Le Spectateur ou le Socrate moderne: LIX. Discours
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Nivel 1
LIX. Discours
Cita/Lema
Explebo numerum,
reddarque tenebris.
Virg. Æneid. VI. 545.
J’acheverai le nombre projetté, & je retournerai ensuite dans les ténébres.Metatextualidad
Sur la Symétrie mal
entendue dans les Ouvrages d’esprit.
Metatextualidad
Sur la Symétrie mal
entendue dans les Ouvrages d’esprit.
Nivel 2
L’Amour de l’ordre & de la
symétrie, qui est naturel à l’Esprit de l’Homme, l’entraîne
quelquefois dans des fantaisies fort grotesques. Ce noble
Principe, dit un Auteur François, aime à s’amuser aux plus
grandes bagatelles. Vous pouvez voir ajoute-t-il, un profond
Philosophe se promener une heure de suite dans sa Chambre,
&, à chaque pas qu’il fait, s’appuïer à dessein tantôt sur
une planche, tantôt sur une autre. Il n’est aucun de mes
Lecteurs, qui ne se puisse rappeler, sans mon secours, divers
Exemples de cette nature. Il me semble que Mr Gregoire Leti
s’étoit préscrit la Loi de publier autant de
volumes qu’il avoit des années, & qu’il l’observa
ponctuellement jusqu’à l’année de sa mort. Peut-être fut-ce une
pareille vûe, qui determina Homere à diviser son Poëme en autant
de Livres qu’il y a des Lettres dans l’Alphabet Grec. C’est
ainsi qu’Herodote a reglé le nombre de ses Livres sur celui des
Muses ; ce qui a fait souhaiter à bien des Savans qu’il y eût eu
plus de neuf de ces illustres Sœurs. Divers Poëtes Epiques ont
suivi scrupuleusement Virgile à l’égard du nombre de ses Livres,
& l’on croit même que Milton n’a changé le nombre de ses dix
Livres en douze que pour cette raison-là Cowley nous dit de
bonne foi que, s’il eût achevé sa Davideïde, il auroit imité cet
Exemple. Cependant j’ose croire que tout le monde tombera
d’accord avec moi, qu’une perfection de cette nature n’est point
fondée en Raison ; & qu’avec le respect dû à ces grand Noms,
on peut la regarder comme quelque chose de bizare. J’allégue
tous ces grand Exemples pour justifier mon Libraire qui a exigé
de moi ce huitiéme Volume, parce qu’à son goût le nombre de sept
est fort singulier. D’un autre côté, il y eut de puissantes
raisons avancées pour soutenir l’honneur de ce dernier Nombre :
Par exemple on lui dit que c’étoit celui des Sages
de la Gréce, & que la plus belle des Constellations célestes
est composée de sept Etoiles. Il ne les desavouoit pas ; mais il
revenoit toujours à la charge que ce Nombre lui déplaisoit. Il
insinua d’ailleurs que, s’il avoit quelques Pièces pour entammer
le Volume, il trouveroit assez d’Amis prêts à le continuer. De
sorte qu’après avoir obtenu sa demande, & mis, pour ainsi
dire, son Vaisseau à flot, il en a donné, de temps en temps, la
conduite à ceux qu’il a cru capables de le bien gouverner.
Peut-être qu’à la fin de ce Volume, à laquelle on doit
s’attendre au premier jour, 1on mettra les Noms des Auteurs de
chaque Pièce. Il ne seroit pas difficile de continuer plus long
temps cet Ouvrage à la faveur des grandes contributions qui
viennent de differentes mains inconnues.
Metatextualidad
Pour donner à la Ville une haute opinion de mes
Correspondans, je ne sâche pas qu’il y ait de meilleur moïen
que celui de publier la Lettre suivante, avec la Piéce en
Vers qui l’accompagne, dont le sujet me paroit tout neuf,
& l’expression fort énergique.
Metatextualidad
Lettres sur les Dames d’un Esprit poëtique, & qui
devroient s’occuper à faire des Grotes.
Metatextualidad
Lettres sur les Dames d’un Esprit poëtique, & qui
devroient s’occuper à faire des Grotes.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Mr. le Spectateur De Dublin le
30. Novembre V. S. 1714. « Il n’y a guère plus d’un Mois
2que
vous avez recommandé aux Dames qui lisent vos Discours
la bonne & ancienne Coûtume de leurs Grand-Meres,
qui emploïent une bonne partie de leur tems aux Ouvrages
à l’Aiguille : Je suis absolument de votre avis, &
je crois qu’il ne leur seroit pas moins avantageux, qu’à
leur Posterité & à la reputation de plusieurs de
leurs honêtes Voisins, si elles donnoient à cet innocent
Exercice la plûpart de ces heures qu’elles perdent
autour d’une Table à Thé. Avec tout cela je souhaiterois
que vous prissiez la peine de considerer le Cas des
Dames qui ont l’Esprit tourné à la Poësie, & qui,
malgré leur disposition à recevoir tous vos avis, ne
sauroient quiter la Plume & le papier aussi
facilement que vous pourriez le croire. Permettez, s’il
vous plait, qu’après s’être fatiguées à leur Tapisserie,
elles s’amusent, du moins de tems en tems, à quelque
autre Exercice capable d’occuper leur Imagination. Il y
a un Ouvrage fort singulier de cette nature, auquel
plusieurs de nos Dames dans ce Roïaume
viennent de s’attacher avec beaucoup d’ardeur, & qui
semble quadrer le mieux du monde au Génie Poëtique ; je
veux parler de l’Art de faire des Grotes. Je connois une
Dame qui en a élevé une très-superbe, & où il n’y a
pas une seule petite Coquille, que sa main n’y ait
placé. & je suis &c.
A. B.
Metatextualidad
Je vous envoie une
Pièce en Vers adressée à la belle Architecte, mais
que je ne voudrois pas lui ofrir, à moins que je ne
sâche si le Spectateur Anglois approuvera cet
Amusement pour les Dames. Je les soumets l’un &
l’autre à votre censure
Cita/Lema
A Mlle. Brunette
sur la Grote de sa façon. Qui ne voit votre main,
Brunette, en cet Ouvrage,
Et qu’elle autre que vos s’en fût tracé l’Image ?
Chaque petit Caillou, chaque Coquille ici,
Montre de vos dix doigts l’adresse en raccourci :
L’ordre & la proportion qu’eu tout vous leur prêtez,
Relevent à l’envi leurs premieres beautez :
La forme, le poli, la couleur, l’agrément,
Sont dûs à la Nature, à vous l’arrangement.
Le célèbre Amphion, dont tout le monde admire
Les effets surprenans de sa charmante Lyre,
N’auroit, avec ses sons les plus harmonieux,
Jamais pû les ranger, ni les disposer mieux.
La Nuée du soir n’est pas plus ondoïante,
Et l’Arc-en-Ciel n’a point de couleur plus riante.
Quelle part, la Nature a produit un Morceau,
Si noble & regulier que ce riche Monceau ?
Elle offre des couleurs qui plaisent à la vûe,
Mais il semble qu’elle est du reste dépourvûe.
S’il est vrai que ses traits échapent à nos yeux,
Et que, pour les bien voir, il faut venir des Cieux.
Quoiqu’il en soit, charmé d’un si rare spectacle,
Mon cœur est plein de feu, je me crois un Oracle ;
Ma Mine m’étourdit, & veut ajouter foi
Aux Fables des Anciens, aux Nymphes, malgré moi :
Croire ce qu’on en chante, & que votre Genie
Leur a bati ce Temple avec tant d’industrie :
Perdue en ses transports, elle veut décourvrir,
Comment, par quels degrez, vous l’avez pû finir ;
Elle veut dans ses Vers en tracer l’assemblage,
Et de chaque beauté peindre la vive image ;
Suivre par tout les traits de votre habile main,
Et par tout admirer son art presque divin.
Oh ! que n’ai-je un talent égal à mon envie !
Ou que n’ai-je plutôt votre rare Genie !
Que ne puis-je ranger, tout aussi bien que vous,
Un Coquillage brut, & d’informes Caillous !
Mes termes bien choisis, & postez à leur place,
Auroient, de même qu’eux, du brillant, de la grace ;
Mes Nombres animez d’un feu si pur, si beau,
Charmeroient les Esprits, comme votre Berceau.
J’éléverois alors ma voix foible & tremblante ;
Ma Rime ne seroit ni fausse, ni rempante,
Et l’Echo de la Grote approuveroit mes Vers,
Faits pour vous célébrer dans tout cet Univers.
Et qu’elle autre que vos s’en fût tracé l’Image ?
Chaque petit Caillou, chaque Coquille ici,
Montre de vos dix doigts l’adresse en raccourci :
L’ordre & la proportion qu’eu tout vous leur prêtez,
Relevent à l’envi leurs premieres beautez :
La forme, le poli, la couleur, l’agrément,
Sont dûs à la Nature, à vous l’arrangement.
Le célèbre Amphion, dont tout le monde admire
Les effets surprenans de sa charmante Lyre,
N’auroit, avec ses sons les plus harmonieux,
Jamais pû les ranger, ni les disposer mieux.
La Nuée du soir n’est pas plus ondoïante,
Et l’Arc-en-Ciel n’a point de couleur plus riante.
Quelle part, la Nature a produit un Morceau,
Si noble & regulier que ce riche Monceau ?
Elle offre des couleurs qui plaisent à la vûe,
Mais il semble qu’elle est du reste dépourvûe.
S’il est vrai que ses traits échapent à nos yeux,
Et que, pour les bien voir, il faut venir des Cieux.
Quoiqu’il en soit, charmé d’un si rare spectacle,
Mon cœur est plein de feu, je me crois un Oracle ;
Ma Mine m’étourdit, & veut ajouter foi
Aux Fables des Anciens, aux Nymphes, malgré moi :
Croire ce qu’on en chante, & que votre Genie
Leur a bati ce Temple avec tant d’industrie :
Perdue en ses transports, elle veut décourvrir,
Comment, par quels degrez, vous l’avez pû finir ;
Elle veut dans ses Vers en tracer l’assemblage,
Et de chaque beauté peindre la vive image ;
Suivre par tout les traits de votre habile main,
Et par tout admirer son art presque divin.
Oh ! que n’ai-je un talent égal à mon envie !
Ou que n’ai-je plutôt votre rare Genie !
Que ne puis-je ranger, tout aussi bien que vous,
Un Coquillage brut, & d’informes Caillous !
Mes termes bien choisis, & postez à leur place,
Auroient, de même qu’eux, du brillant, de la grace ;
Mes Nombres animez d’un feu si pur, si beau,
Charmeroient les Esprits, comme votre Berceau.
J’éléverois alors ma voix foible & tremblante ;
Ma Rime ne seroit ni fausse, ni rempante,
Et l’Echo de la Grote approuveroit mes Vers,
Faits pour vous célébrer dans tout cet Univers.