LXVI. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Katharina Jechsmayr Editor Katharina Tez Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 04.11.2014 o:mws.2935 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome VI. Paris: François-Guillaume l’Hermitte 1726, 414-421, Le Spectateur ou le Socrate moderne 6 066 1726 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Autopoetische Reflexion Riflessione Autopoetica Autopoetical Reflection Reflexión Autopoética Réflexion autopoétique Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Westminster Abbey -0.12846,51.49937 United Kingdom London London -0.12574,51.50853 France 2.0,46.0

LXVI. Discours

Is demum mihi vivere, atque frui anima videtur, qui aliquo negotio intentus, præclari facinoris aut artis bonæ famam quærit.

Sall. Bell. Catil. c. 2.

Celui-là seul me paroit jouïr de la vie qui s’occupe à quelque chose de solide & qui travaille à se rendre fameux par quelque belle action, ou par quelque invention utile à la Societé.

Sur Layman célèbre Mme Anglois.

J’ai toujours eu de l’indignation, & je l’ai souvent témoigné, contre cette espèce de Monstres, qu’on apelle des Faiseurs de postures. Il n’y a rien de si choquant, ni de si hideux que leurs contorsions, qui démontent, pour ainsi dire, l’Ouvrage le plus regulier de la Nature, & qui aboutissent à le rendre le plus ridicule qu’il est possible. On croiroit, à les voir agir, que de concert avec le plus cruel Ennemi du Genre Humain, ils travaillent à porter les Hommes d’abord au dégoût, ensuite au mépris, & enfin à la haine de cette Image celeste, qu’ils devroient être ambitieux d’honorer toute leur vie.

Mais Guill. Layman, un Drôle de bonne mine, a trouvé le secret, par ses longs Voïages & une aplication assidue, de tourner cette pratique odieuse en un Art fort louable, qui peut bien contribuer à l’honeur & à l’avantage de toute notre Espèce. La maniere dont il s’y prend n’est pas moins utile de nos jours à rectifier l’exterieur des Hommes, que l’étude des Sciences le peut être à former l’esprit & le cœur.

Il est si adroit à donner à son corps toutes les attitudes imaginables, qu’en deux heures de tems, depuis les dix heures du matin jusqu’à midi, je lui ai vû jouer une infinité de Rôles. Il s’en aquitta d’une maniere si vive & si naturelle, que les muscles de mon visage en soufrirent un peu, qu’il déconcerta mon air grave, & que je fus obligé de rire à diverses reprises.

Il se mit d’abord à marcher d’un air grave & serieux, avec un regard, tantôt calme quoiqu’atentif, tantôt composé, quoique plein de ruse ; tantôt fier, mais insinuant ; tantôt negligé, mais qui marquoit du dessein ; tantôt malin, & d’ailleurs comique ; tantôt niais, & malgré cela dangereux. Ensuite il secoua la tête, il haussa les épaules, il inclina tantôt une oreille & tantôt l’autre, à droite & à gauche, à la maniere des gens mysterieux qui parlent tous bas à l’oreille de leurs voisins. Après, il fixa tout d’un coup les traits de son visage, & il le monta, pour m’exprimer avec Shakespear, sur le ton politique, afin de tromper ceux qui l’observoient, comme s’il leur avoit dit, Messieurs, je suis plus habile que vous ne croïez. Cet honête Mime joua ce Rôle d’un sérieux si plaisant & si naturel, que je le pris au pié de la lettre pour un véritable Politique moderne.

Le second Personnage qu’il représenta, fut un Prince Ecclesiastique à Calote rouge, & il me parut, non pas un prétendu, mais un vrai Ministre d’Etat. Il n’eut pas plutôt quitté la robe de Cardinal & le Chapeau rouge, qu’orné d’une Commode, d’un Manteau de Femme & d’une Jupe, il prit cet air doux & hautain, & fit cent de ces minauderies propres à une Belle qui est parvenue à être Gouvernante en Chef des affaires publiques de la Coqueterie.

Un moment après, il se métamorphosa en un de ces venérables Vieillards, qui sont établis pour décider de la vie & de la fortune de leurs Compatriotes ; & il s’aquitta de toutes les formalitez du Tribunal avec tant de gravité & de bienséance, que notre Expression proverbiale, aussi grave qu’un Juge, pourroit bien avoir tiré son origine d’un Homme tel que celui qu’il nous dépeignit. Dans un clin d’œil, sa robe écarlate fut mise bas, à peu-près de la même maniere qu’une Danseuse de corde laisse tomber sa Jupe pour montrer sa Culote, & il parut en Justaucorps rouge, fait suivant toutes les regles de la nouvelle Mode & chamarré de Galon d’or sur toutes les coûtures. Les deux coins de sa longue Perruque, qui pendoient sur le devant & qui lui donnoient un air si grave, furent jettez sur les épaules d’un air fort dégagé, & il nous représenta au naturel un de ces Etourdis égrillards, qu’on apelle petits-Maîtres, ou Fats, d’où est sortie la nombreuse engeance de tous les Boufons, Scaramouches, & Jeans-Potages qui portent la joie dans toutes les Foires, Villes, Bourgs & Villages de la Chrétienté.

Après avoir fait bien des grimaces dévotes, porté la Crosse, le Camail, & le Rochet, & s’être dépouillé, avec la même vitesse, de tous ces Ornemens Episcopaux, il parut en Habit militaire, l’Epée au côté, & un Bâton de commandement à la main. Vous auriez dit, à le voir, que c’étoit l’Evêque le plus saint, & l’Officier le plus brave qu’il y ait jamais eu.

Ensuite revétu d’un Habit à l’antique & modeste, il se transforma en rigide observateur de l’ordre, de l’économie & de tout ce qui est honorable, en Homme délicat au dernier point sur la reputation de toutes les Femmes qui l’abordoient, d’une gaieté si morne, d’un serieux si affecté, & d’une tête si dure, qu’on l’auroit cru incapable de perdre jamais l’esprit. Malgré tout cela, en moins d’une Minute, son Manteau long fut changé en Cuirasse, & sa Rapiere en Lance ; de sorte que Don Quichotte de la Manche n’a jamais été un Original plus grotesque.

Le dernier Rôle qu’il joua fut celui d’un Vieux Taquin, métamorphosé tout d’un coup en un Paїsan, le plus rustre, & le plus grossier que j’aie vû de mes jours.

Lorsqu’il eut achevé tous ces Rôles, & qu’il eut repris son air naturel, nous eumes ensemble un long dialogue sur l’utili-té de sa Profession. Il faut que vous sachiez , me dit-il, Mr. le Spectateur, que les Tableaux ont été mes Livres ; que les plus magnifiques Palais que l’on puisse voir en Europe, où il y a quelque amas de belles Peintures, m’ont servi de Bibliotheques ; que j’ai passé la meilleure partie de mon tems chez les Cardinaux, dans le Palais de Borghese, que le fameux Michel Ange apelloit son Ecôle, à Versailles, à Marli, & à la Cour d’Espagne ; qu’avec tout cela je ne serois jamais devenu Professeur dans ce nouvel Art, & dans toutes ses diférentes branches, & que mes Disciples ne l’emporteroient pas sur tous les autres, si je n’avois parcouru tous les Paїs civilisez qui font aujourd’hui la plus belle figure dans le Monde.

Je l’interrompis ici, & je le priai de me dire qui étoient les Personages qu’il venoit de représenter.

Monsieur, me repliqua-t-il, vous connoissez le premier ; il vint des Montagnes du Paїs de Galles, & il perdit son tems avec une Baguette à la main de grande importance, & je l’ai copié d’après Kneller. A l’égard des deux suivans, pour vous les faire connoitre, il sufira de vous dire que l’un étoit Cardinal, & l’autre sa Niéce, qu’il laissa une des plus riches Dames qu’il y eut alors en Europe. Les deux qui viennent ensuite ne représentent qu’un seul & même Homme. Quel autre Paїs que la France pour-roit produire un Original, qui fût en même tems un Juge grave, un Fat insuportable & un Boufon ridicule ? Ne l’ai-je pas d’ailleurs assez bien représenté pour le faire connoitre ; sans qu’il faille marquer son Nom en Lettres capitales ? Le double Portrait qui a suivi ces deux-là n étoit aussi que pour une Personne ; je l’ai copié en Allemagne, dans l’Electorat de Cologne, d’après un Original que j’ai vu le matin sous la figure d’un Archange de l’Eglise triomphante, & l’après-midi revêtu d’une Cuirasse, comme un véritable Fils de cette Eglise, qui n’a jamais perdu l’occasion de paroître militante. Le Rôle que j’ai joué ensuite a été pris sur un Portrait Roїal en Espagne. Pour le dernier Personage que j’ai représenté, ce n’est qu’une Ebauche grossiere d’un vieux Original que je vis à Utrecht en revenant ici

Je dis à Mr Layman, qu’il auroit pû devenir un excellent Boufon de Roi, & faire sa fortune en Espagne ou en France, où l’on a si grand besoin d’un pareil exercice.

Il me répondit, qu’il étoit venu fort à propos en Angleterre, quoiqu’il n’eût eut le tems que d’y copier cet Homme qu’il avoit représenté devant moi ; mais que cela valoit encore mieux que de jouer à se faire mettre à la Bastille, ou à l’Inquisition.

Enfin, il s’ofrit à me servir de Modèle, & comme il n’a pas dequoi s’exercer à la Cour, il s’est engagé à me représenter toutes les petites Folies & tous les Caractères grotesques qui fourmillent dans la vaste étendue de Londres & de Westminster, afin que je les puisse décrire au naturel. J’ai accepté son offre pour l’avantage du Public, quoiqu’il m’en coûte bien cher, & je me servirai à l’avenir de cette Satire vivante, pour corriger mes Compatriotes de leurs petits défauts. Il m’a convaincu qu’il y a certaines Postures plus capables d’animer un Auteur à écrire avec esprit, que d’autres, & que placé dans mon Fauteuil, à la maniere de Scaron, je ferai non seulement une figure plus grotesque dans mon Cabinet, mais aussi dans mes Ecrits ; ce qui ne peut tourner qu’au profit de mes Lecteurs de l’un & de l’autre Sexe.

LXVI. Discours Is demum mihi vivere, atque frui anima videtur, qui aliquo negotio intentus, præclari facinoris aut artis bonæ famam quærit. Sall. Bell. Catil. c. 2. Celui-là seul me paroit jouïr de la vie qui s’occupe à quelque chose de solide & qui travaille à se rendre fameux par quelque belle action, ou par quelque invention utile à la Societé. Sur Layman célèbre Mme Anglois. J’ai toujours eu de l’indignation, & je l’ai souvent témoigné, contre cette espèce de Monstres, qu’on apelle des Faiseurs de postures. Il n’y a rien de si choquant, ni de si hideux que leurs contorsions, qui démontent, pour ainsi dire, l’Ouvrage le plus regulier de la Nature, & qui aboutissent à le rendre le plus ridicule qu’il est possible. On croiroit, à les voir agir, que de concert avec le plus cruel Ennemi du Genre Humain, ils travaillent à porter les Hommes d’abord au dégoût, ensuite au mépris, & enfin à la haine de cette Image celeste, qu’ils devroient être ambitieux d’honorer toute leur vie. Mais Guill. Layman, un Drôle de bonne mine, a trouvé le secret, par ses longs Voïages & une aplication assidue, de tourner cette pratique odieuse en un Art fort louable, qui peut bien contribuer à l’honeur & à l’avantage de toute notre Espèce. La maniere dont il s’y prend n’est pas moins utile de nos jours à rectifier l’exterieur des Hommes, que l’étude des Sciences le peut être à former l’esprit & le cœur. Il est si adroit à donner à son corps toutes les attitudes imaginables, qu’en deux heures de tems, depuis les dix heures du matin jusqu’à midi, je lui ai vû jouer une infinité de Rôles. Il s’en aquitta d’une maniere si vive & si naturelle, que les muscles de mon visage en soufrirent un peu, qu’il déconcerta mon air grave, & que je fus obligé de rire à diverses reprises. Il se mit d’abord à marcher d’un air grave & serieux, avec un regard, tantôt calme quoiqu’atentif, tantôt composé, quoique plein de ruse ; tantôt fier, mais insinuant ; tantôt negligé, mais qui marquoit du dessein ; tantôt malin, & d’ailleurs comique ; tantôt niais, & malgré cela dangereux. Ensuite il secoua la tête, il haussa les épaules, il inclina tantôt une oreille & tantôt l’autre, à droite & à gauche, à la maniere des gens mysterieux qui parlent tous bas à l’oreille de leurs voisins. Après, il fixa tout d’un coup les traits de son visage, & il le monta, pour m’exprimer avec Shakespear, sur le ton politique, afin de tromper ceux qui l’observoient, comme s’il leur avoit dit, Messieurs, je suis plus habile que vous ne croïez. Cet honête Mime joua ce Rôle d’un sérieux si plaisant & si naturel, que je le pris au pié de la lettre pour un véritable Politique moderne. Le second Personnage qu’il représenta, fut un Prince Ecclesiastique à Calote rouge, & il me parut, non pas un prétendu, mais un vrai Ministre d’Etat. Il n’eut pas plutôt quitté la robe de Cardinal & le Chapeau rouge, qu’orné d’une Commode, d’un Manteau de Femme & d’une Jupe, il prit cet air doux & hautain, & fit cent de ces minauderies propres à une Belle qui est parvenue à être Gouvernante en Chef des affaires publiques de la Coqueterie. Un moment après, il se métamorphosa en un de ces venérables Vieillards, qui sont établis pour décider de la vie & de la fortune de leurs Compatriotes ; & il s’aquitta de toutes les formalitez du Tribunal avec tant de gravité & de bienséance, que notre Expression proverbiale, aussi grave qu’un Juge, pourroit bien avoir tiré son origine d’un Homme tel que celui qu’il nous dépeignit. Dans un clin d’œil, sa robe écarlate fut mise bas, à peu-près de la même maniere qu’une Danseuse de corde laisse tomber sa Jupe pour montrer sa Culote, & il parut en Justaucorps rouge, fait suivant toutes les regles de la nouvelle Mode & chamarré de Galon d’or sur toutes les coûtures. Les deux coins de sa longue Perruque, qui pendoient sur le devant & qui lui donnoient un air si grave, furent jettez sur les épaules d’un air fort dégagé, & il nous représenta au naturel un de ces Etourdis égrillards, qu’on apelle petits-Maîtres, ou Fats, d’où est sortie la nombreuse engeance de tous les Boufons, Scaramouches, & Jeans-Potages qui portent la joie dans toutes les Foires, Villes, Bourgs & Villages de la Chrétienté. Après avoir fait bien des grimaces dévotes, porté la Crosse, le Camail, & le Rochet, & s’être dépouillé, avec la même vitesse, de tous ces Ornemens Episcopaux, il parut en Habit militaire, l’Epée au côté, & un Bâton de commandement à la main. Vous auriez dit, à le voir, que c’étoit l’Evêque le plus saint, & l’Officier le plus brave qu’il y ait jamais eu. Ensuite revétu d’un Habit à l’antique & modeste, il se transforma en rigide observateur de l’ordre, de l’économie & de tout ce qui est honorable, en Homme délicat au dernier point sur la reputation de toutes les Femmes qui l’abordoient, d’une gaieté si morne, d’un serieux si affecté, & d’une tête si dure, qu’on l’auroit cru incapable de perdre jamais l’esprit. Malgré tout cela, en moins d’une Minute, son Manteau long fut changé en Cuirasse, & sa Rapiere en Lance ; de sorte que Don Quichotte de la Manche n’a jamais été un Original plus grotesque. Le dernier Rôle qu’il joua fut celui d’un Vieux Taquin, métamorphosé tout d’un coup en un Paїsan, le plus rustre, & le plus grossier que j’aie vû de mes jours. Lorsqu’il eut achevé tous ces Rôles, & qu’il eut repris son air naturel, nous eumes ensemble un long dialogue sur l’utili-té de sa Profession. Il faut que vous sachiez , me dit-il, Mr. le Spectateur, que les Tableaux ont été mes Livres ; que les plus magnifiques Palais que l’on puisse voir en Europe, où il y a quelque amas de belles Peintures, m’ont servi de Bibliotheques ; que j’ai passé la meilleure partie de mon tems chez les Cardinaux, dans le Palais de Borghese, que le fameux Michel Ange apelloit son Ecôle, à Versailles, à Marli, & à la Cour d’Espagne ; qu’avec tout cela je ne serois jamais devenu Professeur dans ce nouvel Art, & dans toutes ses diférentes branches, & que mes Disciples ne l’emporteroient pas sur tous les autres, si je n’avois parcouru tous les Paїs civilisez qui font aujourd’hui la plus belle figure dans le Monde. Je l’interrompis ici, & je le priai de me dire qui étoient les Personages qu’il venoit de représenter. Monsieur, me repliqua-t-il, vous connoissez le premier ; il vint des Montagnes du Paїs de Galles, & il perdit son tems avec une Baguette à la main de grande importance, & je l’ai copié d’après Kneller. A l’égard des deux suivans, pour vous les faire connoitre, il sufira de vous dire que l’un étoit Cardinal, & l’autre sa Niéce, qu’il laissa une des plus riches Dames qu’il y eut alors en Europe. Les deux qui viennent ensuite ne représentent qu’un seul & même Homme. Quel autre Paїs que la France pour-roit produire un Original, qui fût en même tems un Juge grave, un Fat insuportable & un Boufon ridicule ? Ne l’ai-je pas d’ailleurs assez bien représenté pour le faire connoitre ; sans qu’il faille marquer son Nom en Lettres capitales ? Le double Portrait qui a suivi ces deux-là n étoit aussi que pour une Personne ; je l’ai copié en Allemagne, dans l’Electorat de Cologne, d’après un Original que j’ai vu le matin sous la figure d’un Archange de l’Eglise triomphante, & l’après-midi revêtu d’une Cuirasse, comme un véritable Fils de cette Eglise, qui n’a jamais perdu l’occasion de paroître militante. Le Rôle que j’ai joué ensuite a été pris sur un Portrait Roїal en Espagne. Pour le dernier Personage que j’ai représenté, ce n’est qu’une Ebauche grossiere d’un vieux Original que je vis à Utrecht en revenant ici Je dis à Mr Layman, qu’il auroit pû devenir un excellent Boufon de Roi, & faire sa fortune en Espagne ou en France, où l’on a si grand besoin d’un pareil exercice. Il me répondit, qu’il étoit venu fort à propos en Angleterre, quoiqu’il n’eût eut le tems que d’y copier cet Homme qu’il avoit représenté devant moi ; mais que cela valoit encore mieux que de jouer à se faire mettre à la Bastille, ou à l’Inquisition. Enfin, il s’ofrit à me servir de Modèle, & comme il n’a pas dequoi s’exercer à la Cour, il s’est engagé à me représenter toutes les petites Folies & tous les Caractères grotesques qui fourmillent dans la vaste étendue de Londres & de Westminster, afin que je les puisse décrire au naturel. J’ai accepté son offre pour l’avantage du Public, quoiqu’il m’en coûte bien cher, & je me servirai à l’avenir de cette Satire vivante, pour corriger mes Compatriotes de leurs petits défauts. Il m’a convaincu qu’il y a certaines Postures plus capables d’animer un Auteur à écrire avec esprit, que d’autres, & que placé dans mon Fauteuil, à la maniere de Scaron, je ferai non seulement une figure plus grotesque dans mon Cabinet, mais aussi dans mes Ecrits ; ce qui ne peut tourner qu’au profit de mes Lecteurs de l’un & de l’autre Sexe.