Citation: Anonym (Ed.): "XXXIX. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.6\039 (1726), pp. 250-255, edited in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): The "Spectators" in the international context. Digital Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1603 [last accessed: ].


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XXXIX. Discours

Citation/Motto► Perjuria ridet Amantum.

Ovid. Art. Amat. L. I. 635.

Il se moque des parjures où les Amans tombent. ◀Citation/Motto

Metatextuality► Extrait du Regitre de la Salle de Wichenovre. ◀Citation/Motto

Level 2► Level 3► Letter/Letter to the editor► Mr. le Spectateur,

« Suivant ma promesse, quoi qu’elle ne fût que conditionelle, je vous envoie une Liste de plusieurs Personnes, qui de tems en tems ont demandé la Flêche de Lard du Chevalier Philippe De Somerville ou de ses Heritiers, telle [251] qu’on la trouve dans un ancien Manuscrit intitulé, Regître de la Salle de Whichenovre, & de la Flêche de Lard qu’on y tient toûjours prête.

On voit à la tête de ce Regître la Loi ou l’institution en forme, comme vous venez de la publier : Elle est suivie de deux Statuts, qui lui servent de Commentaire, & dont voici la substance : Que la Femme prêtera serment aussi bien que le Mari, avec les differences requises ; & que les Juges examineront les Témoins, tantôt l’un, tantôt l’autre, ou même à part, s’ils le trouvent à propos. Les Cas particuliers, que je vai raporter, viennent ensuite.

Level 4► Le Chevalier Aubry de Falstaff, Fils du Chevalier Jean Falstaff, & Dame Grimaude sa Femme furent les Premiers qui demanderent la Flêche de Lard, après qu’il eut corrompu deux Amis de son Pere, qui rendirent un faux témoignage en sa faveur, & lui firent ainsi gagner ledit Lard. Mais sur ce que lui & sa Femme vinrent aussitôt à disputer entre eux de quelle maniere ils l’aprêteroient il leur fut oté par l’ordre des Juges, & pendu de nouveau dans la Salle.

Alison, Femme d’Etienne Rousseau, aména sondit Mari avec elle, & après s’être fort louée de son bon na- [252] turel & de sa complaisance à son égard, elle ajouta qu’elle ne doutoit point qu’il ne fût prêt à témoigner la même chose en sa faveur. La-dessus ledit Rousseau secoua la tête; ce qui obligea sa Femme à se retourner tout d’un coup vers lui, & à lui donner un bon souflet.

Philippe de Chanceles après avoir mis la main sur le Livre, lors qu’il en vint à cet endroit, Si elle & moi étions seuls dans le Monde, sentit un secret remors, qui l’obligea de s’esquiver au plus vite.

Sur ce que Richard de Point-Aime, qui étoit un Courtisan & un Homme fort poli, parut hésiter à ces mots, après notre Mariage, on le pria de vouloir s’expliquer. Mais, au lieu de répondre directement à la question, il s’étendit sur la grande complaisance qu’il avoit euë pour sa Femme lors qui’il lui faisoit la cour, & protesta qu’il ne lui avoit jamais donné le moindre chagrin, l’espace d’une Année & d’un Jour avant leur Mariage ; ce qu’il croioit revenir à la même chose.

«Rejetté.

Après que Jocelїn Jolly Ecuїer, eut demontré, par des Témoins irreprochables, que lui & sa Femme avoient conservé une entiere afection l’un pour l’autre tout le premier Mois de leur Mariage, qu’on appelle communement le Mois sucré, on voulut bien lui accorder par grace une tranche de Lard. ◀Level 4

[253] Il se passa bien des années, à ce que le Regitre marque ici, avant qu’aucun Demandeur se presenta à la Salle de Whichenovre ; en sorte qu’on auroit cru que tout le Paїs à la ronde étoit devenu Juif, si peu d’envie l’on témoignoit pour la Fleche de Lard.

Le premier Couple qui parut ensuite n’auroit pas manqué de l’obtenir, si l’un des Témoins n’avoit deposé, qu’étant à diner un Dimanche avec le Demandeur, sa Femme, qui s’asseїoit à l’Eglise au-dessous de celle de l’Ecuїer de la Paroisse, avoit lâché quelques mots, pour insinuer que son Mari méritoit bien le tître de Chevalier, & que celui-ci avoit repliqué avec émotion, Nargue de vous. Après que les Juges eurent examiné à fond ce raport, ils declarerent qu’une telle conduite marquoit une ambition déraisonnable dans la Femme, & une indigne colere dans le Mari.

Le Regître nous avertit qu’une Femme ne se trouva pas dûement qualifiée, sur ce qu’elle dit, en parlant de son Mari, Le bon Dieu le pardonne.

Il est aussi remarquable, qu’un Couple fut rejetté sur la déposition d’un de leurs Voisins, qui temoigna que la Dame avoit dit une fois à son Mari qu’elle [254] reconnoissoit qu’il étoit de son devoir d’obéir, & qu’il avoit repliqué là-dessus, Oh ! ma Chere vous n’avez jamais tort.

La violente passion d’une Dame pour son Chien de Boulogne, le renvoi d’une vieille Servante par un autre, le Compte d’un Cabaretier déchiré par la Femme & celui de l’Apoticaire mis en pieces par le Mari, une querelle sur le biseau du Pain, des Dinez gâtéz pour avoir trop attendu & le retour au Logis à des heures indues de la nuit, sont autant de sujets qui ont causé la rejection de quelques vingtaines de Demandeurs, dont les Noms se trouvent couchez dans le Regître.

Sans specifier tous les Cas qu’on y voit, je me bornerai a observer que la Sentence rendue contre un certain Gervais le Chasseur porte, qu’il auroit pû mêler du Lard avec ses Oeufs, s’il n’avoit pas autrefois grondé sa Femme sur ce qu’ils étoient trop cuits. D’ailleurs, la Déposition contre Dorothée Peufait est concue en ces termes : Qu’elle avoit si bien usurpé le pouvoir de gouverner le Feu de Charbon de pierre, quoi que son Mari pretendit au droit de le remuer, qu’elle ne permetroit pas volontiers que le Fourgon tombât en d’autres mains que les siennes.

[255] Je ne trouve, dans cette premiere Centurie, que deux Couples, qui aient emporté la Flêche de Lard. Le premier étoit un Capitaine de Vaisseau & sa Femme, qui ne s’étoient point vûs depuis le jour de leur Mariage jusques à celui auquel ils insinuérent leur prétention. L’autre étoit un honête Couple du voisinage, c’est-à-dire que le Mari, d’un naturel paisible avoit fort bon sens, & que la Femme étoit muette. » ◀Letter/Letter to the editor ◀Level 3 ◀Level 2 ◀Level 1