Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXVIII. Discours
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XXVIII. Discours.
Citazione/Motto
Sed non ut placidis
coeant immitia, non ut Serpentes avibus geminentur, tigribus
agni.
Hor. A. P. vs. 12.
Mais ce droit ne s’étend point jusqu’à forcer la Nature, unir ensemble les Bêtes farouches & celles qui sont apprivoisées, les Oiseaux & les Serpens, les Tigres & les Agneaux.
Metatestualità
Sur le mêlange des
Métaphores qui ne quadrent pas ensemble.
Metatestualità
Sur le mêlange des
Métaphores qui ne quadrent pas ensemble.
Livello 2
Si les Auteurs ordinaires vouloient
avoir la bonté d’écrire comme ils pensent, ils auroient du moins
la reputation d’être intelligibles. Mais au pié de la lettre ils
se donnent de la peine pour se rendre ridicules ; & par les
ornemens afectez du Stile, ils obscurcissent tout à-fait le peu
de sens qui leur reste. II y a un Grief de cette espece dans la
République des Lettres, auquel j’ai resolu depuis quelque tems
de remedier, & j’y ai même destiné ce Discours. Le défaut
dont je veux parler est le mêlange de Métaphores incompatibles
les unes avec les autres qui ne paroit que trop souvent dans
quelques-uns de nos Auteurs habiles, & qui ne manque jamais
de se trouver dans tous nos ignorans sans en excepter aucun.
Pour mettre cette matiere dans tout son jour, j’observerai
d’abord que la Métaphore est une Similitude, qui
sert à exciter les pensées de l’Esprit sous des Images qui
afectent les Sens. Il n’y a rien au Monde, qui envisagé sous
diferentes vûes ne puisse être comparé à plusieurs choses, ou,
pour le dire en d’autres termes, la même chose peut être
exprimée par diverses Métaphores. Mais le malheur est qu’un
Ignorant joindra plusieurs de ces Métaphores ensemble d’une
maniere si absurde, qu’il n’y aura ni Similitude, ni Peinture
agréable, ni Ressemblance naturelle, & qu’il n’y restera
plus que confusion, qu’obscurité & que vain bruit. C’est
ainsi que j’ai entendu comparer un Heros à la Foudre, à un Lion
& à la Mer ; toutes Métaphores bien propres à marquer
l’impetuosité, le courage ou la force. Mais, par l’inadvertence
de l’Orateur, il arriva que la Foudre inondoit tous ses bords,
que le Lion étoit lancé au travers des Nuages, & que les
Flots rouloient du sable aride & brûlant des Déserts de la
Libye. Quoique l’absurdité dans cet Exemple saute aux yeux, on
peut dire avec tout cela que, toutes les fois qu’on joint
ensemble des Métaphores discordantes, on tombe plus ou moins
dans le même défaut. Nous avons déja dit que les Métaphores sont
des Images des choses qui frapent les Sens. De sorte qu’une Image prise de ce qui afecte la Vûe ne sauroit,
sans violence, être apliquée à l’Ouïe ; & ainsi du reste. Il
n’y a pas moins d’impropriete à suposer qu’un Etre, soit de la
Nature ou de l’Art, fait certaines choses dans son état
métaphorique, qu’il ne sauroit faire dans son état original.
J’en pourrois fournir divers Exemples tirez de nos
Controversistes. Les pesans coup de sonet, dit un Auteur
célebre, qui sont tombez de votre plume, &c. Il avoit sans
doute entendu parler du siel qui tombe d’une plume, & de
donner le fouet dans une Satire ; de sorte que resolu à tout
prix de joindre ces deux traits ensemble, il en fit ce beau
galimathias. On sentira mieux l’absurdité de ces unions
monstrueuses, si l’on supose que ces Métaphores ou ces Images
sont peintes actuellement. Representez-vous donc une main qui
tient une plume, avec plusieurs coups de fouet qui en partent,
& vous aurez alors une description naïve de cette sorte
d’Eloquence. Je croi que, par cette seule Regle, on pourra juger
de l’union de toutes les Métaphores, & déterminer qu’elles
sont les homogénes, & qu’elles sont les heterogénes ; ou,
pour me servir de termes plus familiers, quelles sont les
compatibles, & quelles sont les incompatibles. Il y a encore un autre defaut, que je dois relever, & qui
consiste à pousser les Métaphores si loin qu’elles deviennent
des Allegories ennuïeuses. Quoi qu’il soit plus suportable que
le précedent, il ne cause pas moins d’embarras & de
confusion. Mais on ne peut le soufrir, lors qu’une expression
brillante détourne l’Ecrivain de son but & le fait égarer
une ou deux pages de suite. Je me souviens d’un jeune Homme de
ce tour d’Esprit, qui, après avoir dit par hazard que sa
Maîtresse étoit la Créature la plus charmante du Monde, prit
de-là occasion de lui attribuer la Zone froide & la Zone
torride, & la poursuivit ainsi la plume dans les reins
depuis un Pole jusques à l’autre.
Metatestualità
J’ajouterai ici pour conclusion une Lettre de l’Auteur dont
j’ai parlé ci-dessus, & qui fut d’abord reçuë avec de
grands aplaudissemens ; mais après ce que j’en ai dit, j’ai
de la peine à croire que personne ose la louer.
Livello 3
Lettera/Lettera al direttore
Monsieur, « Après tous les
pesans coup de fouet qui sont tombez de votre plume,
vous avez sujet d’attendre, en échange, tout le poids
que mon Encre pourra charger sur vos Epaules. Vous avez
decoché sur moi toutes les Injures qui se
peuvent ramasser dans l’Atmosphere de 1Billingsgate
sans savoir qui je suis, ni si je merite d’être ventousé
& scarifié de cette maniere. Je vous le dis une
bonne fois pour toutes, tournez vos yeux du côté qu’il
vous plaira, votre odorat ne me decouvrira jamais.
Croïez-vous que les terreurs paniques, que vous semez
dans la Paroisse ; soient capables d’élever quelque jour
un Monument à votre gloire ? Non, Monsieur, vous pouvez
livrer ces Combats aussi long-tems que vous voudrez ;
mais, lors que vous viendrez à balancer le Compte, vous
trouverez que vous avez pêché en eau trouble, qu’un Feu
folet vous a fait égarer, que vous avez bâti sur un
fondement ruineux, & qu’en un mot, vous avez trouvé
la Pie au nid. Je suis, &c. »
1C’est l’endroit où se tient le marché au Poisson dans la Ville de Londres, & où il se dit bien des injures. De là vient l’Expression commune de Billingsgate-Language, pour dire ce qu’on apelle en France le Langage des Harangeres.