Le Spectateur ou le Socrate moderne: XLII. Discours
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Niveau 1
XLII Discours
Citation/Devise
Murrantum hic, atavos
& avorum antique sonantem
Nomina, per Regesque actum genus omne Latinos,
Præcipitem scopulo atque ingentis turbine saxi.
Excutit, essunditque solo.
Nomina, per Regesque actum genus omne Latinos,
Præcipitem scopulo atque ingentis turbine saxi.
Excutit, essunditque solo.
Virg. Æneid. Lib. XII. 529
Ce fut ici qu’Enée renversa, d’un coup d’une grosse pierre Murranus, qui se vantoit des grand Noms de ses Ancêtres, & qui prétendoit tirer son origin de tous les Rois Latins.
Niveau 2
C’est une chose fort louable de
respecter les Personnes qui descendent d’illustres Ancêtres, non
seulement par un principe de reconnoissance envers ceux qui ont
rendu de grands services au Genre Humain, mais aussi pour
encourager les autres à suivre leur Exemple. Du reste, c’est un
honeur que la Posterité de ces Heros doit attendre, & non
pas le mandier ; puisque ceux qui nous prônent toujours leurs
Ancêtres nous disposent à faire des Comparaisons qui tournent
souvent à leur desavantage. Il y a quelque sujet plausible pour
se vanter de son esprit, de sa beauté, de sa force, ou de ses
richesses, parce que leur communication peut donner du plaisir ou du profit à d’autres ; mais il n’y a point
de mérite, & aucun respect ne nous est dû, parce que nos
Aieux ont été d’habiles ou d’honétes gens, bongré, malgré que
nous en aïons.
Metatextualité
La Lettre suivante
tourne ce foible en ridicule d’une maniere toute nouvelle
& qui ne me paroit pas desagréable.
Metatextualité
Lettre sur la
vanité de ceux qui se glorifient de la Noblesse de leur
extraction.
Metatextualité
Lettre sur la
vanité de ceux qui se glorifient de la Noblesse de leur
extraction.
Niveau 3
Lettre/Lettre au directeur
Mr. le Spectateur, « Si l’on
avoit la Genéalogie exacte de chaque Famille il y a
grande apparence qu’aucun ne seroit estimé ni meprisé à
l’occasion de sa naissance. A peine y a-t-il un Mendiant
dans les Ruës, qui ne se trouvât descendre en droite
ligne de quelque Homme illustre ; ou un seul Noble élevé
aux plus hautes Dignitez, qui ne découvrit, au nombre de
ses Ancêtres, bien des Personnes obscures &
indigentes. Il y auroit du plaisir à voir une Race
d’Hommes paroître de nouveau sur la Scéne, chacun avec
le même Caractére qu’il y a soutenu durant sa vie.
Supposé qu’un Gentilhomme, plein de sa haute naissance,
vît passer en revûes sous ses yeux toute l’enfilade de
ses Ancêtres, à peu près de la même maniere que Virgile
fait contempler à Enée tous ses descendans ; de quelles
differentes passions ne seroit-il pas
agité, lors qu’il verroit des Bergers & des soldats,
des Ministres d’Etat & des Artisans, des Princes
& des Gueux, se suivre les uns les autres tour à
tour dans l’espece de cinq mille années ! De quelle
tristesse ou de quelle joie son cœur ne seroit-il pas
saisi à la vûe de tous les Jeux de la Fortune dans une
Décoration si bigarrée de Haillons & de Pourpre,
d’Outils de Mécanique & de Sceptres, de Marques
d’Honeur & d’Emblemes de Disgrace ? Quel flux &
reflux d’esperance & de crainte, de transports de
joïe & de mortifications, n’essuïeroit-il pas, à
mesure que sa Genéalogie paroitroit brillante ou
ténébreuse ? Dans la plûpart des Arbres Genéalogiques
plantez contre les murailles des anciennes Maisons, vous
êtes sûr de trouver à la tête un grand Politique ou un
illustre Officier Militaire. L’honête Artisan qui lui a
donné la naissance, en est retranché, avec tous ses
Ancêtres d’une vie frugale, & vous diriez que le
noble Fondateur de la Famille n’a jamais eu de Pere. Si
nous remontions plus haut vers la source de plusieurs
Nobles si vantez aujourd’hui, nous les perdrions dans
une foule d’Artisans, ou de Fermiers, sans esperance de
les en voir sortir ; a-peuprés comme la
Voie Appienne des Anciens Romains, qui après avoir couru
plusieurs Milles, s’alloit perdre dans un Marais.
Récit général
Je rendis visite en dernier
lieu à un vieux Gentilhomme de la Campagne fort
entété de cette Manie Genéalogique. Je le trouvai
dans son Cabinet occupé à un ancien Régître de sa
Famille, qu’il avoit tout nouvellement déterré,
& où elle formoit un gros Arbre, avec toutes ses
branches, tracé sur une grande feuille de Parchemin.
Comme il y a un peu de son illustre sang qui me fait
l’honeur de rouler dans mes veines, il me permit
jetter les yeux sur les branches de ce venerable
Tronc, & il me demanda mon avis à l’égard de
quelques-unes, qu’il croit sûperflues, & qu’il
en voudroit retrancher. Nous passames legérement sur
trois ou quatre de nos Ancêtres immédiats, qui nous
étoient connus par tradition ; mais nous fumes
bientôt arrêtez par un Alderman de Londres, qui fit
trembler mon Cousin, à ce que je m’aperçus, depuis
la tête jusqu’aux piez. Son embarras augmenta lors
qu’il vit que le Pere de cet Alderman trafiquoit en
Bétail ; mais il revint de fraïeur, lors qu’il lut,
à la fin de ses titres, qu’il étoit Juge de Paix, du
nombre de ceux en l’absence desquels les autres ne peuvent rien décider. Nous continuames à
examiner cet Arbre en gros, & tout alloit le
mieux du monde, lorsque, par malheur, mon Cousin vit
percue sur un branche un Fripier, dont le Registre
disoit que l’industrie avoit servi à augmenter
beaucoup les revenus de la Famille ; mais tout son
mérite ne l’auroit pas garenti de la serpe de mon
Cousin, si celui-ci prêt à l’emonder n’eût vû le
titre de Gentilhomme, à la suite du nom de son Fils,
qui, suivant la Relation historique, avoit engagé
une des Seigneuries que son honête Hommme de Pere
avoit aquises. Un Tisserand qui fut brûlé pour sa
Religion, sous le Regne de Marie, fut élagué sans
misericorde, aussi bien qu’un riche Païsan qui
mourut d’une chute de son Chariot. Mais nous
triomphames à la vûe d’un autre qui eut l’honeur
d’être décapité pour crime de haute trahison ;
quoique notre joïe fût un peu rabatue à l’occasion
d’un de nos Ancêtres qui fut pendu pour avoir volé
des Brebis. L’atente de mon Cousin redoubla par un
Mariage contracté dans la Famille d’un Chevalier ;
mais, à notre grand regret, cette branche parut
sterile : D’un autre côté, Margot la Laitiere,
entrelassée avec une des Branches, fleurit si bien & poussa tant de réjettons,
qu’elle plioit sous le poids de son Fruit, & que
le bon Vieillard en fut couvert de honte. Pour me
consoler, au milieu de cette disgrace, il choisit
une certaine Branche dix fois plus fertile que la
précedente, & qu’il me dit estimer plus
qu’aucune de toutes les autres, & là-dessus il
me pria d’avoir bon courage. Cette énorme Branche
étoit une Greffe sortie d’une Heritiere du Païs de
Galles, & environnée de tant de Scions, qu’elle
seule auroit pû former un petit Bocage. Du tronc de
cet Arbre, composé sur tout de Laboureurs & de
Bergers, sortoit un gros Rejetton de Fermiers ;
celui-ci se partageoit en plusieurs branches de bons
Païsans qui cultivoient eux-mêmes leurs terres,
& se terminoit à un Sherif de la Province, qui
reçut le titre de Chevalier, pour avoir fait signer
une Adresse & rendu par-là un grand service à la
Couronne. Divers noms qui sembloient ravaller la
Famille, traitez de lourdes bévues, furent élaguez
comme des rejettons secs & pourris ; pendant
qu’à l’égard de plusieurs autres, qui n’étoient
suivis d’aucun titre, mon Cousin, pour supléer au
défaut du Manuscrit, ajouta celui d’Ecuïer à la fin
de chacun. . Cet Arbre ainsi taillé,
rajeuni & cultivé fut transplanté, peu de jours
après, sur une Feuille de Velin & placé, par
ordre de mon Cousin, dans sa grande Salle, où, tous
les Dimanches au matin, il attire la veneration de
ses Fermiers, qui viennent l’attendre pour le
conduire à l’Eglise ; surpris d’ailleurs de ce qu’un
Homme, qui a eu tant d’Ancêtres, n’a pas été fait
jusques-ici Chevalier, ou du moins un Juge de
Paix. »