Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LXXI. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.6\071 (1726), S. 452-463, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1642 [aufgerufen am: ].


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LXXI. Discours

Zitat/Motto► Sanc ubi idem et maximus et honestissimus amor est, aliquando præstat morte jungi, quàm vita distrahi.

Val. Max. Lib. IV. de Amore conjug. c. 3.

Sans contredit, lors qu’un Mari & une Femme ont, l’un pour l’autre, l’amour le plus tendre & le plus honête, il vaut mieux qu’ils meurent tous deux ensemble, que si l’un d’eux restoit en vie. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Censure des Dames qui jouent au Rolly Polly, & de celles qui succombent aux tentations de l’Amour. ◀Metatextualität

Ebene 2► La tranquilité & la douce méditation, dont je me flatois de jouïr encore quelque temps à la Campagne, viennent d’être interrompuës par un Paquet de Letres que j’ai reçu de Londres. On m’y anon-[453]ce que le 1 Rolly Polly, qui se tenoit entre les Quarrez, ou les Places du Lion rouge & de Bloomsbury, & que je croiois avoir absolument détruit, ne l’est pas ; mais qu’il n’a fait que disparoitre à ma vûe pour s’aller établir à Hampstead, au grand préjudice du beau Sexe. Les Serpens devorans qui s’entrelassent au sommet de cette Machine se sont insinuez plus que jamais dans ses bonnes graces, & malgré leur morsure fatale, il y a plusieurs de nos Dames, riches & belles, si accoûtumées à badiner avec eux & à jouer avec la Pomme d’Or, que, si l’on n’y remedie au plutôt, elles risquent de se voir reduite à la derniere mendicité.

Il est vrai qu’on appelle ce jeu le beau Divertissement ; mais je ne sache pas qu’il y en ait aucune autre raison si ce n’est que la plupart des personnes qui s’y exercent sont des Belles, qu’on cherche à duper & à divertir aux dépens de leur Bourse, de leur Beauté & de leur Réputation. Je me hâte de renouveller mes avis là-dessus par un principe de pitié & de compassion à l’égard d’un jeune Gentilhomme de grande espérance & d’une jolie Demoiselle, dont [454] les Meres sont deux Veuves, qui les exposent à toutes les tentations de la misere & à maudire le jour de leur naissance. Elles s’y prennent même d’une maniere si étrange, qu’on diroit qu’elles craignent de ne pas voir la ruine de leurs Enfans, & qu’elles ont en vûe de leur laisser pour Tuteurs des Scelerats & des Filous, qui auront soin de recueillir, à leur profit, le débris de leur Héritage.

Allgemeine Erzählung► Pour le coup je ne releverai pas la mauvaise conduite que tient à cet égard une Dame qui loge près de Covent-Garden. Je l’épargne en faveur de son Epoux, qui est un très-honête Homme, & qui marque une grande prudence au milieu de son infortune. Mais je suplie de nouveau toutes les Dames, soit Meres, Femmes ou Filles, de prévenir le chagrin que nous pourrions avoir de part & d’autre, si elles s’obstinent à ce maudit Jeu, & qu’elles me forcent à les châtier en public. Car il faut qu’elles sâchent qu’en qualité de Censeur de la Grande-Bretagne, je dois prendre garde à toutes leurs démarches, & que je veux m’aquiter de mon devoir en bonne conscience. Je declare donc & je proteste que, tôt ou tard, je les desobligerai toutes & cela de la maniere du monde la plus rude, pour les garantir de l’adversité, & les forcer, [455] bongré, malgré qu’elles en aient, à vivre dans la prosperité, afin qu’elles m’en soient obligées le reste de leurs jours, & que je les puisse traiter dans la suite avec toute la douceur imaginable. Après que j’aurai fulminé ma Sentence, qui ne me paroit pas encore de saison, elles pourront bien la taxer d’incivile, de cruelle & de mal fondée ; mais je m’en glorifierai moi-même, persuadé que ce seroit un acte de bonté tout extraordinaire & le plus haut point où la Charité Chrétienne puisse aspirer. Je me hasarderois même volontiers à devenir l’objet de leur ressentiment, pourvû que j’eusse le bonheur de les empêcher qu’elles ne se maudissent un jour elles-mêmes. Je ne pense qu’à détourner leur colere de leur propre sein pour l’attirer sur moi, & je travaille à leur sûreté au péril de la mienne.

Dans l’esperance qu’elles s’amanderont, je n’en dirai pas davantage sur un sujet si désagréable, & je souhaite de n’avoir plus l’occasion d’en ouvrir la bouche. Pour ce que j’en ait dit ; que les Dames, dont j’ai possedé les bonnes grâces depuis si long-tems, que je ne saurois les perdre sans une douleur extrême, ou dont je ne voudrois pas risquer la perte, si mon silence ne leur en causoit une plus grande, que les Da-[456]mes, dis-je, s’en fâchent contre moi, si elles peuvent. Je ne risque rien à cet égard, si elles ont la prudence, la tendresse & la docilité que j’ai trouvées dans la plûpart de celles que j’ai eu l’honneur de connoître : Je ne demande autre chose, pour m’assurer la continuation de leur bienveillance, si ce n’est qu’elles examinent de près ce que j’ai dit. Je suis certain qu’après y avoir un peu reflechi, elles feront plus de cas d’un tel Avis donné par un Ami sincere, que de toutes les protestations les plus solemnelles d’un Amant. ◀Allgemeine Erzählung

Allgemeine Erzählung► L’autre soir, que je me trouvai à discourir, dans le Caffé de Guillaume, avec un de mes Amis, aussi estimable par la beauté de son esprit, que par la bonté de son cœur, nous tombames, je ne sai comment, sur l’embarras qu’il y a pour les Peres & les Meres, ou les Tuteurs, de disposer de toutes leurs Filles ou de leurs Pupiles, sans qu’il leur arrive aucun desastre. C’est ce qui lui rapella une triste Avanture, dont il me fit le détail en ces termes :

Ebene 3► Dialog► « J’ai souvent tâché, me dit-il, Monsieur, de m’exciter à la Vertu par ce qu’il y a de plus mauvais au monde. Entre divers moïens que j’ai mis en usage pour en venir à bout, la conversation de quelques Femmes de la Ville, qui ont [457] été la ruine de tant d’autres Hommes, m’y a beaucoup servi. Mais, pour ne pas choquer votre modestie, je vous protesterai de bonne foi que je ne crois pas qu’aucun Homme ait reçu, de leur familiarité, plus de mal en son corps que j’en ai reçu du bien à l’égard de l’esprit ou du cœur. C’est ce qui m’engage à leur rendre d’aussi fréquentes visites pour me polir, que les jeunes Débauchez leur en rendent pour se corrompre. La méthode que j’ai toûjours suivie à été de m’informer des veritables causes de leur premiere chute : elles sont si variées, & si surprenantes, qu’un honête Homme, habile & discret, qui a plusieurs Filles, en pourroit tirer de grands avantages, pour mettre leur Honeur & leur Vertu à l’abri de tout peril. Aussi me fais-je un vrai plaisir de raconter ces Avantures à ceux qui me paroissent en état d’en recueillir quelque fruit. Après cet Exorde, que vous devez attribuer à l’humeur causeuse d’un Vieillard, & que vous me pardonnerez, s’il vous plaît, j’en viens à ma principale Histoire.

Allgemeine Erzählung► Je rendis visite un soir à une jeune Dame qui avoit toutes les qualitez requises pour devenir la plus tendre Mere, la [458] meilleure Epouse, & la plus prudent, Maîtresse de Famille que l’on puisse voir si elle n’eût perdu son honeur. Je la plaignois de toute mon ame, lors que je reflechissois sur tant de Vertus rendues presque inutiles par la perte d’une seule : ma douleur augmenta lors que je m’aperçus qu’elle étoit tombée depuis peu dans ce déplorable état, & qu’elle avoit, à cela près, toutes les marques d’une bonne Education. J’en eus d’autant plus d’envie de penetrer la fatale cause de sa chute. Je lui racontai même diverses Avantures de cet ordre, & je lui demandai si l’une ou l’autre étoit son cas ? Non, me repliqua-t-elle, mais je vous en dirai une plus triste que toutes celles-là, & qui vous fera verser des larmes. Ensuite, je vous aprendrai la mienne, puisque vous avez la curiosité de la savoir.

Une jeune Demoiselle & un jeune Gentilhomme tous deux de très-bonne Famille dans le Païs de Cornouaille, sentoient depuis long-tems une secrete passion l’un pour l’autre, lors que les Parens vinrent à s’en apercevoir, & qu’ils l’approuverent si bien, que le Pere de la Demoiselle invita le jeune amoureux à venir librement chez lui. Enfin le Maria-[459]ge fut conclu, tous les Actes passez, & la célebration devoit se faire au bout d’une semaine. Libres de se voir en particulier toutes les fois que l’envie les en prenoit, & amoureux l’un & l’autre jusqu’à la folie, par malheur, un jour que toute la Famille étoit dehors, ils s’entretinrent de leurs passions en des termes si vifs, que le desir de jouïr, par avance, du bonheur que le Mariage devoit leur procurer, les enflamma tous deux. Le jeune Galant dit à sa Belle, que, sur le pié où les choses étoient, ils pouvoient se regarder comme Mari & Femme, & il mit en usage toute l’Eloquence que l’Amour lui fournissoit pour lui imprimer cette idée, dont son penchant ne la rendoit que trop susceptible. De sorte qu’à demi contrainte & presque convaincue, qu’il n’y auroit point de mal à la satisfaire, elle se laissa gagner plutôt par complaisance que par aucune inclination vicieuse. Mais d’abord que le jeune Cavalier, d’une humeur très-jalouse, eut assouvi sa brutale passion, il devint furieux, il s’emporta contre lui-même, il maudit sur tout la crédulité de sa Belle, il la regarda d’un œil malin & la soupçonna d’être encline à la debauche. Penetré de cette malheureuse idée, la [460] veille du jour qu’on devoit celebrer les Nôces, il sortit de la Maison de son Pere & n’y retourna plus.

Cet accident imprévu mit le trouble & la desolation dans les deux Familles ; mais la jeune Demoiselle en ressentit les plus cruels effets. Elle se trouva enceinte, & devint l’objet de la honte publique. Son Pere inexorable, malgré tout ce qu’on pût lui dire en sa faveur, ne voulut plus la voir, ni entendre parler d’elle, & la chassa de sa maison, sans lui donner un sol. Sa Mere, d’un naturel plus humain & touchée des circonstances qui servoient à diminuer sa faute, lui donna tout ce qu’elle pût ramasser en cachette d’Argent monnoïé, de Vaisselle & de Joïaux. La pauvre Demoiselle, chargée du poids de son infortune, se rendit à Londres, où elle accoucha d’un Enfant, qui ne devoit attendre, pour tout heritage, que la misere & l’oprobre. Au bout de trois années, cet Enfant mourut, plus heureux au tems de sa mort qu’à celui de sa naissance, puis que sa Mere n’avoit alors plus rien, & qu’elle étoit même deja endettée. D’ailleurs, son cruel Pere avoit écrit à tous ses Parens & Amis de la Ville de ne lui fournir aucun secours, & ils avoient exactement obéi [461] à cet ordre. Quoi qu’il en soit, resolue de ne s’abandonner jamais à un autre Homme, & de faire penitence le reste de ses jours, elle vouloit se mettre dans le plus vil service, mais elle n’en pût trouver aucun, faute de recommandation. En un mot, elle mourut de faim, & fut ainsi la victime de cet Honeur, qu’elle étoit incapable de perdre en tout autre tems & avec tout autre Homme que son Fiancé.

Nous pleurâmes ici tous deux, &, d’une voie entrecoupée, je lui dis, Si votre cas est aussi triste – Epargnez-moi la douleur de vous en faire le recit – Je ne voudrois pas l’entendre – Monsieur, vous l’avez déje entendu – Je me regarde par avance comme morte de faim, puis que je ne sache pas qu’il y ait aucun autre expedient, pour gagner ma vie, que celui dont je viens de parler, & que j’aimerois mieux mourir mille fois que de m’abandonner à la debauche.

Elle me conduisit ensuite à une Armoire, où elle me fit voir son Enfant embaumé. A la vûe de ce spectacle, qui me causa plus d’émotion que tous ses discours, je devins presque muet, je lui jettai une Guinée & je sortis de sa maison, resolu de ne permettre pas qu’elle manquât jamais du necessaire.

Quelque tems après il m’arriva, com-[462]me je vous ai déja dit que c’est ma coûtume, de parler de cette fatale Avanture en presence de quelques Messieurs fort graves & d’un âge avancé, lors que l’un d’entre eux tomba tout d’un coup en pamoison. Nous lui frotames d’abord les temples avec d’eau de la Reine, & nous mimes tout en œuvre pour rapeller ses esprits, à quoi l’on réusit à la fin. Cependant, ataqué sur le champ de la Fiévre, il se retira chez lui, où il ne fut pas plutôt au lit, qu’il m’envoïa prier de l’aller voir, & qu’il me parla en ces termes : Pourriez-vous, Monsieur, trouver cette jeune Dame, dont vous nous avez raconté l’Avanture. C’est ma Fille. Dès qu’il eut dit ce mot, il poussa un soupir, qu’on auroit cru être le dernier de sa vie. Je lui répondis, qu’oui. D’abord, il fit venir un Notaire, qui écrivit son Testament, par lequel il laissa tous ses biens meubles à sa Fille. Sur ces entrefaites, il reçut une Lettre du Pere du jeune Gentilhomme, qui s’y exprimoit en ces termes :

Ebene 4► Brief/Leserbrief► Auteur de ma ruine, & de celle des miens.

Je puis bien à présent vous donner ce titre, dont vous avez été si liberal envers moi. Je n’ai demeuré que deux jours en Ville, pendant lesquels j’ai eu la curiosité de voir les petites-Maisons. J’y ai trouvé mon Fils que je croiois [463] perdu ; mais, helas, il est plus perdu pour moi, que si je ne l’avois point recouvré. Je ne maudirai pas votre Fille, comme vous avez maudit mon Fils. Nos deux Familles ont été la ruine l’une de l’autre. Je vais le faire habiller & vous l’envoïer, afin que vous le puissiez voir. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 4

Après avoir lû cette Lettre, j’allai chercher la Fille du Malade, qui arriva justement assez-tôt pour lui demander sa benediction, & le voir expirer. Elle se mit ensuite à le baiser de toute sa force, & à dire qu’elle souhaiteroit d’être enterrée avec lui & son Enfant dans le même Tombeau. Elle ajouta qu’elle avoit quelque pressentiment qu’elle mourroit en moins d’une heure. Là-dessus le jeune Fou, qui l’avoit aimée, entra dans la chambre, oú il ne l’eut pas plutôt découverte, qu’il tira son épée, & la poignarda sur le corps de son Pere. Cela fait, il se poignarda lui-même.

En réponse à la Lettre que le Pere de ce jeune Furieux avoit écrite, on ne manqua pas de l’avertir de cette sanglante catastrophe, dont il fut si touché, qu’il en perdit l’esprit, & qu’il extravagua toute sa vie.

C’est ainsi qu’un moment d’un Amour illicite
Un déluge de maux attire dans la suite. » ◀Allgemeine Erzählung ◀Dialog ◀Ebene 3 ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1C’est une espece de Jeu, semblable à celui du Royal-Oak, ou du Chêne Royal, qui fut suprimé sous le dernier Regne, & dont on n’a presque changé le nom, pour éluder les termes de la Loi.