Virg. Eneid. L.
IV. 366
Non, cruel, tu n’es point le Fils d’une Déesse,Tu
suças en naissant le lait d’une Tigresse ;Et le Caucase afreux
t’engendrant en courroux,Te fit l’ame & le cœur plus dur
que ses cailloux.
Spectateur,
Discours, vous avez vivement censuré
les Personnes coupables d’une telle démarche. Lors que j’avois à peine
seize ans, & que j’étois, s’il m’est permis de le dire, dans la
fleur de ma beauté, un maudit & lâche Perfide vint me faire la cour,
&, sous promesse de Mariage, me rendit la plus malheureuse de toutes
les Femmes. Après m’avoir seduite & engagée à quiter mes Parens,
quoi que des Personnes d’honneur & de consideration, en moins de
trois mois il m’abandonna. Cepen-C’est celle là ; Un tel en est
le plus près ; jusqu'à ce qu’enfin les yeux de toute
l’Assemblée se fixent sur moi. Ce n’est pas tout, ils inventent mille
mensonges à mon préjudice, sous cette fausse idée reçue dans le Monde,
Que celle qui a accordé les dernieres faveurs a un
Homme les peut accorder à cent. Je vous suplie d’avertir ceux
qui en sont coupables qu’il n’y a rien de plus indigne que leur procedé.
Je ne doute pas que l’Auteur de mon desastre ne sente que c’est lui que
vous aurez en vûe. Peut-être même que vos avis l’engageront à s’opposer
à l’insolence des autres. Que le sort de ces malheureuses Femmes est
triste & cruel, de voir que les Hommes se vantent & se
glorifient de ce qui fait notre honte & notre disgrace ! Discours, je suis &c.
Lesbie.
P.S. Je supporte mon malheur avec d’autant plus d’impatience, que Mecredi
<sic> dernier je reçus un nouvel afront dans l’Abaïe de
Je conviens absolument avec l’aimable & l’infortunée Lesbie, qu’il est aussi indigne pour un Homme,
d’insulter à une Femme dans la situation où elle se trouve, qu’il l’est
de recevoir un démenti ou un souflet d’un air calme & tranquille.
C’est une verité qu’on ne peut revoquer en doute, & que j’essaierai
d’illustrer, avec sa permission, par la remarque suivante.
C’est un signe de Poltronnerie d’avaler un afront sans en témoigner aucun
ressentiment, parce que celui-ci exposeroit à quelque danger ; il n’y en
a pas moins à insulter une Créature, qui n’a pas la force, ou qui n’est
pas en état de se deffendre. Ainsi, quelque Epithéte que cet Homme
indigne donne à cette pauvre Dame qu’il a deshonorée, je ne serai pas
difficulté de
Tout Homme qui s’oublie jusques au point de fraper une Femme peut compter
qu’il est perdu de reputation pour toute sa vie, auprès de l’un & de
l’autre Sexe, parce qu’il n’y a point d’Injure, quelque atroce qu’elle
soit, qui puisse jamais autoriser le Fort à maltraiter le Foible. Dans
la Situation où la pauvre Lesbie se trouve,
elle ne sauroit implorer le secours d’aucun Homme, pour la vanger d’une
insulte, mille fois plus cruelle que ne peut être un souflet. Si elle
osoit ouvrir la bouche, le Perfide sait bien qu’un Epoux, un Frere, un
génereux Ami s’exposeroit volontiers à la mort pour lui faire rendre
justice.
Un Esprit noble & débonaire, quelque enragé qu’il soit contre un
Ennemi, ne l’a pas plutôt en son pouvoir, qu’il oublie tout son
ressentiment. Un Ami, qui, par un principe de jalousie ou quelque
chagrin qu’il a reçu, s’est éloigné de la Personne qu’il cherissoit, ne
peut la voir tomber dans quelque disgrace, sans se rapeller sa premiere
tendresse & sentir même quelque remors. Que dirons-nous donc de
l’ingratitude de celui qui, après avoir oublié les faveurs qu’il avoit
sollicitées avec tant de violence & reçues avec de si grands
trans-
Quoi qu’il en soit, je renvoïe ma belle Correspondante à la direction de
sa prudence & de sa modestie ; j’abandonne son Ennemi, avec tous ses
Complices, aux remors de leur propre cœur, & je vais finir par un
Exemple mémorable de la vengeance qu’une Dame Espagnole prit de son infidéle Amant. Il peut servir à faire
voir que la plus tendre de toutes les Passions produit les effets les
plus terribles, lors qu’elle est convertie en haine, & à détourner
la Jeunesse d’un Amour illicite. D’ailleurs, j’ai ouï affirmer que cette
Avanture, toute Romanesque qu’elle paroît, est arrivée au pié de la
lettre.
Il n’y a pas bien des années qu’un Gentilhomme Anglois, qui étoit à Madrid, eut le
malheur de se trouver de nuit dans les Rues, d’y avoir une facheuse
rencontre & d’y tuer un Homme. Refugié, sous le Portail d’une
Eglise, qui pouvoit lui servir