Le Spectateur ou le Socrate moderne: XLVI. Discours
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.2923
Level 1
XLVI. Discours
Citation/Motto
Qui bellus homo est,
Cotta, pusillus homo est.
Mart. Lib. I. Epigr. X.
Mon Ami Cotta, celui qui se pique d’être un agréable parleur est souvent un fort petit Génie.
Metatextuality
Sur la mauvaise
Plaisanterie, & l’afectation du Stile enjoué.
Metatextuality
Sur la mauvaise
Plaisanterie, & l’afectation du Stile enjoué.
Level 2
Ciceron a observé qu’une Raillerie
n’est jamais prononcée de si bonne grace, que lors qu’elle est
accompagnée d’un air fort serieux. Si elle paroit sur les traits
du visage avant qu’elle sorte de la bouche, les Auditeurs s’en
font une si haute idée, que leur surprise en diminue beaucoup.
L’Esprit & l’Enjouement ne perdent pas moins par un certain
Langage afecté qui aproche de celui des Mystiques & des
faux-Dévots. Le Ridicule n’est jamais si vif, que lors qu’il se
montre sous un air grave. La veritable Plaisanterie consiste dans la pensée, & naît de la
représentation des Images dans des circonstances grotesques
& des vûes tout extraordinaires. C’est alors qu’elle nous
frape par la seule force de sa beauté naturelle ; mais elle perd
plus quelle <sic> ne gagne, lors qu’elle est revètue de
ces tours afectez, qui sont si à la mode parmi les pretendus
Plaisans de nos jours. On peut dire qu’ils ressemblent à nos
Bateleurs, qui croient donner de l’esprit à leur Bouson, par la
bigarrure de l’habit dont ils le couvrent. Nos petits Auteurs
Burlesques, qui sont les délices des Lecteurs du commun,
abondent d’ordinaire en ces sortes de Phrases, où il y a plus de
vivacité apparente que d’esprit réel.
Metatextuality
Je vis en dernier lieu une Lettre écrite de ce
stile, qui me parut si remarquable, que j’en demandai une
Copie à la personne qui me la montroit. Elle venoit d’un bel
Esprit de la Campagne qui l’écrivit à l’occasion de
l’Anniversaire du Couronnement du Roi. La voici mot pour
mot.
Level 3
Letter/Letter to the editor
Satire
Mon cher ami, À deux heures
après-minuit par un tems de Geleé. « Je viens de
laisser notre venerable Maire avec ses Myrmidons
autour d’une Jatte de Punch, qui en
peut contenir une vingtaine de bouteilles. Tous nos
Magistrats étoient assez bien conditionnez lors que
je me suis tiré le nerf. Notre Ami l’Alderman avoit
un pié dans la Vigne du Seigneur avant que le Feu de
joie fût éteint. Nous avions avec nous le Procureur,
& deux ou trois autres bons Compagnons qui ne
manquent pas de brillant. Pour le Ministre, il
n’aime pas à se divertir à la vûe du Public. A neuf
heures du soir nous mimes le feu à la grande
Prostituée de Babylone. Le Diable joua son rôle dans
la perfection, & ce petit Coquin s’est presque
enrichi par-là. Aussi nous en coûta-t-il une piéce
de six sols chacun pour le bien équiper. Le vieux
Brown, cet Anglois de la vieille roche, s’enivra de
tout son cœur, & donna des preuves de sa
loïauté, au bruit d’une centaine de Fusées volantes.
La Populace but la santé du Roi à genoux, &
trouva la Biere forte brassée chez la bonne Day si
delicieuse à son goût, qu’elle en expedia une
demi-douzaine de Barriques. Peu s’en falut que le
pauvre Tho. Tyler ne fût demantibulé par la baguette
d’une Fusée volante qui lui tomba sur le nés &
lui fit perdre une bonne partie de la Rasade qu’il
beuvoit à la santé du Roi. La Populace
parut très-loïale jusques vers le minuit ; mais
alors elle devint un peu mutine, pour avoir un
nouveau renfort de Boisson. Elle auroit même
deconcerté l’air grave de Mr le Juge de Paix, &
aplati peut-être les coutures de son Habit, si son
Clerc ne fût venu à son secours, & ne les eût
tous marquez de blanc & de noir. Après que les
Huzzas redoublez m’eurent privé de tous mes sens,
j’allai voir les Dames, qui grenouïlloient ensemble
de fort bonne amitié. La Femme de Mr le Maire
commençoit à bredouiller, & à jaser comme une
Pie borgne. J’oubliois de vous dire que tous les
Officiers & Soldats de la Milice avoient une
Cocarde à leurs Chapeaux ornée d’un Distic, &
que les Senateurs nous en avoient envoié une Batelée
pour servir dans cette occasion. Mr. le Chevalier
Richard **** se mit en grands fraix pour montrer son
zéle en faveur de la Religion Protestante ; il lui
en coûta une Barrique godronée & un Bal. J’épiai
dans sa grande Salle, où il se tenoit, & j’y vis
une assez jolie volée de jeunes Pucelles. Ma chere
Moitié étoit de la partie, & je puis dire, sans
la trop louër qu’elle embloit une Contredanse aussi
bien que la plus fretillante d’entre
elles. Pour Conclusion je souhaite que tous les
fidéles Sujets de Sa Majesté aiment autant le Piot,
que son bon Peuple de cet ancien Bourg le cherit.
Adieu. »