XLI. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Katharina Jechsmayr Editor Katharina Tez Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 29.10.2014 o:mws.2900 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome VI. Paris: François-Guillaume l’Hermitte 1726, 260-268, Le Spectateur ou le Socrate moderne 6 041 1726 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme Liebe Amore Love Amor Amour Moral Morale Morale Moral Morale Westminster Abbey -0.12846,51.49937 France 2.0,46.0

XLI. Discours

Perfide, sed duris genuit te cautibus horrens Caucasus, Hyrcanæque admorunt ubera tigres.

Virg. Eneid. L. IV. 366

Traduction d’un Poëte François, dont le Nom m’est inconnu.Non, cruel, tu n’es point le Fils d’une Déesse,Tu suças en naissant le lait d’une Tigresse ;Et le Caucase afreux t’engendrant en courroux,Te fit l’ame & le cœur plus dur que ses cailloux.

Lettre de Lesbie sur la perfidie de son Amant.

Pret à renvoïer toutes choses, d’abord qu’il s’agit de rendre le moindre servi-ce à quelque Personne de merite & qui a du malheur, je vais publier ici la Lettre suivante qui vient de me tomber entre les mains. Elle est si joliment tournée, que je n’ai pas voulu y changer un seul mot.

Mr. le Spectateur,

« Je me flate que vous aurez non seulement compassion du triste & malheureux état où je suis tombée, avec plusieurs autres de mon Sexe mais que vous tâcherez, qui plus est, d’y remedier. Je compte d’ailleurs que vous n’en serez pas choqué, & que vous ne croirez pas que mon but est de justifier mon imprudence criminelle, ou de vous engager vous-même à me disculper. Rien n’est plus éloigné de ma pensée. Je sai trop bien que, dans quelques-uns de vos Discours, vous avez vivement censuré les Personnes coupables d’une telle démarche. Lors que j’avois à peine seize ans, & que j’étois, s’il m’est permis de le dire, dans la fleur de ma beauté, un maudit & lâche Perfide vint me faire la cour, &, sous promesse de Mariage, me rendit la plus malheureuse de toutes les Femmes. Après m’avoir seduite & engagée à quiter mes Parens, quoi que des Personnes d’honneur & de consideration, en moins de trois mois il m’abandonna. Cepen-dant ils ne vouloient plus me voir, ni entendre parler de moi, & je puis dire qu’alors je serois morte de faim au pié de la lettre, sans le secours d’une Servante qui avoit demeuré chez nous. Quoi qu’il en soit, il plut à la Divine Providence de me délivrer bient-tôt de ce triste & miserable état. Un Gentilhomme me vit, m’aima & m’épousa. Je me reconciliai d’abord avec mes Parens, & je pourrois vivre aussi heureuse dans ma nouvelle situation que j’étois ci-devant infortunée, n’étoit qu’il y a certains Brutaux au Monde qui me sont devenus insuportables. Je ne doute pas même que vous n’aïez assez d’honneur & de compassion pour les avertir, dans quelcune <sic> de vos Feuilles volantes, qu’ils ont grand tort d’en user si mal avec moi. Il y a près de cinq ans que je suis mariée, & je ne fâche pas être jamais sortie sans l’aveu de mon Epoux. Reduite à ceder aux importunitez de quelques-unes de mes Parentes, je vai plus souvent dehors que je ne voudrois, & que cela ne s’accord avec mon humeur. C’est alors que je soufre des agonies mortelles. Cet Homme, ou plutôt ce Monstre, frequente tous les endroits où je vais. Lâche & indigne qu’il est ! Parce que je ne veux pas ad-mettre ses abominables visites & ses rendez-vous criminels, il fait tout ce qu’il peut pour me deshonorer. Il me laissa destituée d’Amis & d’argent, & il ne daigna jamais s’informer de moi, jusqu’à ce que, pour mon malheur, il me vit à la Comédie, orné de Diamants, & assise dans une des Loges à côté du Théatre. Ce fut alors que sa passion se renouvella, & que l’Hypocrite prétendit se repentir du mauvais tour qu’il m’avoit joué. Alors il mit en œuvre tous les artifices qui l’avoient aidé à me perdre. Mais qu’il ne s’imagine pas de pouvoir me seduire une seconde fois. J’abhorre & je deteste son indigne passion ; & comme il ne peut que le remarquer, il n’oublie rien pour me noircir, soit que le dépit l’anime, ou qu’il s’en fasse un divertissement. Je ne manque jamais de le voir dans toutes les Assemblées publiques, où il est fort industrieux à évaporer sa malice. En un mot, il a dit notre malheureuse avanture à tous ses Amis, qui sont en grand nombre, & ce n’est plus un secret entre eux. Ils croient là-dessus qu’ils ont droit de se familiariser avec moi. S’ils me saluent, & que par civilité je leur rende la pareille, ils se donnent alors certaines libertez qui ne me sont pas moins désagréables qu’à ma Compagnie. Si je tourne les yeux d’un autre côté, ou que je paroisse fâchée, ils s’irritent & disent tout-bas à l’oreille d’un chacun ; C’est celle là ; Un tel en est le plus près ; jusqu'à ce qu’enfin les yeux de toute l’Assemblée se fixent sur moi. Ce n’est pas tout, ils inventent mille mensonges à mon préjudice, sous cette fausse idée reçue dans le Monde, Que celle qui a accordé les dernieres faveurs a un Homme les peut accorder à cent. Je vous suplie d’avertir ceux qui en sont coupables qu’il n’y a rien de plus indigne que leur procedé. Je ne doute pas que l’Auteur de mon desastre ne sente que c’est lui que vous aurez en vûe. Peut-être même que vos avis l’engageront à s’opposer à l’insolence des autres. Que le sort de ces malheureuses Femmes est triste & cruel, de voir que les Hommes se vantent & se glorifient de ce qui fait notre honte & notre disgrace ! Vous avez l’art de rendre détestables des Coûtumes aussi odieuse <sic> que celle-ci. Tâchez donc, pour l’amour de moi, & de tant d’autres qui on <sic> eu la même infortune, quoi qu’elles n’osent pas l’avouër, tâchez, dis-je, de faire voir qu’il n’est pas moins indigne pour un Homme de se vanter de faveurs reçues, ou de noircir la reputation de notre Sexe, qu’il l’est d’essuyer un démenti ou un souflet, sans en marquer aucun ressentiment. Du nombre de celles qui lisent & qui admirent vos Discours, je suis &c.

Lesbie.

P.S. Je supporte mon malheur avec d’autant plus d’impatience, que Mecredi <sic> dernier je reçus un nouvel afront dans l’Abaïe de Westminster. »

Je conviens absolument avec l’aimable & l’infortunée Lesbie, qu’il est aussi indigne pour un Homme, d’insulter à une Femme dans la situation où elle se trouve, qu’il l’est de recevoir un démenti ou un souflet d’un air calme & tranquille. C’est une verité qu’on ne peut revoquer en doute, & que j’essaierai d’illustrer, avec sa permission, par la remarque suivante.

C’est un signe de Poltronnerie d’avaler un afront sans en témoigner aucun ressentiment, parce que celui-ci exposeroit à quelque danger ; il n’y en a pas moins à insulter une Créature, qui n’a pas la force, ou qui n’est pas en état de se deffendre. Ainsi, quelque Epithéte que cet Homme indigne donne à cette pauvre Dame qu’il a deshonorée, je ne serai pas difficulté de lui donner à lui même le titre de Lâche & de Poltron.

Tout Homme qui s’oublie jusques au point de fraper une Femme peut compter qu’il est perdu de reputation pour toute sa vie, auprès de l’un & de l’autre Sexe, parce qu’il n’y a point d’Injure, quelque atroce qu’elle soit, qui puisse jamais autoriser le Fort à maltraiter le Foible. Dans la Situation où la pauvre Lesbie se trouve, elle ne sauroit implorer le secours d’aucun Homme, pour la vanger d’une insulte, mille fois plus cruelle que ne peut être un souflet. Si elle osoit ouvrir la bouche, le Perfide sait bien qu’un Epoux, un Frere, un génereux Ami s’exposeroit volontiers à la mort pour lui faire rendre justice.

Un Esprit noble & débonaire, quelque enragé qu’il soit contre un Ennemi, ne l’a pas plutôt en son pouvoir, qu’il oublie tout son ressentiment. Un Ami, qui, par un principe de jalousie ou quelque chagrin qu’il a reçu, s’est éloigné de la Personne qu’il cherissoit, ne peut la voir tomber dans quelque disgrace, sans se rapeller sa premiere tendresse & sentir même quelque remors. Que dirons-nous donc de l’ingratitude de celui qui, après avoir oublié les faveurs qu’il avoit sollicitées avec tant de violence & reçues avec de si grands trans-ports, peut insulter aux malheurs qu’il a causé lui-même, & se divertir de la peine qui lui a donné tant de plaisir ? Il n’y a qu’une seule Créature au Monde qui s’occupe à tendre des piéges à la foiblesse des autres, & qui triomphe dans les maux que ses artifices leur attire ; & nous savons bien que ceux qui l’imitent ne manqueront pas un jour de reçevoir sa recompense.

Quoi qu’il en soit, je renvoïe ma belle Correspondante à la direction de sa prudence & de sa modestie ; j’abandonne son Ennemi, avec tous ses Complices, aux remors de leur propre cœur, & je vais finir par un Exemple mémorable de la vengeance qu’une Dame Espagnole prit de son infidéle Amant. Il peut servir à faire voir que la plus tendre de toutes les Passions produit les effets les plus terribles, lors qu’elle est convertie en haine, & à détourner la Jeunesse d’un Amour illicite. D’ailleurs, j’ai ouï affirmer que cette Avanture, toute Romanesque qu’elle paroît, est arrivée au pié de la lettre.

Il n’y a pas bien des années qu’un Gentilhomme Anglois, qui étoit à Madrid, eut le malheur de se trouver de nuit dans les Rues, d’y avoir une facheuse rencontre & d’y tuer un Homme. Refugié, sous le Portail d’une Eglise, qui pouvoit lui servir d’azyle, il fut bien surpris de toucher que la Porte n’en étoit pas fermée, & d’apercevoir une foible lumiere dans l’Eglise. Il eut le courage d’y entrer & de s’avancer de ce côté-là ; mais il fut terriblement éfraïé à la vûe d’une femme vêtue de blanc qui sortoit d’un Tombeau, avec un Couteau sanglant à la main. Le Phantôme s’approcha de lui & lui demanda ce qu’il venoit faire dans ce lieu. Ne doutant pas que ce ne fût un Esprit, il ne lui déguisa rien, & lui dit la pure verité. Là-dessus elle lui parla en ces termes: « Monsieur l’Etranger vous êtes en mon pouvoir : j ai commis un meurtre, aussi bien que vous. Sâchez donc que je suis une Religieuse d’une Famille noble. Un Lâche & un Perfide, qui m’avoit deshonnorée, s’en étoit vanté. Je l’eus bientôt expedié ; mais, non contente de l’avoir immolé à ma vengeance, j’ai obtenu du Marguillier de cette Eglise la permission d’entrer dans son Tombeau, & je viens de lui arracher ce cœur perfide, que je vais traiter de la maniere qu’il le mérite. » À ces mots, elle le mit en piéces & le foula aux piez.

XLI. Discours Perfide, sed duris genuit te cautibus horrens Caucasus, Hyrcanæque admorunt ubera tigres. Virg. Eneid. L. IV. 366 Traduction d’un Poëte François, dont le Nom m’est inconnu.Non, cruel, tu n’es point le Fils d’une Déesse,Tu suças en naissant le lait d’une Tigresse ;Et le Caucase afreux t’engendrant en courroux,Te fit l’ame & le cœur plus dur que ses cailloux. Lettre de Lesbie sur la perfidie de son Amant. Pret à renvoïer toutes choses, d’abord qu’il s’agit de rendre le moindre servi-ce à quelque Personne de merite & qui a du malheur, je vais publier ici la Lettre suivante qui vient de me tomber entre les mains. Elle est si joliment tournée, que je n’ai pas voulu y changer un seul mot. Mr. le Spectateur, « Je me flate que vous aurez non seulement compassion du triste & malheureux état où je suis tombée, avec plusieurs autres de mon Sexe mais que vous tâcherez, qui plus est, d’y remedier. Je compte d’ailleurs que vous n’en serez pas choqué, & que vous ne croirez pas que mon but est de justifier mon imprudence criminelle, ou de vous engager vous-même à me disculper. Rien n’est plus éloigné de ma pensée. Je sai trop bien que, dans quelques-uns de vos Discours, vous avez vivement censuré les Personnes coupables d’une telle démarche. Lors que j’avois à peine seize ans, & que j’étois, s’il m’est permis de le dire, dans la fleur de ma beauté, un maudit & lâche Perfide vint me faire la cour, &, sous promesse de Mariage, me rendit la plus malheureuse de toutes les Femmes. Après m’avoir seduite & engagée à quiter mes Parens, quoi que des Personnes d’honneur & de consideration, en moins de trois mois il m’abandonna. Cepen-dant ils ne vouloient plus me voir, ni entendre parler de moi, & je puis dire qu’alors je serois morte de faim au pié de la lettre, sans le secours d’une Servante qui avoit demeuré chez nous. Quoi qu’il en soit, il plut à la Divine Providence de me délivrer bient-tôt de ce triste & miserable état. Un Gentilhomme me vit, m’aima & m’épousa. Je me reconciliai d’abord avec mes Parens, & je pourrois vivre aussi heureuse dans ma nouvelle situation que j’étois ci-devant infortunée, n’étoit qu’il y a certains Brutaux au Monde qui me sont devenus insuportables. Je ne doute pas même que vous n’aïez assez d’honneur & de compassion pour les avertir, dans quelcune <sic> de vos Feuilles volantes, qu’ils ont grand tort d’en user si mal avec moi. Il y a près de cinq ans que je suis mariée, & je ne fâche pas être jamais sortie sans l’aveu de mon Epoux. Reduite à ceder aux importunitez de quelques-unes de mes Parentes, je vai plus souvent dehors que je ne voudrois, & que cela ne s’accord avec mon humeur. C’est alors que je soufre des agonies mortelles. Cet Homme, ou plutôt ce Monstre, frequente tous les endroits où je vais. Lâche & indigne qu’il est ! Parce que je ne veux pas ad-mettre ses abominables visites & ses rendez-vous criminels, il fait tout ce qu’il peut pour me deshonorer. Il me laissa destituée d’Amis & d’argent, & il ne daigna jamais s’informer de moi, jusqu’à ce que, pour mon malheur, il me vit à la Comédie, orné de Diamants, & assise dans une des Loges à côté du Théatre. Ce fut alors que sa passion se renouvella, & que l’Hypocrite prétendit se repentir du mauvais tour qu’il m’avoit joué. Alors il mit en œuvre tous les artifices qui l’avoient aidé à me perdre. Mais qu’il ne s’imagine pas de pouvoir me seduire une seconde fois. J’abhorre & je deteste son indigne passion ; & comme il ne peut que le remarquer, il n’oublie rien pour me noircir, soit que le dépit l’anime, ou qu’il s’en fasse un divertissement. Je ne manque jamais de le voir dans toutes les Assemblées publiques, où il est fort industrieux à évaporer sa malice. En un mot, il a dit notre malheureuse avanture à tous ses Amis, qui sont en grand nombre, & ce n’est plus un secret entre eux. Ils croient là-dessus qu’ils ont droit de se familiariser avec moi. S’ils me saluent, & que par civilité je leur rende la pareille, ils se donnent alors certaines libertez qui ne me sont pas moins désagréables qu’à ma Compagnie. Si je tourne les yeux d’un autre côté, ou que je paroisse fâchée, ils s’irritent & disent tout-bas à l’oreille d’un chacun ; C’est celle là ; Un tel en est le plus près ; jusqu'à ce qu’enfin les yeux de toute l’Assemblée se fixent sur moi. Ce n’est pas tout, ils inventent mille mensonges à mon préjudice, sous cette fausse idée reçue dans le Monde, Que celle qui a accordé les dernieres faveurs a un Homme les peut accorder à cent. Je vous suplie d’avertir ceux qui en sont coupables qu’il n’y a rien de plus indigne que leur procedé. Je ne doute pas que l’Auteur de mon desastre ne sente que c’est lui que vous aurez en vûe. Peut-être même que vos avis l’engageront à s’opposer à l’insolence des autres. Que le sort de ces malheureuses Femmes est triste & cruel, de voir que les Hommes se vantent & se glorifient de ce qui fait notre honte & notre disgrace ! Vous avez l’art de rendre détestables des Coûtumes aussi odieuse <sic> que celle-ci. Tâchez donc, pour l’amour de moi, & de tant d’autres qui on <sic> eu la même infortune, quoi qu’elles n’osent pas l’avouër, tâchez, dis-je, de faire voir qu’il n’est pas moins indigne pour un Homme de se vanter de faveurs reçues, ou de noircir la reputation de notre Sexe, qu’il l’est d’essuyer un démenti ou un souflet, sans en marquer aucun ressentiment. Du nombre de celles qui lisent & qui admirent vos Discours, je suis &c. Lesbie. P.S. Je supporte mon malheur avec d’autant plus d’impatience, que Mecredi <sic> dernier je reçus un nouvel afront dans l’Abaïe de Westminster. » Je conviens absolument avec l’aimable & l’infortunée Lesbie, qu’il est aussi indigne pour un Homme, d’insulter à une Femme dans la situation où elle se trouve, qu’il l’est de recevoir un démenti ou un souflet d’un air calme & tranquille. C’est une verité qu’on ne peut revoquer en doute, & que j’essaierai d’illustrer, avec sa permission, par la remarque suivante. C’est un signe de Poltronnerie d’avaler un afront sans en témoigner aucun ressentiment, parce que celui-ci exposeroit à quelque danger ; il n’y en a pas moins à insulter une Créature, qui n’a pas la force, ou qui n’est pas en état de se deffendre. Ainsi, quelque Epithéte que cet Homme indigne donne à cette pauvre Dame qu’il a deshonorée, je ne serai pas difficulté de lui donner à lui même le titre de Lâche & de Poltron. Tout Homme qui s’oublie jusques au point de fraper une Femme peut compter qu’il est perdu de reputation pour toute sa vie, auprès de l’un & de l’autre Sexe, parce qu’il n’y a point d’Injure, quelque atroce qu’elle soit, qui puisse jamais autoriser le Fort à maltraiter le Foible. Dans la Situation où la pauvre Lesbie se trouve, elle ne sauroit implorer le secours d’aucun Homme, pour la vanger d’une insulte, mille fois plus cruelle que ne peut être un souflet. Si elle osoit ouvrir la bouche, le Perfide sait bien qu’un Epoux, un Frere, un génereux Ami s’exposeroit volontiers à la mort pour lui faire rendre justice. Un Esprit noble & débonaire, quelque enragé qu’il soit contre un Ennemi, ne l’a pas plutôt en son pouvoir, qu’il oublie tout son ressentiment. Un Ami, qui, par un principe de jalousie ou quelque chagrin qu’il a reçu, s’est éloigné de la Personne qu’il cherissoit, ne peut la voir tomber dans quelque disgrace, sans se rapeller sa premiere tendresse & sentir même quelque remors. Que dirons-nous donc de l’ingratitude de celui qui, après avoir oublié les faveurs qu’il avoit sollicitées avec tant de violence & reçues avec de si grands trans-ports, peut insulter aux malheurs qu’il a causé lui-même, & se divertir de la peine qui lui a donné tant de plaisir ? Il n’y a qu’une seule Créature au Monde qui s’occupe à tendre des piéges à la foiblesse des autres, & qui triomphe dans les maux que ses artifices leur attire ; & nous savons bien que ceux qui l’imitent ne manqueront pas un jour de reçevoir sa recompense. Quoi qu’il en soit, je renvoïe ma belle Correspondante à la direction de sa prudence & de sa modestie ; j’abandonne son Ennemi, avec tous ses Complices, aux remors de leur propre cœur, & je vais finir par un Exemple mémorable de la vengeance qu’une Dame Espagnole prit de son infidéle Amant. Il peut servir à faire voir que la plus tendre de toutes les Passions produit les effets les plus terribles, lors qu’elle est convertie en haine, & à détourner la Jeunesse d’un Amour illicite. D’ailleurs, j’ai ouï affirmer que cette Avanture, toute Romanesque qu’elle paroît, est arrivée au pié de la lettre. Il n’y a pas bien des années qu’un Gentilhomme Anglois, qui étoit à Madrid, eut le malheur de se trouver de nuit dans les Rues, d’y avoir une facheuse rencontre & d’y tuer un Homme. Refugié, sous le Portail d’une Eglise, qui pouvoit lui servir d’azyle, il fut bien surpris de toucher que la Porte n’en étoit pas fermée, & d’apercevoir une foible lumiere dans l’Eglise. Il eut le courage d’y entrer & de s’avancer de ce côté-là ; mais il fut terriblement éfraïé à la vûe d’une femme vêtue de blanc qui sortoit d’un Tombeau, avec un Couteau sanglant à la main. Le Phantôme s’approcha de lui & lui demanda ce qu’il venoit faire dans ce lieu. Ne doutant pas que ce ne fût un Esprit, il ne lui déguisa rien, & lui dit la pure verité. Là-dessus elle lui parla en ces termes: « Monsieur l’Etranger vous êtes en mon pouvoir : j ai commis un meurtre, aussi bien que vous. Sâchez donc que je suis une Religieuse d’une Famille noble. Un Lâche & un Perfide, qui m’avoit deshonnorée, s’en étoit vanté. Je l’eus bientôt expedié ; mais, non contente de l’avoir immolé à ma vengeance, j’ai obtenu du Marguillier de cette Eglise la permission d’entrer dans son Tombeau, & je viens de lui arracher ce cœur perfide, que je vais traiter de la maniere qu’il le mérite. » À ces mots, elle le mit en piéces & le foula aux piez.