Aimée.

Il n’y a rien qui soit de si grande consé-[218]quence pour nous, que de trouver de bonnes qualitez dans la Personne, avec qui nous devons passer notre vie, puisque leur effet ne se borne pas à nous rendre agréable notre situation presente ; mais qu’elles contribuent souvent à notre Bonheur éternel. Lorsque le choix en est laissé aux Parens, ils n’ont en vue que le Bien & les avantages de ce Monde, au lieu que les deux Parties intéressées ont presque toûjours égard au Mérite personnel. Ils ont leurs raisons de l’un & de l’autre côté. Les premiers voudroient procurer tous les aises & tous les plaisirs de la vie à la Personne dont ils épousent les intérêts ; dans l’esperance même que son état florissant peut leur donner du relief, & leur être de quelque avantage. Les autres cherchent à s’assurer d’une joie continuelle. Une Personne vertueuse n’excite pas seulement l’Amour, mais elle aide à l’entretenir ; elle nourrit, dans le sein du Spectateur, un plaisir secret & une satisfaction intérieure, lorsque les premiers feux de la Passion sont éteints. La Vertu donne du crédit à une Femme ou à un Mari, soit auprès de leurs Amis ou des Etrangers, & devient d’ordinaire la source d’une posterité d’Enfans, aussi beaux que robustes.

Je préférerois une Femme qui seroit agréable à mes yeux, sans être difforme à ceux des autres, à une Beauté célébre. Si vous en épousez une extraordinairement belle, il faut que vous ayez pour elle une [219] passion violente, ou vous ne goûtez pas tout le plaisir que ses charmes peuvent causer ; & si vous l’aimez avec ardeur, il n’y a presque aucun doute que votre amour ne soit accompagné d’amertume, de craintes & de jalousies.

La bonté du Naturel & l’Humeur égale rendent votre société commode & aisée ; la Vertu & le bon Sens vous rendent un Ami ou une Amie agréable ; la Tendresse & la Constance vous rendent un bon Mari ou une bonne Femme. Pour une Personne qui est revêtue de ces belles qualitez, on en trouve cent qui n’en ont pas une seule. On peut dire avec tout cela que le monde a plus d’égard aux Trains, aux Equipages, & à tout l’éclat pompeux de la Vie ; nous cherchons plûtôt à éblouir les yeux de la Multitude, qu’à suivre vos véritables intérêts, &, ce qui est une des Passions les plus inconcevables de la Nature Humaine, comme je l’ai remarqué ailleurs, nous prenons infiniment plus de peine pour paroître heureux, que pour le devenir. De toutes les différences qu’on voit entre les Personnes, celle de l’Humeur produit les plus malheureux de tous les Mariages, quoi qu’on n’y fasse presqu’aucune attention lors qu’on les contracte. Plusieurs Couples, qui se trouvent à cet égard mal assortis ensemble, quoique l’Epoux & l’Epouse ayent peut-être beaucoup de mérite & de Vertu, auroient pu vivre heureux & contens, si cha-[220]cun d’eux se fût uni à une Personne d’un caractere tout oposé.

Avant le Mariage, on ne sçauroit trop éplucher les défauts de la Personne aimée ; ni, après qu’il est conclu, avoir trop d’indulgence sur cet article. Quelque parfaite qu’elle vous semble de loin, lorsque vous la verrez de plus près, vous découvrirez bien des foibles dans son humeur, ausquels vous n’aviez pas pris garde, & dont peut-être vous n’auriez jamais eu aucun soupçon. C’est donc ici que la Discrétion & la Bonté du Naturel doivent déployer toute leur force : la premiere vous empêchera de fixer vos pensées & de vous arrêter sur ce qui vous paroît désagréable, pendant que l’autre excitera en vous toute la tendresse de la Compassion & de l’Humanité, qu’elle adoucira peu à peu ces défauts, & les convertira même en beautez.

Le Mariage donne de l’étendue à notre bonheur & à nos Miseres. Celui qui se contracte par Amour est agréable ; celui que l’intérêt produit est commode ; & celui, où l’un & l’autre de ces motifs se trouvent, est heureux. Un Mariage de ce dernier ordre a toutes les douceurs de l’Amitié, tous les plaisirs des Sens & de la Raison ; en un mot, tous les agrémens de la Vie. Il n’y a point de marque plus certaine de la corruption du siècle, que la coûtume qui s’est introduite, de tourner en ridicule un si heureux état. Mais il n’est tel à la vérité que [221] pour ceux qui peuvent regarder avec mépris les vanitez du monde, les fouler aux pieds, & marcher d’un pas ferme & constant dans le chemin de la Vertu. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1