Le Spectateur ou le Socrate moderne: XVII. Discours
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.2719
Level 1
XVII. Discours.
Citation/Motto
Ipse thymum pinósque
ferens de montibus altis,
Tecta serat late circum, cui talia curæ:
Ipse labore manum duro terat, ipse feraces
Figat humo plantas, & amicos irriget imbres.
Virg. Georg. IV. 112.
Que celui qui s’adonne à cette culture transporte, du sommet des Montagnes, le Thym & les rejettons du Pin, & qu’il les plante, au long & au large, autour de ses Ruches; qu’il s’endurcisse les mains à ce pénible travail, qu’il mette par tout des Plantes fertiles, & qu’il ait soin de les arroser.
Tecta serat late circum, cui talia curæ:
Ipse labore manum duro terat, ipse feraces
Figat humo plantas, & amicos irriget imbres.
Virg. Georg. IV. 112.
Que celui qui s’adonne à cette culture transporte, du sommet des Montagnes, le Thym & les rejettons du Pin, & qu’il les plante, au long & au large, autour de ses Ruches; qu’il s’endurcisse les mains à ce pénible travail, qu’il mette par tout des Plantes fertiles, & qu’il ait soin de les arroser.
Metatextuality
Les Gentilshommes de la
Campagne devroient s’apliquer à la culture des Plantes.
Metatextuality
Les Gentilshommes de la
Campagne devroient s’apliquer à la culture des Plantes.
Level 2
Chaque état de la vie a ses devoirs
particuliers. Ceux que leur choix détermine à un certain genre
d’Affaires ont en cela plus de bonheur que ceux qui s’y voient
reduits par la necessité, mais les uns & les autres sont
également obligez de se fixer à des Emplois, qui leur puissent
être utiles à eux-mêmes, ou avantageux au Public. Il n’y a pas
un seul des Enfans d’Adam qui se doive croire
dispensé de ce travail, auquel notre premier Pere fut condamé,
avec toute sa Posterité après lui. Ceux que la Naissance ou le
Bien semble avoir délivrez de ce joug doivent se faire quelque
occupation, pour n’être pas à charge à la Societé, & les
seules Créatures oisives qu’il y ait au Monde. Plusieurs de nos
Gentilshommes de la Campagne emploient tout leur tems à la
Chasse, ou à d’autres plaisirs de cette nature. C’est ce qui a
donné occasion à un de nos plus célebres Ecrivains Anglois de
les representer comme soumis à une espece de Malédiction, &
de leur appliquer, dans une autre vûe, ce que Goliath disoit à
David, 1Je te donnerai aux
Oiseaux du Ciel & aux Bêtes des Champs. Quoique de tels
Exercices, pris avec moderation, puissent être avantageux à
l’Ame & au Corps, la Campagne fournit quantité d’autres
Amusemens plus nobles & plus dignes de l’Homme. D’ailleurs, je ne recommande pas
cet Exercice aux Personnes riches par cela seul que c’est un
Amusement agréable, mais aussi parce que c’est un Emploi digne
d’un Homme qui a de la Vertu, & qu’on peut inculquer par des
Principes tirez de la Morale, par exemple, sur l’amour de la
Patrie, & sur les égards que nous devons avoir pour notre
Posterité. Tout le monde sçait que nos arbres de haute futaie ne
croissent pas à proportion du dégat qui s’en fait tous les
jours, & que, si l’on n’y remedie, nous pouvons manquer à la
fin de bois de charpente pour l’usage de nos Flotes. II est vrai
que parler de ce qui est dû à la Posterité dans un cas de cette
nature, c’est vouloir passer pour ridicule dans
l’esprit de certaines Personnes rusées, qui n’ont autre chose en
vûe que leur interêt. La plûpart des Gens sont de l’humeur d’un
certain vieux Membre d’un College, qui sollicité par ses
Confreres d’en venir à une resolution qui pùt être avantageuse à
leurs Successeurs, se dépita & leur dit tout en colére, Nous
faisons toûjours quelque chose pour la Posterité, je voudrois
bien voir que la Posterité fît aussi quelque chose pour nous.
Mais je croi qu’on est inexcusable de manquer à un Devoir de la
nature de celui-ci, & dont il est si facile de s’aquiter.
Lors qu’un Homme pense que le soin de ficher quelques rejettons
en terre peut servir à l’avantage d’un autre, qui ne paroîtra
dans le Monde qu’au bout d’une cinquantaine d’Années, ou qu’il
travaille peut-être à rendre un de ses Descendans aisé &
commode, ou même riche, à si peu de fraix ; s’il trouve quelque
repugnance à se donner cette peine, il doit conclure de-là qu’il
n’a nul principe d’amour ni de genérosité pour le Genre Humain.
II y a une chose qui peut donner beaucoup de poids à ce que je
viens de dire. On voit quantité d’honnêtes Gens, qui sont
disposez à faire du bien au monde ; mais qu’ils se plaignent de
ce qu’ils n’ont pas les talens nécessaires pour en
venir à bout. C’est donc leur rendre un bon service, que de leur
fournir un Moïen, qui est à la portée des plus petits Génies,
& qu’une infinité de Particuliers peuvent suivre, quoi
qu’ils n’aient pas des Vertus éclatantes pour s’attirer l’estime
de leur Patrie, ni d’autre voie pour mériter les éloges de la
Posterité. Lors qu’un de nos Amis parle de la mort de quelqu’un
de ses Voisins à la Campagne, qui étoit industrieux & d’une
humeur bienfaisante, il dit d’ordinaire qu’on peut le suivre à
la trace. II me semble que ces quatre mots valent une bonne
Oraison funébre, & qu’on ne sauroit mieux exprimer la
diligence d’un honnête Homme qui a cultivé ses terres & qui
a laissé, dans l’Endroit où il a vécu, des marques de son
industrie. Appuïé sur toutes ces reflexions, je suis presque
tenté de nommer cet Exercice une espece de Vertu morale, dont la
pratique est d’ailleurs accompagnée de quelque plaisir, comme je
l’ai déja dit. Il faut avouër que ce n’est pas un de ces
plaisirs turbulens que la Jeunesse recherche dans sa premiere
fougue ; mais s’il n’est pas si vif, il est plus durable. Il n’y
a rien qui puisse nous donner une satisfaction plus douce que la
vûe des Païsages que nous avons élevé nous-mêmes,
ou qu’une promenade à l’ombre de ces Arbres que nous avons
plantez. De pareils amusemens rendent l’esprit serein, &
calment toutes ces passions violentes qui agitent les Hommes ;
outre qu’ils nous inspirent de bonnes pensées, & qu’ils nous
mettent en état de nous occuper à d’heureuses Méditations.
Plusieurs des anciens Philosophes passoient presque toute leur
vie dans leurs Jardins. Epicure lui-même ne croïoit pas qu’on
pût goûter en aucun autre Lieu le Plaisir sensuel. Tous ceux qui
ont lû Homere, Virgile, & Horace, les plus grands Génies de
l’Antiquité, sçavent très-bien avec quels transport ils ont
parlé de la Vie champêtre, & que Virgile a écrit un Livre
entier sur l’Art de planter les Arbres. II semble au reste que
cet Art convenoit mieux à l’Homme dans son premier état, lors
qu’il vivoit assez long-tems pour voir fleurir ses Plantations
dans toute leur beauté, & déchoir insensiblement avec lui.
Un de ces Hommes qui vivoient avant le Déluge auroit pû voir
croître du simple Gland une Forêt des plus hauts Chênes.
General account
Entre ceux-ci, je n’en connois
point de plus agréable ni de plus utile au Public que la
Culture des Plantes. Je pourrois nommer un Seigneur qui a du
Bien en divers endroits de l’Angleterre, & qui a
toûjours laissé après lui ces marques visibles du sejour qu’il y a fait : II n’a jamais loué une
Maison de Campagne en sa vie, sans y semer l’abondance de
tous côtez, & y léguer de bons revenus à la posterité du
Proprietaire. Si tous nos Gentilshommes avoient eu le même
soin de leurs Domaines, toute notre Isle ne formeroit
aujourd’hui qu’un vaste Jardin. Au reste on ne doit pas
regarder cet Emploi comme trop méchanique pour les Personnes
du rang le plus distingué. II y a eu des Heros dans cet Art,
aussi bien que dans les autres. Le Grand Cyrus, à ce que
l’Histoire nous dit, couvrit d’Arbres toute l’Asie Mineure.
Il faut avouer qu’il y a quelque chose de somptueux dans
cette espece d’amusement : II donne un air plus noble a
diverses parties de la Nature, il remplit la Terre d’une
grande varieté de Scénes magnifiques, & il approche en
quelque maniere de la Création. De là vient que le plaisir
d’un Homme qui plante ressemble un peu à celui d’un Poëte,
qui, suivant la remarque d’Aristote, est plus satisfait de
ses Productions qu’aucun autre Ecrivain ou Artiste qu’il y
ait. La culture des Plantes a un avantage qui ne se trouve
pas dans la plûpart des autres Exercices, en ce qu’elle
donne un plaisir de plus longue durée & qui croît tous les jours à la vûe de l’Ouvrïer. Lors que
vous avez achevé un Bâtiment, ou tout autre Ouvrage de cette
nature, il n’est pas plutôt sorti de vos mains, qu’il
commence à déchoir ; vous le voïez amener à son plus haut
point de perfection, & tomber presque d’abord en
décadence & courir à sa ruine. Tout au contraire, lors
que vous avez achevé de planter vos Arbres, ils croissent
& se perfectionnent tout le tems de votre vie, &
chaque Année les fait paroître plus beaux, qu’ils n’étoient
l’Année précedente.
Metatextuality
Mais cette remarque n’est placée
ici que pour servir d’introduction à la Piece suivante,
c’est-à-dire à un Conte qui se trouve dans les
Historiens de la Chine, & qu’on peut regarder comme un
Roman fait avant le Déluge.
1I. Sam. XVII. 44.