Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XLV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.6\045 (1726), S. 290-297, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1609 [aufgerufen am: ].


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XLV. Discours

Zitat/Motto► Non possidentem multa vocaveris
Rectè beatum, rectiùs occupat
Nomen beati, qui Deorum
Muneribus sapienter uti,
Duràmque callet pauperiem pati,
Pejusque letho flagitium timet ;
Non ille pro caris amicis,
Aut patriâ timidus perire.

Hor. Lib. IV. Ode X. 45

Ce ne sont pas les grands biens qui rendent l’Homme heureux : celui-là l’est à plus juste titre, qui fait user avec sagesse des présens que lui font les Dieux ; qui a le don de soufrir avec patience la pauvreté ; & qui redoute le crime plus que la mort. Un Homme de ce caractere est toujours prêt à s’immoler pour ses Amis & pour sa Patrie. ◀Zitat/Motto

Metatextualität►

Sur les craintes malfondée & les moïens d’y remedier.

◀Metatextualität

Ebene 2► Il faut avouër que la crainte est une Passion très-dangereuse puis que le plus grand éfort de la Vertu consiste à la vaincre. Elle nous a été donnée pour notre conservation ; ainsi l’on ne doit pas trouver étrange qu’elle nous suive par tout pendant qu’il nous reste quelque chose [291] que nous voudrions bien garder. La Vie même & tous ses plaisirs mériteroient à peine qu’on les souhaitât, si nous aprehendions sans cesse de les perdre : Le but de la Religion & de la Philosophie est de nous delivrer de toutes ces fraïeurs inutile, & d’apliquer notre Crainte à son veritable objet.

Si l’on reflechit sur les inquietudes mortelles que cause cette Passion, & sur la violence de ses effets, on verra que l’on court bien du risque à s’y abandonner pour de legers accidens. Quelques uns en ont perdu l’esprit, & d’autre la vie. Tout le monde sait l’avanture de cet Homme, qui agité par la crainte devint grison dans l’espace d’une nuit, & que cela même a fait dire à 1 Martial,

Zitat/Motto► O Nox, quàm longa es, que facis una Senem!

« O nuit, que tu dois avoir été longue, puis que celui qui s’étoit couché le soir fort jeune s’est trouvé le matin un Vieillard. ! » ◀Zitat/Motto

Ces Fraieurs, si elles viennent du sentiment du Crime, sont de justes remors de la conscience, qui peuvent exciter la pitié, mais qui n’admettent point de remede. Lors que la main du Tout-puissant est le-[292]vée sur les Impies, qui peut lui resister, ou prevenir ses ordres ? c’est ce qui nous est representé d’une maniere fort sublime dans le Livre, intitulé, La Sagesse de Salomon, & dont l’Auteur s’énonce en ce termes.

2 « Vos jugemens sont grands, ô Seigneur, & vos paroles sont ineffables. C’est pourquoi les Ames sans science se sont égarées. Car les mechans s’étant persuadez qu’ils pourroient dominer la Nation sainte, ont été liez par une chaîne de ténebres & d’une longue nuit, & renfermez dans leur maison ; ils ont langui dans cet état, malgré les efforts qu’ils faisoient pour se soustraire à cette providence qui ne cesse jamais d’agir. Et s’imaginant qu’ils pourroient demeurer cachez dans la nuit obscure de leurs pechez, ils se trouverent dispersez & comme mis en oubli sous un voile de ténebres, saisis d’un horrible effroi, & frapez d’un profond étonnement. Les lieux secrets où ils s’étoient retirez ne les garantissoient pas de la crainte, parce qu’il s’élevoit des bruits qui les effrayoient, & qu’ils voyoient paroître des Spectres afreux qui les remplissoient encore d’épouvante. — Car comme la méchanceté est timide, elle se condamne [293] par son propre témoignage ; & étant épouvantée par la mauvaise conscience, elle se figure toûjours les maux plus grands qu’ils ne sont. Aussi la crainte n’est autre chose que le trouble de l’Ame qui se croit abandonnée de tout secours.

Lors que tout le reste du monde étoit eclairé d’une lumiere très-pure, & s’occupoit à son travail sans aucun empêchement ; Eux seuls se trouvoient accablez d’une profonde nuit, image des ténebres qui leur étoient reservées, & ils étoient devenus plus insuportables à eux-mèmes que leurs propres ténebres.

On ne sauroit offrir aucun remede pour une crainte si bien fondée ; mais un Homme qui n’a pas de grands reproches à se faire, qui suit le droit chemin de la Vertu, & qui, malgré tout cela, soit par foiblesse de temperament, ou par la tyrannie des préjugez, ou le manque de bonnes reflexions, se laisse entraîner à cette lâche & indigne passion, cet Homme là, dis-je, devroit considerer qu’il ne doit craindre que le Monarque supréme de l’Univers, cet Etre bienfaisant, qui est son Ami, son Protecteur & son Pere. Si cette seule pensée étoit enracinée dans l’esprit, quel malheur, quel revers seroit capable de nous éfraïer ? Qu’est-ce qui peut nous rendre infames, [294] lors que nous sommes assûrez de l’aprobation de celui qui nous dédommagera de la disgrace d’un moment par une eternité de gloire ? Qu’est-ce qu’il y a d’insuportable dans les Douleurs & les Maladies, puis qu’elles ne servent qu’à nous élever plutôt à ces Joies celestes qui ne finiront jamais ? Tout Homme qui vit d’une maniere à ne devoir pas craindre la Mort se contredit lui-même, lors qu’il s’épouvante à l’occasion des autres accidens de la Vie.

La description quHorace fait de l’intrepidité d’un honnête Homme est si noble & si vive, qu’on ne sauroit la repeter trop souvent. La voici en original :

3 Justum & tenacem propositi virum,
Non Civium ardor prava juventium,
Non vultus instantis Tyranni
Mente quatit solidà, neque Auster
Dux inquieti turbidus Adria,
Nec fulminantis magna Jovis manus :
Si fractus illabatur Orbis,
Impavidum ferient ruina.

C’est-à-dire, « un Homme irreprochable & solidement vertueux n’est ébranlé ni par la fureur d’un Peuple, qui le presse d’autoriser d’injustes Loix ; ni par les instances d’un Tyran qui le menace. Le [295] vent du Midi, qui excite les tempêtes de la Mer Adriatique ; ni le tonnere lancé par la puissante main de Jupiter même, ne donne aucune ateinte à sa fermeté. Le Monde en piéces tomberoit sur sa tête, qu’avec la même intrepidité il demeureroit frapé de ses ruines. » ◀Zitat/Motto

Pour nous delivrer d’autant plutôt des craintes mal-fondées, il n’y a qu’a considerer en premier lieu, que ce que nous craignons peut ne pas arriver. Quelque soin que les Hommes prennent à former leurs Projets, quelque exactitude qu’ils y observent, la moindre petite circonstance qui vient à manquer, ou qui peut survenir, est capable de les renverser. Celui qui dirige le cœur de l’Homme comme il lui plait, & qui decouvre nos pensées de loin, peut, par un million d’accidents, ou par une action immédiate sur nos facultez spirituelles, deconcerter les trames les plus sourdes & les plus subtiles, & les tourner à l’avantage de ses fideles serviteurs.

En deuxiéme lieu, quand le mal qu’on craint arriveroit, il peut être beaucoup plus suportable qu’on ne se l’imagine. S’il n’y a point de Prosperité dans la vie qui ne soit accompagnée de quelque revers, on peut dire qu’il n’y a point d’Adversité qui n’ait son bon endroit. Demandez aux [296] Grands du Monde, s’ils ne sentent pas les cruelles atteintes de l’Envie & de l’Ambition. Demandez aux Pauvres & aux Malheureux, s’ils n’ont pas goûté quelquefois la douceur du repos & du contentement. Au milieu même de la douleur, de la perfidie de nos Amis, & de la médisance la plus noire, lors qu’on y est un peu accoûtumé, on sent une secrete joie, qui suit presque toûjours une humble & pieuse resignation aux ordres de la Providence. Les maux de la vie paroissent de loin comme des Rochers & des Precipices, steriles & raboteux ; mais à mesure que nous en aprochons, on y trouve de petits endroits fertiles & des Sources d’eau vive, qui en diminuent l’horreur naturelle.

Enfin nous devons nous consoler dans cette pensée, que, si ce que nous craignons ne nous ateint pas, nous pouvons aussi ne le pas ateindre nous-mêmes, & mourir avant que la chose arrive. Celui qui connoit nos foiblesses & qui ne permet pas que nous soïons exposez à des épreuves au-dessus de nos forces trouve souvent à propos de nous en garantir par une mort precipitée ; & c’est ce qu’on peut appeller une severité gracieuse.

Si nous lui demandons avec ardeur son divin secours, nous ne risquerons pas de [297] tomber dans ces précipices que notre Imagination est portée à creuser elle-même. Nos yeux doivent être toûjours attachez sur lui, comme à un point fixe, & alors nous marcherons d’un pas ferme & constant ; au lieu que, si nous les tournons à droite ou à gauche, soit par imprudence ou par timidité, alors notre chute est presque infaillible. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Lib. IV. Epigr. VII.

2Chap. XVII. 1.-4. 10. 11. 19. 20.

3Lib. III. Ode III. I.