Le Spectateur ou le Socrate moderne: LXIII. Discours
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LXIII. Discours
Cita/Lema
Quanquam animus
meminisse horret Luctuque refugit;
Lucipiam.
Lucipiam.
Virg. Æneid. II. 12.
Quoi que le souvenir m’en soit douloureux & que j’en aie quelque espèce d’horreur, cependant je vous en ferai le recit.Metatextualidad
Avanture d’un Seigneur
Anglois & de deux Femmes qu’il avoit en même tems.
Metatextualidad
Avanture d’un Seigneur
Anglois & de deux Femmes qu’il avoit en même tems.
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Carta/Carta al director
Mr. le Spectateur, « Pour
l’avantage du beau Sexe que vous instruisez, qu’il me
soit permis de lui offrir le Caractère de deux Femmes
les plus vertueuses que notre Siécle ait produit. Elles
peuvent servir d’ornement à leur Sexe, & relever la
gloire de notre Nation, qui ne se fera pas moins
d’honneur de les avoir mises au monde, que la Grèce s’en
faisoit autrefois d’avoir donné la naissance à Homere.
Je viens de vous exposer la
verité toute nue, & vous devez en être persuadé sur
la-parole de celui qui est, &c. » T.W
Relato general
Vous saurez donc qu’un
Seigneur, d’une des plus anciennes Familles du Roïaume, eut le bonheur d’épouser une
Dame, qui avoit toutes les qualitez du Corps &
de l’Esprit capables de le rendre heureux. Mais
insensible à cet avantage, il n’eut jamais pour elle
ni les égards ni la bienveillance qu’elle méritoit;
ce qui n’empêcha pas cette fidèle Epouse d’être
toûjours attachée à son devoir, & de lui
témoigner, au milieu des mauvais traitemens qu’elle
en recevoit, tote la soumission qu’il en pouvoit
attendre. Dans la suite on inspira le dessein à ce
jeune Seigneur d’en venir à une séparation, qu’il ne
tarda pas de communiquer à son Epouse. A l’ouïe de
cette nouvelle accablante, elle ne pût retenir ses
premiers mouvemens ; mais après s’être un peu
recueillie, & avoir essuïé ses larmes, elle se
jetta à ses piez, & lui parla en ces termes :
La séparation s’ensuivit, & Mylord lui accorda une Pension annuelle
proportionnée à sa naissance ; mais au bout de
quelque tems, il la diminua, & il lui ordonna de
s’éloigner de ses Parens & de ses amies, &
de renoncer à sa Qualité, afin qu’on ne sût pas,
dans sa nouvelle demeure, qui elle étoit. La bonne
Dame, qui avoit fait un long & rude aprentissage
de soumission, obéït, sans se plaindre, à la volonté
de son Tyran ; mais il lui retrancha si bien
peu-à-peu les moïens de sa subsistance, qu’il la
reduisit enfin à n’avoir plus de Servante, & que
le bruit courut bientôt par toute la Ville qu’elle
étoit morte. Sur cette fausse nouvelle, son Seigneur
en prit le deuil dans toutes les formes, & la
fit avertir en même tems par celui qui avoit le soin
de lui païer sa Pension tous les Quartiers, qu’il ne
lui donneroit plus rien, si elle s’avisoit de
revenir au Monde & de contredire ce raport.
Accoûtumée à l’obéissance, elle ne parut plus en
public, & personne ne se douta qu’elle fût
encore en vie. Quelque tems après un Gentilhomme de
ses Amis le pria à souper chez lui, où il eut
occasion de traverser la Cuisine. II y vit une jeune
Fille, dont le bon air le frapa si vivement, qu’il
voulut d’abord la saluer ; mais elle
s’en défendit d’une maniere si modeste & si
polie, que cela ne servit qu’à l’enflammer
davantage, & qu’il lui proposa sur le champ de
l’épouser. La jolie Servante lui repliqua là-dessus,
Mylord, il y a une si grande disproportion entre
vous & moi, & cette démarche vous seroit si
deshonorable, que je ne saurois croire que vous aïez
un pareil dessein ; mais, je me flate que la Bonté
divine me garantira de tomber dans le crime, &
de faire aucune action mal-honête. Le bon-sens &
la candeur de cette réponse ne firent qu’irriter la
passion de l’Amant, qui lui protesta qu’il n’avoit
autre chose en vûe que le Mariage, & qu’il ne
dépendoit que d’elle de le conclure avant la fin de
la semaine. En effet, peu de jours après on le
célébra, & la bonne conduite de la nouvelle
Epouse, ornée d’une pieté solide & d’une
profonde humilité, lui attira l’estime de ceux-là
même qui ne la connoissoient pas. Le bruit qui
s’étoit répandu de la mort de la premiere Epouse ne
reçut plus aucune contradiction ; celle-ci passa
pour l’unique & la véritable ; & elle fut
visitée & respectée par toutes les Dames de
qualité. Mylord oublia bientôt son ancienne
Compagne, & il la négligea d’une telle maniere, qu’elle n’auroit pas eu de quoi
vivre, si un genéreux Artisan, touché de compassion
envers elle, ne lui eut fait quelque crédit.
Endettée avec lui pour la Somme de dix Livres
Sterlin, elle fut le trouver & lui parla en ces
termes :
La bonne Dame y donna les mains, de sorte que
les Sergeans la saisirent, & qu’à mesure qu’ils
la conduisoient au-travers de la place de
Lincolns-Inn-Fields, vis-à-vis de l’Hôtel de son
Epoux, dans Holbourn-Row, elle refusa de passer outre. Alors les Sergeans, qui n’ont
aucun principe d’humanité, se mirent à la tirailler,
à la prendre par les cheveux & à déchirer ses
habits ; ce qui fit amasser la populace autour
d’eux, & causa un tel vacarme, que la Dame du
Logis couru à la Fenêtre pour voir ce que c’étoit. A
la vûe d’un si triste objet, elle y envoïa sa Femme
de Chambre, pour être mieux informée de tout, &
sur ce qu’elle apprit que c’étoit une pauvre Dame
qu’on menoit en prison pour une dette de dix Livres
Sterlin,
En effet elle quita sa Maison, & obtint
de lui qu’il reprendroit son ancienne Epouse, qui,
par les bons offices de la seconde, vêcut en paix
avec lui le reste de ses jours. Cette bonne Dame ne
fut pas plutôt morte, que Mylord reprit la seconde,
à laquelle il laissa, par son Testament, une Pension
viagere de 400. Livres Sterlin, qui étoit la plus
considerable que son bien lui permît de donner.
Cette illustre Veuve en destina 300. L. par an à une
des branches de la Famille de son Epoux tombée en
décadence, & afin que les 100. L.
qui lui restoient pûssent l’entretenir un peu
honêtement, elle se retira à la Campagne, où il n’y
a guere plus de quatre années qu’elle a terminé une
vie qui a édifié tous ceux qui avoient eu le bonheur
de la connoitre.
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Diálogo
Je sai, Mylord, que
je mérite les châtimens du Ciel, & peut-être
est-ce la volonté de Dieu que je subisse celui-ci,
quoi qu’il ne me semble pas de l’avoir mérité de
votre part ; mais puisque c’est votre desir, &
que je me suis toujours faite un devoir de vous
complaire, je suis, prête à soutenir cette
épreuve, la plus rude qui me soit jamais arrivée,
& vous n’avez vous-même qu’à en fixer le tems.
Nivel 4
Diálogo
Je vous suis déja
redevable d’une bonne Somme, & je n’ai rien
tant à cœur que de vous la païer ; mon cas est
fort extraordinaire, & dans l’esperance que
vous me garderez inviolablement le secret, je vous
dirai que je suis la Femme d’un Seigneur, qui en a
épousé une autre, & qui par sa négligence m’a
réduite dans ce cruel état ; mais, ce n qui
m’embarrasse le plus est votre dette ; je vous
prie de me donner votre avis là-dessus. Madame,
répliqua l’Artisan, permettez, s’il vous plaît,
que je vous fasse arrêter & que les Sergeans
vous maltraitent sous les Fenêtres de votre
Epoux ; mais soïez persuadée que j’aimerois mieux
perdre ma dette, que de souffrir qu’on en usât mal
envers vous, si je ne me flatois qu’il vous en
reviendra un avantage considerable.
Nivel 4
Diálogo
Oh, s’écria-t-elle,
qu’ils attendent un peu ; allez leur dire de ma
part qu’ils viennent ici, & que je les païerai
moi-même. Là-dessus un des Sergeans se présenta, à
qui elle dit, Pourquoi êtes-vous si cruels envers
cette pauvre Dame ? Elle est notre Prisonniere,
repliqua-t-il ; la Dette n’est pas païée; & le
Créancier a ordonné qu’elle fût conduite en
Prison. II est de notre devoir de l’y améner,
& parce qu’elle refuse d’y aller, nous sommes
obligez d’user de violence à son égard. Tenez, dit
la Dame, voilà votre Dette & vos frais ;
relâchez la Prisonniere, & faites-la venir
ici. Elle n’eut pas plutôt expédié les Sergeans,
qu’elle se tourna vers la Dame afligée, & lui
parla en ces termes : Madame, vous avez l’air
& les manieres d’une personne de
qualité ; ce qui redouble mon chagrin de vous voir
dans un état si déplorable. Je vous prie de me
dire qui vous êtes, & par quelle voie je
pourrai dans la suite fournir à vos besoins.
Madame, répondit la pauvre désolée, votre charité
me viendra toujours fort à propos ; mais je ne
voudrois pas que vous eussiez envie de me
connoître. Il faut, répliqua la Dame du Logis, que
je sâche qui vous êtes, afin que je puisse vous
secourir suivant votre qualité. Madame, reprit la
pauvre délaissée, il me paroit fort rude, qu’une
Personne aussi vertueuse & liberale que vous,
s’expose au chagrin qui peut lui revenir de ma
déclaration. Je ne vois pas, dit la nouvelle
Epouse, que j’y puisse avoir aucun autre intérêt,
que celui auquel la Charité m’engage envers tous
ceux qui en sont dignes. Je vous demande pardon,
ajouta la premiere, ceci vous touche de trop près.
Si cela est, répondit l’autre, je suis fondée à
l’exiger de vous. Puisque vous le prenez sur ce
pié-là, insista la pauvre Dame, vous saurez que je
suis l’Epouse legitime de Mylord C— — N, & que
j’ai droit sur lui avant vous ; ce que vous avez
ignoré, sans doute, & s’il eût daigné me
fournir les simples commoditez de la vie, mes
plaintes n’auroient jamais terni son Caractére,
persuadée que mon ressentiment n’auroit pas
prévenu son Crime, & que vous n’êtes coupable vous-même d’aucune faute, puisque le
bruit de ma Mort sert à vous justifier, &
qu’accoûtumée à faire de sa volonté la règle de
mes actions envers lui, j’avois obtenu sur moi de
lui complaire à cet egard & de n’en ouvrir
jamais la bouche, si une absolue nécessité ne
m’obligeoit d’en venir à un éclat. Madame, reprit
la nouvelle Epouse, je saurai ce qui en est avant
la Nuit & si le fait me paroit tel que vous le
dites, vous pouvez compter que non seulement je
renoncerai à la Couche de Mylord, mais que
j’emploïerai tous mes éforts pour vous reconcilier
ensemble. Je l’atens à toute heure, & il ne
seroit pas à propos qu’il vous trouvât ici à son
arrivée ; Ainsi je vous prie de me dire où vous
logez, afin que ma bonne intention pour vous ne
soit point inutile, & je vous conjure de
vouloir accepter cette Bourse, où vous trouverez
de quoi subvenir à vos besoins. La pauvre Dame fut
à peine sortie, que Mylord arriva, & que
surpris de l’accablement, où il vit sa Femme
plongée, il ne tarda pas à lui en demander la
cause. Mylord, lui dit-elle, un triste accident
vient de me découvrir un secret, sur lequel j’ai
une question à vous faire, & je vous suplie
d’y vouloir répondre de bonne foi, comme vous en
répondrez un jour devant Dieu ; votre premiere
Epouse est-elle encore en vie ? Après quelques momens de silence, Quoi ! Madame,
répondit-il, avez-vous entendu parler d’elle ? Il
n’y a pas une heure, repliqua-t-elle, que j’ai
païé une Dette pour la tirer d’entre les mains des
Sergeans, qui la menoient en prison, qui lui ont
déchiré ses habits & qui l’ont fort
mal-traitée parce qu’elle ne vouloit pas marcher.
C’est de sa propre bouche que j’ai apris sa
qualité & son état, il m’a semblé même qu’elle
ne me faisoit cet aveu qu’à contrecœur, dans la
crainte qu’il ne portât quelque préjudice à votre
reputation. Ainsi, Mylord, je ne vous serai plus
rien à l’avenir, quoique toûjours disposée à vous
rendre tous les services qui dépendront de moi,
& je ne goûterai jamais aucun repos que vous
ne soïez réuni avec votre premiere Epouse.