Le Spectateur ou le Socrate moderne: XLI. Discours
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Nivel 1
XLI. Discours
Cita/Lema
Perfide, sed duris
genuit te cautibus horrens Caucasus, Hyrcanæque admorunt
ubera tigres.
Virg. Eneid. L. IV. 366
1Non, cruel, tu n’es point le Fils d’une
Déesse,
Tu suças en naissant le lait d’une Tigresse ;
Et
le Caucase afreux t’engendrant en courroux,
Te fit l’ame
& le cœur plus dur que ses cailloux.
Cita/Lema
Perfide, sed duris
genuit te cautibus horrens Caucasus, Hyrcanæque admorunt
ubera tigres.
Metatextualidad
Lettre de Lesbie sur la
perfidie de son Amant.
Metatextualidad
Lettre de Lesbie sur la
perfidie de son Amant.
Nivel 2
Metatextualidad
Pret à renvoïer toutes choses,
d’abord qu’il s’agit de rendre le moindre service à quelque Personne de merite & qui a du malheur, je
vais publier ici la Lettre suivante qui vient de me tomber
entre les mains. Elle est si joliment tournée, que je n’ai
pas voulu y changer un seul mot.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Mr. le Spectateur, Vous avez l’art
de rendre détestables des Coûtumes aussi odieuse
<sic> que celle-ci. Tâchez donc, pour l’amour de
moi, & de tant d’autres qui on <sic> eu la
même infortune, quoi qu’elles n’osent pas l’avouër,
tâchez, dis-je, de faire voir qu’il n’est pas moins
indigne pour un Homme de se vanter de
faveurs reçues, ou de noircir la reputation de notre
Sexe, qu’il l’est d’essuyer un démenti ou un souflet,
sans en marquer aucun ressentiment. Du nombre de celles
qui lisent & qui admirent vos Discours, je suis
&c. Lesbie. P.S. Je supporte mon malheur avec
d’autant plus d’impatience, que Mecredi <sic>
dernier je reçus un nouvel afront dans l’Abaïe de
Westminster. »
Relato general
« Je me flate que vous
aurez non seulement compassion du triste &
malheureux état où je suis tombée, avec plusieurs
autres de mon Sexe mais que vous tâcherez, qui plus
est, d’y remedier. Je compte d’ailleurs que vous
n’en serez pas choqué, & que vous ne croirez pas
que mon but est de justifier mon imprudence
criminelle, ou de vous engager vous-même à me
disculper. Rien n’est plus éloigné de ma pensée. Je
sai trop bien que, dans quelques-uns de vos
Discours, vous avez vivement censuré les Personnes
coupables d’une telle démarche. Lors que j’avois à
peine seize ans, & que j’étois, s’il m’est
permis de le dire, dans la fleur de ma beauté, un
maudit & lâche Perfide vint me faire la cour,
&, sous promesse de Mariage, me rendit la plus
malheureuse de toutes les Femmes. Après m’avoir
seduite & engagée à quiter mes Parens, quoi que
des Personnes d’honneur & de consideration, en
moins de trois mois il m’abandonna. Cependant ils ne vouloient plus me voir, ni
entendre parler de moi, & je puis dire qu’alors
je serois morte de faim au pié de la lettre, sans le
secours d’une Servante qui avoit demeuré chez nous.
Quoi qu’il en soit, il plut à la Divine Providence
de me délivrer bient-tôt de ce triste &
miserable état. Un Gentilhomme me vit, m’aima &
m’épousa. Je me reconciliai d’abord avec mes Parens,
& je pourrois vivre aussi heureuse dans ma
nouvelle situation que j’étois ci-devant infortunée,
n’étoit qu’il y a certains Brutaux au Monde qui me
sont devenus insuportables. Je ne doute pas même que
vous n’aïez assez d’honneur & de compassion pour
les avertir, dans quelcune <sic> de vos
Feuilles volantes, qu’ils ont grand tort d’en user
si mal avec moi. Il y a près de cinq ans que je suis
mariée, & je ne fâche pas être jamais sortie
sans l’aveu de mon Epoux. Reduite à ceder aux
importunitez de quelques-unes de mes Parentes, je
vai plus souvent dehors que je ne voudrois, &
que cela ne s’accord avec mon humeur. C’est alors
que je soufre des agonies mortelles. Cet Homme, ou
plutôt ce Monstre, frequente tous les endroits où je
vais. Lâche & indigne qu’il est ! Parce que je
ne veux pas admettre ses abominables
visites & ses rendez-vous criminels, il fait
tout ce qu’il peut pour me deshonorer. Il me laissa
destituée d’Amis & d’argent, & il ne daigna
jamais s’informer de moi, jusqu’à ce que, pour mon
malheur, il me vit à la Comédie, orné de Diamants,
& assise dans une des Loges à côté du Théatre.
Ce fut alors que sa passion se renouvella, & que
l’Hypocrite prétendit se repentir du mauvais tour
qu’il m’avoit joué. Alors il mit en œuvre tous les
artifices qui l’avoient aidé à me perdre. Mais qu’il
ne s’imagine pas de pouvoir me seduire une seconde
fois. J’abhorre & je deteste son indigne
passion ; & comme il ne peut que le remarquer,
il n’oublie rien pour me noircir, soit que le dépit
l’anime, ou qu’il s’en fasse un divertissement. Je
ne manque jamais de le voir dans toutes les
Assemblées publiques, où il est fort industrieux à
évaporer sa malice. En un mot, il a dit notre
malheureuse avanture à tous ses Amis, qui sont en
grand nombre, & ce n’est plus un secret entre
eux. Ils croient là-dessus qu’ils ont droit de se
familiariser avec moi. S’ils me saluent, & que
par civilité je leur rende la pareille, ils se
donnent alors certaines libertez qui ne me sont pas moins désagréables qu’à ma
Compagnie. Si je tourne les yeux d’un autre côté, ou
que je paroisse fâchée, ils s’irritent & disent
tout-bas à l’oreille d’un chacun ; C’est celle là ;
Un tel en est le plus près ; jusqu'à ce qu’enfin les
yeux de toute l’Assemblée se fixent sur moi. Ce
n’est pas tout, ils inventent mille mensonges à mon
préjudice, sous cette fausse idée reçue dans le
Monde, Que celle qui a accordé les dernieres faveurs
a un Homme les peut accorder à cent. Je vous suplie
d’avertir ceux qui en sont coupables qu’il n’y a
rien de plus indigne que leur procedé. Je ne doute
pas que l’Auteur de mon desastre ne sente que c’est
lui que vous aurez en vûe. Peut-être même que vos
avis l’engageront à s’opposer à l’insolence des
autres. Que le sort de ces malheureuses Femmes est
triste & cruel, de voir que les Hommes se
vantent & se glorifient de ce qui fait notre
honte & notre disgrace !
1Traduction d’un Poëte François, dont le Nom m’est inconnu.