Juv. Sat. XI. 27.
Connois-toi toi-même ; c’est un Oracle qui
vient du Ciel.
L’Humilité me paroît être la base de cette divine Colomne, & il
n’y a qu’un fondement aussi solide, qui en puisse bien soutenir le
poids. Notre Sauveur lui-même nous en a donné le Modèle ; &
l’histoire de sa vie est un tissu continuel de l’usage qu’il en
faisoit. Mais le monde est si peu disposé à suivre cet Exemple,
qu’on traite l’Humilité de bassesse d’ame, & les Humbles,
d’Esprits foibles & rampans. On n’en vient à cette fausse idée
que manque de reflexion, & pour ne pas connoitre la juste valeur
des choses. Les plaisirs criminels où l’on se plonge aveuglent
l’Esprit à un tel point ; qu’il n’a plus de goût pour les seuls
dignes de son estime. Cependant, y a-t-il quelqu’un qui se soit
abandonné aux premiers, & qui puisse dire qu’il n’en a jamais
senti aucun remors ? S’il se délivre de ceux ci, ce n’est qu’à la
longue, par le tumulte des passions, l’embarras des affaires, &
la variété des Objets mondains qui l’occupent. Encore n’en vient-il
pas à bout ; l’Age lui dessille les yeux, & c’est alors que le
Verse reveille, qu’il lui ronge le cœur, & qu’il ne lui donne
pas un mo-
De si tristes reflexions sont une suite naturelle de l’Orgueïl, au
lieu que l’Humilité n’en produit que de consolantes. Tout ce qui
l’environne lui plait ; elle n’est pas entêtée de son mérite, &
les injures ne l’émeuvent point. Capable de reflechir, elle voit les
choses dans leur véritable jour, & sent que la Vertu ne nous est
recommandée que pour notre propre avantage, même dès cette Vie. Il
n’y a que l’inatention, l’Oisiveté & l’Ignorance qui nous en
puisse donner une autre idée. En effet, rien ne contribue plus à
notre bonheur, que de regler nos passions, de rendre toute sorte de
bons offices à notre Prochain, de soufrir nos maux avec patience,
d’être juste & intègre dans le commerce de la Vie civile ; en un
mot de pratiquer tous les devoirs du Christianisme. C’est une
merveilleuse recette pour obtenir la santé, le contentement de
l’Esprit & même une longue vie. Tout au contraire, qui ne voit
que l’abandon aux Vices qui nous sont défendus nous attire une foule
d’embarras & de malheurs, qui se succédent les uns aux autres,
jusqu’à ce que le poids nous en devient insuporta-
Le célèbre dit-il, que de ceux
qui se regardent sans aucune vûe de Religion. Car il est vrai que
c’est une des merveilles de la Religion Chretienne, de reconcilier
l’Homme avec soi-même, en le reconciliant avec Dieu ; de lui rendre
la vûe de soi-même suportable ; & de faire que la solitude &
le repos soient plus agréables à plusieurs, que l’agitation & le
commerce des Hommes. Aussi n’est-ce pas en arrêtant l’Homme dans
lui-même qu’elle produit tous ces effets merveil-
De-là vient, ajoute-t-il ensuite, que tant de
personnes se plaisent au Jeu, à la Chasse & aux autres
Divertissemens qui occupent toute leur ame. Ce n’est pas qu’il y ait
en effet du bonheur dans ce que l’on peut aquerir par le moyen de
ces Jeux, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude soit dans
l’argent qu’on peut gagner au Jeu, ou dans le Lièvre que l’on court.
On n’en voudroit pas s’il étoit offert. Ce n’est pas cet usage mol
& paisible ; & qui nous laisse penser à notre malheureuse
condition, qu’on recherche ; mais c’est le tracas qui nous détourne
d’y penser.
Ainsi les divertissemens qui sont le bonheur des Hommes ne sont pas
seulement bas, ils sont encore faux & trompeurs ; c’est-à-dire
qu’ils ont pour objet des fantômes & des illusions, qui seroient
incapables d’occuper l’esprit de l’Homme, s’il n’avoit perdu le
sentiment & le goût du vrai bien, & s’il n’étoit rempli de
bassesse, de vanité, de legereté, d’orgueil & d’une infinité
d’autres Vices : ils
Les Hommes n’ayant pû guérir la mort, la misere, l’ignorance, se sont
avisez, pour se rendre heureux, de n’y point penser : c’est tout ce
qu’ils ont pû inventer pour se consoler de tant de maux. Mais c’est
une consolation bien miserable, puisqu’elle va, non pas à guérir le
mal, mais à le cacher simplement pour un peu de tems, & qu’en le
cachant elle fait qu’on ne pense pas à le guérir véritablement.
Ainsi, par un étrange renversement de la nature de l’Homme, il se
trouve que l’ennui, qui est son mal le plus sensible, est en quelque
sorte son plus grand bien, parce qu’il peut contribuer plus que
toutes choses à lui faire chercher sa véritable guérison ; & que
le divertissement, qu’il regarde comme son plus grand bien, est