Sugestão de citação: Anonym (Ed.): "XX. Discours", em: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.6\020 (1726), S. 126-132, etidado em: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Os "Spectators" no contexto internacional. Edição Digital, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1495 [consultado em: ].


Nível 1►

XX. Discours.

Citação/Divisa► Quæ in vita usurpant homines, cogitant, curant, vident, quæque agunt vigilantes, agitantque, ea cuique iu somno accidunt.
Cic. de Divin. Lib.
Ce que les hommes pratiquent d’ordinaire, ce qui les occupe, qui les exerce & qui les agite durant la veille, c’est ce qui leur revient pendant le sommeil. ◀Citação/Divisa

Metatextualidade► Lettre sur le bon usage, qu’on peut faire des Rêves. ◀Metatextualidade

Nível 2► Metatextualidade► Par la derniere de nos Postes, j’ai reçu la Lettre suivante, qui roule sur une pensée toute neuve & très-bien poussée. C’est à cause de cela même que je la donne ici au Public, sans y faire aucun changement ni la moindre addition. ◀Metatextualidade

[127] Nível 3► Carta/Carta ao editor► Monsieur,

« Pythagore donnoit un fort bon Avis à ses Disciples, lorsqu’il leur conseilloit d’examiner, avant que de s’endormir, ce qu’ils avoient fait durant le jour, afin de se mettre en état de poursuivre le lendemain tout ce qui seroit vertueux, & de prévenir les mauvaises Habitudes, qui se contractent facilement. Pour moi, s’il m’est permis d’ajouter quelque chose à l’Avis de ce Philosophe, je voudrois que mon Disciple considerâ le matin, avant que de se lever, tout ce qui lui est venu dans l’Esprit durant le sommeil, & qu’il s’en aquitât avec le même soin que s’il le croyoit très réel. Cet examen du jeu de son imagination ne pourroit que lui être fort utile, parce que les circonstances où l’on se trouve, pendant le sommeil, favorisent d’ordinaire nos inclinations, bonnes ou mauvaises, & nous donnent occasion de les pousser en idée jusques au bout, en sorte qu’on découvre alors à plein son Temperament, & qu’on voit de quel côté il se tourne à l’abri de la gêne où les accidens de la vie le mettent. Il n’y a nul doute que nos Rêves ne soient fondez sur les pensées que nous avons eu durant la veille, & que les craintes & les [128] esperances qui nous agitent le jour ne causent la nuit à notre Imagination cette vive douleur & ce plaisir délicat que nous ressentons quelquefois au milieu du sommeil. Celui qui tue son Ennemi, ou qui abandonne son Ami dans un Rêve, doit s’armer contre la Véngeance & l’Ingratitude, & prendre garde qu’il ne soit tenté à faire une mauvaise action par un principe de faux Honeur, ou le mépris du véritable. Pour moi, je ne reçois presque jamais un Bienfait, qu’une ou deux Nuits après je ne rende la pareille avec beaucoup de generosité ; & quoique mon Bienfaicteur n’en soit pas mieux, je me plais à penser que c’est par un principe de gratitude, que mon Ame a été capable d’un si genereux transport lorsque je croïois témoigner ma reconnoissance à mon Ami. D’ailleurs j’ai été souvent prêt à demander pardon, au lieu de rendre une injure, après avoir consideré que j’avois porte mon ressentiment trop loin lorsque l’Agresseur étoit en mon pouvoir.

II me semble que vous avez observé dans plusieurs de vos Discours, que le Bonheur ou le Malheur des Hommes dépend beaucoup de l’Imagination. Ce qui se passe dans nos Rêves en est une bonne preuve ; de sorte qu’on doit être [129] encouragé à suivre mon Avis, non seulement parce qu’il peut servir à nous connoitre nous-même, mais aussi à nous délivrer de toute inquiétude & à nous calmer l’Esprit. A l’égard de ceux qui voudront l’embrasser, je les mettrai en chemin de le pratiquer avec plaisir, pourvû qu’ils observent cette Maxime, je veux dire, De se coucher avec l’Esprit libre de toute passion, & le Corps exemt de la moindre intemperance.

Ceux qui s’abandonnent au sommeil avec des pensées moins calmes ou innocentes qu’elles devroient l’être, ne font que s’embarrasser dans des Scènes remplies de crimes & de misere : A l’égard de ceux qui, pour le plaisir de se gorger de viandes, ou de se remplir de vin dans un grand repas, s’exposent à mille inquiétudes nocturnes, je n’ai rien à leur dire, & je ne saurois les inviter à faire des réfléxions pleines de honte & d’horreur. Mais pour ceux qui observeront ma Régle, je leur promets qu’à leur réveil ils seront gais & dispos, aussi bien qu’en état de se rappeller avec joie tous ces glorieux écarts & ces nobles embarras de pensées, où leur Imagination les a conduits. Supposé que l’abstinence d’un Homme qui se couche sans avoir soupé aidât à l’introduire à [130] la Table de quelque grand Prince, où il seroit reçu avec toutes les marques d’honneur possibles, & regalé des mêts les plus exquis ; qu’ensuite il expediât quantité d’affaires, & qu’il se levât avec autant d’appétit que s’il avoit jeuné toute la nuit ; ou suposé que ses plus chers Amis lui parussent d’un bout de la nuit à l’autre dans de cruelles angoisses, dont il auroit pû les garantir, s’il se fût allé coucher sans demander une autre Bouteille : Lequel de ces deux états préfereriez-vous ? Croyez-moi, ces effets de l’Imagination ne doivent pas être méprisez, & sont une conséquence inévitable du soin que l’on a de gouverner ses Cupiditez, ou de la négligence qu’on y apporte.

Je n’insisterai pas sur divers autres motifs capables de reccommander l’Avis que je donne ici, jusqu’à ce que je sâche si vous l’approuvez vous-même, & de quelle maniere vos Lecteurs le recevront. S’il y en a quelques-uns entre eux qui le croient inutile à leur égard, parce qu’ils ne rêvent jamais, il y en peut avoir d’autres qui ne font presque autre chose que rêver tout le long du jour. Si tout le monde sentoit aussi bien que moi ce qui leur arrive dans le Sommeil, on ne disputeroit plus si nous passons une si grande partie de [131] notre tems comme des Troncs & des Pierres, ou si l’Ame est toujours occupée à s’entretenir de ce qu’elle pense. Quoiqu’il en soit je ne cherche qu’à exciter mes Compatriotes à tirer quelque fruit de tant d’heures perdues, & vous ne pouvez qu’encourager un si honête dessein.

Pour conclusion, je vous donnerai deux ou trois Exemples de la maniere dont j’y procede moi-même.

Lorsque j’ai quelque affaire de conséquence pour le lendemain, je ne suis pas plutôt endormi la nuit, que je m’y trouve engagé de tous côtez, & lorsque je m’éveille j’examine toutes les procedures que j’y ai observées, & que j’accompagne des reflexions que le nouveau jour me fournit avant même que le Soleil l’ait éclairé.

A peine y-a-t-il un seul Poste considerable que je n’aye rempli une fois en ma vie ; mais je suis si satisfait de ma conduite lorsque j’étois Principal d’un College, que, si une Place de cette nature vient à vaquer, je travaillerai d’abord à l’obtenir.

J’ai fait bien des choses qui ne seroient pas à l’épreuve d’un rigoureux examen, lorsque j’ai trouvé le secret de voltiger [132] ou de me rendre invisible ; c’est pour cela même que je suis fort aise de n’être pas revêtu de ces qualitez extraordinaires.

Enfin, Mr. le Spectateur, j’ai été un de vos plus fideles Correspondans, & j’ai lû, parmi vos Discours, quantité de mes Lettres que je ne vous ai jamais écrites. Si vous avez envie d’en recevoir effectivement, j’ai quelques Visions & autres Mêlanges, dans mon Noctuaire, que je vous envoyerai pour enrichir les vôtres, lorsque l’occasion vous paroîtra favorable. Je suis &c. »

A Oxford le 20/31 Aout 1714.

Jean Ombre. ◀Carta/Carta ao editor ◀Nível 3 ◀Nível 2 ◀Nível 1