Le Spectateur ou le Socrate moderne: LVIII. Discours
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Nivel 1
LVIII. Discours
Cita/Lema
Simplex
munditiis.
Hor. L. I. Ode V. 5.
Simple dans ses parures.Metatextualidad
La Propreté envisagée
sous trois diferens égards.
Metatextualidad
La Propreté envisagée
sous trois diferens égards.
Nivel 2
Relato general
Il y a peu de jours qu’obligé
d’aller à quelques milles de Londres dans un Coche public,
j’y eus pour compagnie un petit-Maître fort sale, avec une
jeune & jolie Quakre fort propre. Comme je n’étois pas
alors d’humeur à causer beaucoup, je me plaçai sur le
derriere, dans le dessein de les examiner tous deux, &
d’en faire le sujet d’une de mes Speculations. Leurs
diferentes Figures sufisoient pour me rendre attentif. D’un
autre côté, D’ailleurs ce
contraste me fournit l’occasion de reflechir sur la
Propreté, de l’envisager comme une de ces demi-Vertus, dont
Aristote nous parle, & de la considerer sous ces trois
diferentes vûes ; en ce qu’elle est une marque de
Politesse ; en ce qu’elle produit l’Amour, & en ce
qu’elle a quelque analogie avec la pureté de l’Esprit. Je
dis en premier lieu qu’elle est une marque de Politesse.
Tout le monde convient qu’une personne qui n’est pas ornée
de cette qualité ne sauroit paroître en Compagnie sans choquer tous ceux qui s’y trouvent. Plus
une Personne est riche & à son aise, plus elle est
engagée à s’aquiter de ce devoir. Les diferens Peuples du
Monde se font autant distinguer par leur Propreté, que par
les Arts & les Sciences. Plus une Nation est civilisée,
& plus elle a égard à cette partie de la Politesse. On
n’a qu’à comparer une Femme de Hotentot avec une de nos
Beautez Angloises, pour sentir la verité de ce que j’avance.
En deuxiéme lieu, on peut dire que la Propreté est la Mere
Nourrice de l’Amour. Il est vrai que la Beauté produit
d’ordinaire cette passion dans le cœur ; mais la Propreté
l’entretient & la conserve. Une Fille d’une beauté fort
mediocre, & qui se met toujours proprement a enlevé bien
des cœurs à une jolie Salope. La Vieillesse même a quelque
chose d’aimable, lors qu’elle est accompagnée d’un air
propre & net : Semblable à une Piece de Métal bien polie
& luisante, nous la regardons avec plus de plaisir qu’un
Vaisseau tout neuf qui est mangé de la rouille. Je pourrois
ajouter encore que, si la Propreté nous rend agreables aux
autres, elle nous fait nous-mêmes bien aises ; qu’elle est
un excellent preservatif pour la Santé ; & que plusieurs
Vices, qui vont à la ruine de l’Esprit & du
Corps, ne sauroient subsister avec cette Habitude. Mais
j’abandonne ces reflexions au loisir de mes Lecteurs, pour
observer en troisiéme lieu, qu’elle a une grande analogie
avec la pureté de l’Esprit, & qu’elle excite en nous,
par un effet naturel, de beaux sentimens & de nobles
passions. L’Experience nous enseigne que la force de la
Coûtume nous familiarise avec les Crimes les plus atroce,
& qu’elle en diminue l’horreur. Tout au contraire ceux
qui ont sans cesse de bons Exemples devant leurs yeux fuient
d’abord tout ce qui les choque. Il en est de nous à cet
égard à peu près comme de nos Idées. Nos Sens, qui sont les
Canaux à travers lesquels toutes les Images sont portées à
l’Esprit, n’y peuvent transmettre que les Impressions des
Objets, qui nous environnent d’ordinaire. Si ceux-ci ont de
la modestie & de la beauté dans leur espèce, ils nous
suggerent des pensées nobles & chastes. Parmi les
Orientaux, où la chaleur du Climat rend la Propreté plus
necessaire que dans les Païs froids, elle fait partie de
leur Religion : La Loi Judaïque, de même que la Mahometane
qui la suit à quelques égards, exige quantité d’Ablutions,
de Purifications, & d’autres Cérémonies de cette nature. Mais, outre la raison phisique qu’on
vient d’en alléguer, il n’y a nul doute que le but principal
de toutes ces Ablutions ne tendît à nous signifier la pureté
interieure du cœur. Nous voïons, dans le Deuteronome,
plusieurs Ordonnances qui confirment cette Vérité ; &
quelques Interprétes, qui disent qu’elles ne furent
instituées que pour la commodité dans le Désert, qui sans
cela n’auroit pas été habitable durant tant d’années, ne
paroissent pas bien fondez. Je finirai cet Essai par un
trait historique, ou, si l’on veut un Conte Mahometan, que
j’ai lû dans quelque Relation de leurs Coûtumes
superstitieuses. Un bon matin un Dervich, célèbre par la
sainteté de sa vie, eut le malheur de laisser tomber une
Tasse de Crystal, qui étoit consacrée au Prophete, & de
la casser en mille morceaux. Bientôt après, son Fils entra
dans sa chambre, & lorsque le bon Homme étendoit les
mains pour lui donner sa bénédiction, suivant sa louable
coûtume, ce jeune Garçon s’enfuit, broncha sur le pas de la
porte & se cassa un bras. Pendant que le Vieillard tout
éfraié méditoit sur ces tristes avantures, il vint à passer
une Caravane qui revenoit de la Mecque. Il y accourut pour
demander la bénédiction de cette heureuse
troupe ; mais ambitieux de caresser un des saints Chameaux,
il en reçut un terrible coup de pié qui le froissa
cruellement. Son chagrin & sa surprise redoublérent,
jusqu’à ce qu’il se rapella, que, soit par inadvertance, ou
précipitation, il étoit sorti du Logis sans avoir lavé ses
mains.
Retrato ajeno
Le Gentilhomme portoit un
Habit, dont le fond sembloit avoir été noir, comme je
m’en aperçus à la faveur de quelques petits intervalles
qui avoient échapé à la Poudre, incorporée avec tout le
reste de l’Habit : Sa Perruque, qui paroissoit être d’un
grand prix, flotoit sur ses épaules d’un air si negligé,
qu’on auroit dit, à la voir, qu’elle n’avoit pas été
peignée depuis deux ou trois ans : Tout son Linge &
son Justaucorps étoient couverts de Tabac de Seville
depuis le haut jusques au bas, & le Diamant, qu’il
portoit au doigt, (qui craignoit
naturellement l’eau) me fit souvenir de l’éclat qu’il
avoit dans la Mine, d’ou il étoit sorti.
Retrato ajeno
la jolie Quakre
paroissoit dans tout le lustre de la Propreté. Son
visage ovale & d’un teint fort uni, environné d’une
petite Coeffure à menus plis du plus beau Cambrai,
tiroit un grand avantage de l’ombre qu’y causoit sa
Coeffe de Tafetas noir ; de même que la blancheur de ses
bras étoit relevée par la couleur modeste de son Habit.
La simplicité de sa parure s’accordoit très-bien avec
celle de son discours ; & quoi que tout cela mis
ensemble ne me donnât pas une haute idée de ses
principes en fait de Religion, il servit à me remplir
d’estime pour son Innocence.