Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXVI. Discours
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Ebene 1
XXVI. Discours.
Zitat/Motto
Quale per incertam
Lunam sub luce maligna
Est iter in sylvis:
Est iter in sylvis:
Virg. Æneid. VI. 270.
C’est comme si l’on marchoit dans les Bois, au foible clair de la Lune couverte de nuages.
Metatextualität
Du fruit qu’on peut
recueillir des Songes.
Metatextualität
Du fruit qu’on peut
recueillir des Songes.
Ebene 2
Metatextualität
Mon Correspondant Rêveur, Mr.
d’Ombre, m’a écrit une seconde Lettre où il y a plusieurs
observations curieuses sur les Rêves en general, avec une
Méthode pour rendre le Sommeil utile à l’Esprit. Je
m’imagine qu’un Extrait de sa Lettre ne deplaira pas à mes
Lecteurs.
Ebene 3
Brief/Leserbrief
« Puis que nous avons si peu
de tems à perdre, il me semble qu’il faut le mettre tout
à profit, & je ne vois pas pour quelle raison nous
négligerions d’examiner les Scénes imaginaires qui nous
occupent durant le Sommeil, par cela seul qu’elles ont
moins de réalité que nos Méditations pendant la
veille.Un Voïageur qui ne voudroit pas consulter sa
Carte, parce que les grands Chemins n’y sont pas en
effet, ou qu’un point y est mis au lieu
d’un Bourg, ou un chifre au lieu d’une Ville, &
qu’il lui faut une longue journée pour en parcourir deux
ou trois pouces, risqueroit de passer pour un Homme qui
manque de bon sens. L’imagination dans les Rêves nous
donne à peu près le même plan de la Vie que celle-là
nous donne des Païs & quoi que ses Representations
soient confondues & brouillées d’une étrange
maniere, on peut souvent y remarquer les traces de
certaines pensées nobles, qui suivies avec soin nous
peuvent conduire au veritable sentier de la Vertu ou de
la Prudence. Il y a quelque chose de si doux & de si
ravissant dans notre Bonheur chimerique, & quelque
chose de si triste & de si afreux dans notre Malheur
imaginaire, que, quoi que l’inactivité du Corps ait
donné lieu à appeller le Sommeil l’Image de la Mort, la
vivacité de l’lmagination nous insinue fortement qu’il y
a quelque Principe en nous qui ne peut jamais mourir. Je
me suis étonné plus d’une fois de ce qu’Alexandre le
Grand, qui vint au Monde après bien des Rêves de ses
Parens à l’égard de sa naissance, & qui avoit
lui-même une assez bonne disposition à la Rêverie, avoit
accoûtumé de dire, que le Sommeil lui
faisoit connoître qu’il étoit mortel. Pour moi, qui n’ai
pas, durant la veille, de si vastes projets à remplir,
qui puissent détourner mon attention de cette matiere,
je m’aperçois clairement que, dans les Operations de
l’Esprit qui se font pendant que le Corps se repose, il
y a une Conception d’une vaste étendue, proportionnée à
la Capacité & qui démontre la force de cette divine
partie de nous-mêmes qui durera toûjours. Je ne doute
pas même que, si nous avions un compte exact des
prouesses que le Heros, dont je viens de parler, faisoit
dans son Sommeil, sa conquête de ce petit globe
terrestre ne meriteroit presque pas d’être nommée. Qui
plus est, j’ose dire, sans vanité, que, lors que je
compare plusieurs de ses actions qui se trouvent dans
Quintecurce avec quelques-unes des miennes couchées dans
mon Noctuaire, je parois le plus grand Heros des deux. »