Sall. Bell. Catil. c. 2.
Celui-là seul me paroit jouïr de la vie qui
s’occupe à quelque chose de solide & qui travaille à se rendre
fameux par quelque belle action, ou par quelque invention utile à la
Societé.
Faiseurs de
postures. Il n’y a rien de si choquant, ni de si hideux que
leurs contorsions, qui
Il est si adroit à donner à son corps toutes les attitudes imaginables, qu’en deux heures de tems, depuis les dix heures du matin jusqu’à midi, je lui ai vû jouer une infinité de Rôles. Il s’en aquitta d’une maniere si vive & si naturelle, que les muscles de mon visage en soufrirent un peu, qu’il déconcerta mon air grave, & que je fus obligé de rire à diverses reprises.
il le monta, pour m’exprimer
avec sur le ton politique, afin de tromper ceux qui
l’observoient, comme s’il leur avoit dit, Messieurs, je suis plus habile que vous ne croïez. Cet
honête Mime joua ce Rôle d’un sérieux si plaisant & si naturel,
que je le pris au pié de la lettre pour un véritable Politique
moderne.
Le second Personnage qu’il représenta, fut un Prince Ecclesiastique à
Calote rouge, & il me parut, non pas un prétendu, mais un vrai
Ministre d’Etat. Il n’eut pas plutôt quitté la robe de Cardinal
& le Chapeau rouge, qu’orné d’une Commode, d’un Manteau de Femme
& d’une Jupe, il prit cet air doux & hautain, & fit cent
de ces minauderies propres à une
Un moment après, il se métamorphosa en un de ces venérables
Vieillards, qui sont établis pour décider de la vie & de la
fortune de leurs Compatriotes ; & il s’aquitta de toutes les
formalitez du Tribunal avec tant de gravité & de bienséance, que
notre Expression proverbiale, aussi grave qu’un
Juge, pourroit bien avoir tiré son origine d’un Homme tel
que celui qu’il nous dépeignit. Dans un clin d’œil, sa robe écarlate
fut mise bas, à peu-près de la même maniere qu’une Danseuse de corde
laisse tomber sa Jupe pour montrer sa Culote, & il parut en
Justaucorps rouge, fait suivant toutes les regles de la nouvelle
Mode & chamarré de Galon d’or sur toutes les coûtures. Les deux
coins de sa longue Perruque, qui pendoient sur le devant & qui
lui donnoient un air si grave, furent jettez sur les épaules d’un
air fort dégagé, & il nous représenta au naturel un de ces
Etourdis égrillards, qu’on apelle petits-Maîtres, ou Fats, d’où est
sortie la nombreuse engeance de tous les Boufons, Scaramouches,
& Jeans-Potages qui portent la joie dans toutes les Foires,
Villes, Bourgs & Villages de la Chrétienté.
Ensuite revétu d’un Habit à l’antique & modeste, il se transforma
en rigide observateur de l’ordre, de l’économie & de tout ce qui
est honorable, en Homme délicat au dernier point sur la reputation
de toutes les Femmes qui l’abordoient, d’une gaieté si morne, d’un
serieux si affecté, & d’une tête si dure, qu’on l’auroit cru
incapable de perdre jamais l’esprit. Malgré tout cela, en moins
d’une Minute, son Manteau long fut changé en Cuirasse, & sa
Rapiere en Lance ; de sorte que
Le dernier Rôle qu’il joua fut celui d’un Vieux Taquin, métamorphosé
tout d’un coup en un Paїsan, le plus rustre, & le plus grossier
que j’aie vû de mes jours.
Lorsqu’il eut achevé tous ces Rôles, & qu’il eut repris son air
naturel, nous eumes ensemble un long dialogue sur l’utili-Il faut que vous sachiez , me dit-il, Mr. le Spectateur, que les Tableaux ont été mes
Livres ; que les plus magnifiques Palais que l’on puisse voir en
Europe, où il y a quelque amas de belles
Peintures, m’ont servi de Bibliotheques ; que j’ai passé la
meilleure partie de mon tems chez les Cardinaux, dans le Palais
de Borghese,
que le fameux Michel Ange apelloit son Ecôle, à
Versailles, à Marli, & à la Cour d’Espagne ; qu’avec
tout cela je ne serois jamais devenu Professeur dans ce nouvel
Art, & dans toutes ses diférentes branches, & que mes
Disciples ne l’emporteroient pas sur tous les autres, si je
n’avois parcouru tous les Paїs civilisez qui font aujourd’hui la
plus belle figure dans le Monde.
Je l’interrompis ici, & je le priai de me dire qui étoient les Personages qu’il venoit de représenter.
Monsieur, me repliqua-t-il, vous connoissez le premier ; il vint des Montagnes du Paїs de
Galles, &
il perdit son tems avec une Baguette à la main de grande
importance, & je l’ai copié d’après Kneller. A l’égard des
deux suivans, pour vous les faire connoitre, il sufira de vous
dire que l’un étoit Cardinal, & l’autre sa Niéce, qu’il
laissa une des plus riches Dames qu’il y eut alors en
Europe. Les deux qui viennent ensuite ne
représentent qu’un seul & même Homme. Quel autre Paїs que la
France pour-roit produire un
Original, qui fût en même tems un Juge grave, un Fat insuportable &
un Boufon ridicule ? Ne l’ai-je pas
d’ailleurs assez bien représenté pour le faire connoitre ; sans
qu’il faille marquer son Nom en Lettres capitales ? Le double
Portrait qui a suivi ces deux-là n étoit aussi que pour une
Personne ; je l’ai copié en Allemagne,
dans l’Electorat de Cologne, d’après un
Original que j’ai vu le matin sous la figure d’un Archange de
l’Eglise triomphante, & l’après-midi revêtu d’une Cuirasse,
comme un véritable Fils de cette Eglise, qui n’a jamais perdu
l’occasion de paroître militante. Le Rôle que j’ai joué ensuite
a été pris sur un Portrait Roїal en Espagne. Pour le dernier Personage que j’ai représenté,
ce n’est qu’une Ebauche grossiere d’un vieux Original que je vis
à Utrecht en revenant ici
Je dis à Mr Layman, qu’il auroit pû devenir
un excellent Boufon de Roi, & faire sa fortune en Espagne ou en France,
où l’on a si grand besoin d’un pareil exercice.
Il me répondit, qu’il étoit venu fort à propos en
Angleterre, quoiqu’il n’eût eut le tems
que d’y copier cet Homme qu’il avoit représenté devant moi ;
mais que cela valoit encore mieux que de jouer à se faire mettre
à la Bastille, ou à l’Inquisition.
Enfin, il s’ofrit à me servir de Modèle, &