Le Spectateur ou le Socrate moderne: LXII. Discours
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LXII. Discours
Zitat/Motto
Sentio te sedem etiam
nunc Hominum ac domum contemplari : quae si tibi parva (ut
est) ita videtur, hæc cœlestia semper spectato : illa humana
contemnito.
Cicero. Somn. Scip. c. 6.
Je m’apperçois que vous contemplez ce Monde, où les Hommes font leur sejour ; mais s’il vous paroit peu de chose, comme il l’est en effet, élevez votre Esprit aux demeures célestes, & méprisez celles d’en-bas.Metatextualität
Sur la puissance de
Dieu & ce qui doit faire le Bonheur des Hommes dans une
autre Vie.
Metatextualität
Sur la puissance de
Dieu & ce qui doit faire le Bonheur des Hommes dans une
autre Vie.
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Metatextualität
L’Essai, que je vais donner ici
vient de l’ingenieux Auteur qui m’a écrit la Lettre, qu’on a
déja vûe, sur la force, de la Nouveauté. Ses idées sont
prises de la maniere de penser des Platoniciens, mais
propres à nous élever l’Esprit, & à nous inspirer de
nobles sentimens de notre grandeur future ; c’est pour cela,
que j’ai cru qu’elles méritoient d’être communiquées au
Public.
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« Si l’Univers est l’ouvrage d’un
Etre intelligent, cet Etre ne sauroit avoir eu
un égard immédiat à lui-même dans cette production. Il
n’avoit pas besoin de faire une épreuve de sa
toute-puissance, pour savoir de quoi il étoit capable. Le
monde renfermé dans ses idées éternelles, étoit aussi beau
qu’il l’est, depuis qu’il existe hors de lui ; &, dans
le vaste abyme de son essence, il y a des Scènes infiniment
plus brillantes qu’il n’en paroîtra jamais à la vûë ;
puisqu’il est impossible que l’Auteur de la Nature borne son
pouvoir à produire un Système de Créatures si parfait, qu’il
ne sauroit aller plus loin. Entre le Fini & l’Infini il
y a un intervalle qui ne se peut mesurer, & un vuide que
tous les siècles ne sauroient remplir ; c’est pourquoi le
plus excellent de tous les Ouvrages de Dieu est autant
au-dessous de l’étenduë de son Pouvoir que le plus
imparfait, & peut être surpassé par une autre de ses
productions avec la même facilité. Quelques-uns s’imaginent
là-dessus une chose qui n’est pas impossible, je veux dire,
que l’Espace infini nourrit toûjours dans son sein de
nouvelles Créatures, en sorte que les dernieres sont élevées
à un plus haut dégré de perfection que les précédentes.
Mais, comme ceci ne regarde pas tout-à-fait
mon but, je remarquerai seulement qu’il prouve d’une maniere
invincible, que les Mondes tracez dans les Idées Divines
forment un spectacle beaucoup plus étendu, plus varié &
plus agréable, que ne le peut être aucun Monde qui subsiste
déja. D’ailleurs, puisqu’il n’y a nulle apparence, que Dieu
voulût créer un monde composé de simple Matiere inanimé,
quelque varieté qu’il y mit ; ou pour servir d’Habitation à
des Créatures du même rang que les Bêtes brutes ; il faut
avouër qu’il a destiné ses Créatures raisonnables, eu égard
sur tout aux Faculteuz dont il les a douées, à contempler
ses Ouvrages, à le posseder lui-même, & à les rendre
heureuses par-là. II ne sauroit trouver plus de plaisir dans
la revûe de la Création, que dans celle de ses propres
Idées ; mais nous pouvons compter qu’il se plaît à voir la
satisfaction qu’en reçoivent des Etres qui en sont capables,
& pour l’amour desquels il a construit cette vaste
Fabrique de l’Univers. Ne peut-on pas tirer de-là quelque
chose de plus qu’une simple conjecture pour notre
Immortalité? L’homme, en qualité d’un Etre mis ici-bas à
l’épreuve, & destiné à joüir d’un
Bonheur éternel dans une autre Vie, est un Exemple fort
remarquable de la Sagesse Divine ; mais, à le regarder sans
aucun rapport à cet heureux avenir, c’est le composé le plus
énigmatique & le plus étrange qu’il y ait dans toute la
Création. Il a des Facultez qui peuvent embrasser une plus
grande étendue de Connoissances, qu’il n’en possedera
jamais, & une Curiosité insatiable pour fonder les
secrets de la Nature & de la Providence. Avec tout cela,
ses Organes sont plutôt ajustez à servir aux besoins de son
Corps, qu’aux operations de son Entendement ; &, du
petit coin de ce Globe, où il est enchaîné, il ne peut
former que des conjectures vagues sur ces Mondes
innombrables de lumiere qui l’environnent, & qui ne lui
paroissent, quoi que d’une grandeur prodigieuse en
eux-mêmes, que comme autant de lumignons. Enfin, lors
qu’après de longs & pénibles travaux, il a fait quelque
peu de chemin sur la Montagne escarpée de la Vérité, &
qu’il regarde avec compassion la Multitude qui rampe au bas,
le pié vient à lui manquer tout d’un coup, & il est
renversé dans le tombeau. Plein de ces idées, je suis obligé
de croire, pour rendre justice au Créateur de
l’Univers, qu’il doit y avoir une autre Vie, où l’Homme sera
mieux situé pour la Contemplation, ou plutôt aura le pouvoir
de se transporter d’Objet en Objet, ou d’un Monde à l’autre,
où il jouïra de nouveaux Sens, & de tous les moïens
requis pour faire les plus promtes & les plus étonnantes
découvertes. Quel ne sera pas l’essor d’un Génie tel que
celui du Chevalier Newton, qui est si élevé au-dessus des
ténèbres qui enveloppent l’Esprit Humain, qu’on le croiroit
d’une autre Espèce ! La vaste Machine de cet Univers n’a
rien de caché pour lui ; il semble connoitre toutes les loix
générales de ses mouvemens, & pendant qu’avec les
transports d’un Philosophe, il admire les merveilles de la
Création, il peut tout à-la fois rendre un hommage plus
saint & plus raisonnable à son Créateur. Mais hélas !
les vûes d’un heureux Génie sont au bout du compte si
bornées ! qu’elles le trouvent au-dessous de celles d’un
Ange, ou d’une Ame qui vient d’être délivrée du poids de son
Corps ! Pour moi, je suis bien aise que mon Ame s’atende à
jouïr de sa future grandeur ; je me plais à penser que moi,
qui ne connois qu’une très-petite partie des
Ouvrages de la Création, & qui me traine, à pas lents
& pénibles, d’un côté & d’autre, sur la surface de
ce Globe, je m’élancerai bientôt dans les airs avec la
legereté de l’Imagination, je découvrirai tous les ressorts
cachez de la Nature, j’irai d’un pas égal avec les Corps
célestes dans la rapidité de leur cours, j’observerai la
longue chaîne des Evenemens dans le Monde naturel & dans
le moral, je visiterai tous les Apartemens de l’Univers,
pour savoir ce qui s’y passe & quels en sont les
Habitans ; je concevrai l’ordre & je mesurerai les
grandeurs & les distances de ces Globes, qui nous
paroissent disposez sans aucun dessein regulier & tous
placez dans le même Cercle, je remarquerai la dépendance
qu’il y a entre les Parties de chaques Systêmes (sic), &
entre les diferens Systêmes les uns à l’égard des autres,
d’où résulte l’harmonie de l’Univers, si tant est que nos
Esprits soient assez vastes pour en pouvoir embrasser la
théorie. Il y a bien des progrès de cette nature que l’on
peut faire dans l’Eternité. Quoiqu’il en soit, je trouve
qu’il m’est utile de cherir cette généreuse ambition,
puisqu’outre la joie qu’elle répand dans mon Ame, elle m’engage à ne rien oublier pour donner de
l’etendue à mes Facultez, & à les exercer d’une maniere
conforme au rang que j’occupe ici-bas parmi les Etres
raisonnables & à l’esperance que j’ai d’être élevé un
jour à un grade plus éminent. L’autre fin & la derniere,
pour laquelle l’Homme a été créé, est la jouïssance de
Dieu ; ce qui fait le comble de son Bonheur, audelà duquel
il ne peut rien desirer. Les idées que nous avons de l’Etre
suprême sont peu distinctes ; il semble qu’il n’a pas voulu
se découvrir, ni se cacher tout-à-fait, pour tenir ses
Créatures en suspens, & les engager à reflechir. Cela
même donne occasion au Libertin de nier son existence,
pendant que la plûpart des autres se bornent à le confesser
de bouche, qu’ils le nient dans le fond du cœur, qu’ils lui
préferent les moindres plaisirs & les plus grandes
bagatelles du Monde, & qu’ils tournent en ridicule
l’Homme de bien, qui en a fait son choix. Mais, ne
viendra-t-il pas un jour, auquel les prétendus Esprits
forts, qui se piquent tant de raisonner juste, verront leurs
Systêmes impies renversez, & embrasseront les Veritez
qu’ils combatent aujourd’hui ? Ne viendra-t-il
pas un tems, auquel les Hommes seduits par le Vice
reconnoitront la folie de leurs vaines recherches, & que
le petit nombre de Sages, après avoir suivi leur Divin
Guide, méprisé les plaisirs sensuels avec toutes les
caresses trompeuses du Monde, & aspiré à leur Demeure
céleste, jouiront enfin de la vision de Dieu ? Ici-bas
l’Esprit s’élève de tems en tems vers son Créateur, & il
en reçoit quelques foibles traits de sa présence ; mais lors
qu’il croit de la mieux posseder, elle lui échape, & il
retombe dans son premier état. Il y a sans doute une
meilleure voie pour converser avec les Etres célestes.
Est-ce que les Esprits ne peuvent avoir entre eux une
correspondance mutuelle, s’ils ne sont unis à un Corps, ou
que par son intervention ? Faut-il que des Etres superieurs
dépendent des inferieurs pour jouïr de leur privilége
essentiel, en qualité de Créatures sociables, c’est-à-dire
pour s’entretenir ensemble, & se connoître les uns les
autres ? Qu’auroient-ils fait, si la Matiere n’eut jamais
été créée ? Sans doute ils n’auroient pas vécu dans une
éternelle solitude. Puisque les substances spirituelles sont
d’un rang plus nobles que les corporelles, il est certain
que leur communication doit être aussi plus
promte & plus intime. Nous l’appellons d’ailleurs Vision
intellectuelle, parce qu’elle a quelque analogie avec le
sens de la Vûe, qui nous sert à connoitre ce Monde visible.
C’est de quelque maniere aprochante, dont Dieu peut se
rendre l’Objet de la Vision immédiate des Bienheureux ;
& comme il le peut, il n’est pas hors d’apparence qu’il
le veut aussi, & qu’il aura toûjours égard à la
foiblesse de nos Esprits bornez. Ses Ouvrages n’ont qu’une
legere empreinte de ses perfections ; la connoissance qu’ils
nous en donnent, n’est, pour ainsi dire, que de la seconde
main : Pour en avoir une juste idée, il faut que nous le
voïons tel qu’il est. Mais en quoi consiste cette vûe ?
C’est quelque chose qui n’est jamais montée dans l’Esprit de
l’Homme ; quoi qu’il nous soit aisé de concevoir que ce sera
une source éternelle de transports inexprimables. Toute la
gloire des Créatures s’évanouïra en sa présence. Peut-être
que j’aurai le bonheur de comparer le Monde visible avec son
divin Modèle, ou d’observer le Plan original de ces vastes
& nobles Desseins qui se sont executez durant une longue
suite de siécles. Emploié donc ainsi à rechercher les Ouvrages de mon Créateur, & à l’admirer
lui-même, au milieu de l’immense étenduë de la Matiere, où
mon Corps se trouvera englouti, & de l’infinie grandeur
des Perfections Divines, dont mon Esprit sera absorbé, avec
quel respect & quels actes d’adoration ne serai-je pas
abatu aux piez de sa Majesté souveraine ! »