Le Spectateur ou le Socrate moderne: XIV. Discours
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Livello 1
XIV. Discours
Citazione/Motto
Odora canum
vis.
Virg. Æneid. IV. 132.
L’odoratexquis des Chiens.
Virg. Æneid. IV. 132.
L’odoratexquis des Chiens.
Metatestualità
La Chasteté &
l’Impureté discernées par une certaine race de Chiens.
Metatestualità
La Chasteté &
l’Impureté discernées par une certaine race de Chiens.
Livello 2
Sous le Regne de Charles I. les
Imprimeurs ou Correcteurs, emploïez par une
Compagnie de Libraires, qui avoit obtenu une Patente, pour faire
imprimer la Bible, laisserent une lourde faute dans une de leurs
Editions ; puis qu’au lieu de ces mots, Tu ne commettras point
Adultere, il y eut quelques milliers d’Exemplaires tirez, où on
lisoit, Tu commettras Adultere. L’Archevêque Laud, pour les
punir de cette négligence, les fit condamner à une grosse Amende
dans la Chambre étoilée. Si l’on en jugeoit par la dépravation
qui regne aujourd’hui, on seroit tenté de croire qu’il y a
quantité de notre Jeunesse débauchée, de l’un & de l’autre
Sexe, qui lit cette Edition corrompue de la Bible, & qui
observe ce Commandement au pié de la lettre, tel qu’il y est
mal-exprimé par l’omission de la particule négative. Dans les
premiers siecles de l’Eglise, les Adulteres y étoient
excommuniez à perpetuité, & rendus incapables de se trouver
jamais dans les Assemblées religieuses des Chrêtiens, quoi
qu’ils le demandassent avec larmes, & que leur repentance
parût même la plus sincere du monde. Je pourrois alléguer ici
quelques anciennes Loix, reçues par des Nations Païennes, qui
punissoient l’Adultere du dernier suplice, & y en ajouter
d’autres de même sorte, qui subsistent encore
aujourd’hui en divers Etats qui ont embrassé la Réformation.
Mais comme un sujet de la nature de celui-ci est un peu trop
serieux pour le gros de mes Lecteurs, qui sont préts à jetter
mes Discours à quartier, d’abord qu’ils ne les trouvent pas
animez par quelque chose de divertissant ou d’extraordinaire ;
je vais publier un petit Manuscrit, qui m’est tombé en dernier
lieu entre les mains, & qui, s’il faut l’en croire, est
d’une grande antiquité, quoi qu’eu égard à certaines phrases de
nouvelle date & à d’autres particularitez, qu’on y peut
observer, je croirois plutôt que c’est l’Ouvrage de quelque
Sophiste moderne. Tous les Literateurs savent, qu’il y avoit
autrefois, sur le Mont Etna, un Temple dédié à Vulcain, qui
étoit gardé par des Chiens d’un odorat si exquis, à ce que les
Historiens affirment, qu’ils pouvoient discerner si les
personnes qui s’y rendoient étoient chastes ou non. Ils alloient
au devant des premiers, les flatoient & les caressoient
comme des Amis de leur Maître Vulcain ; mais ils se jettoient
sur les autres & ne cessoient d’aboïer contre eux, jusqu’à
ce qui les eussent mis hors du Temple. En un mot,
voici la Rélation que le Manuscrit donne de ces Chiens, &
qui semble destinée à servir de Commentaire au Fait que je viens
de raporter.
Il seroit à souhaiter que nous eussions, dans la Grande
Bretagne, quelques Chiens de cette race, qui ne manqueroient pas
de rendre justice aux Dames de cette Isle, ou plutôt de les
honorer, & de faire voir au monde la différence qu’il y a
entre des Païennes & des Chrétiennes imbues de meilleurs
Principes de Vertu & de Religion.
Livello 3
Allegoria
« Diane, la Déesse de la
Chasse & de la Chasteté n’eut pas plutôt observé cet
instinct naturel dans quelques-uns de ses Chiens,
qu’elle en fit présent à son Frere Vulcain. On crut même
qu’elle vouloit chagriner par-là sa belle-Sœur Venus,
qui ne retournoit jamais auprès de son Epoux, qu’elle ne
le trouvât de bonne ou de mauvaise humeur, suivant
qu’elle avoit été bien ou mal reçue de ces Chiens. Ils
vêcurent plusieurs années dans le Temple, quoiqu’ils
fûssent si hargneux, qu’ils en chasserent la plûpart de
ceux qui alloient y adorer. Les Siciliennes, informées
de cela, envoïerent une Députation solemnelle aux
Prêtres, pour les avertir qu’elles n’y apporteroient pas
leurs Ofrandes, s’ils n’enmuseloient leurs Mâtins : de
sorte qu’il fut convenu qu’une troupe de jeunes Filles,
qui n’auroient pas plus de sept ans chacune,
s’acquiteroit de ce devoir à leur place. Tout le monde
fut surpris, ajoute mon Auteur, de la bonne reception
que ces jeunes Demoiselles trouverent auprès de ces
mêmes Chiens, qui avoient si maltraité leurs
Meres. On dit qu’un Prince de Syracuse, d’un naturel
jaloux, qui avoit épousé une jeune Femme, eut le bonheur
d’obtenir, de ces Prêtres, un Petit de cette fameuse
race de Chiens. La belle Princesse en fut d’abord si
tourmentée, qu’elle sollicita son Mari à le renvoïer ;
mais il lui allégua le vieux Proverbe Sicilien, conçu en
ces mots : Qui m’aime, aime mon Chien. Depuis ce tems-là
elle vécut de fort bonne intelligence avec l’un &
l’autre. Il n’en fut pas de même à l’égard des autres
Dames de Syracuse ; elles en étoient si harassées, qu’il
y en eut plusieurs de très-bonne reputation qui ne
vouloient pas aller à la Cour, si le petit Chien n’en
étoit banni. Quelques-unes à la verité défioient son
odorat ; mais on observoit qu’à leur aproche, quoi qu’il
ne les mordît pas, il grondoit toûjours d’une terrible
maniere. Pour revenir aux Chiens du Temple ; après y
avoir passé une longue suite d’années en grande
reputation, il arriva qu’un soir, lors qu’un des
Prêtres, qui avoit été rendre une visite charitable à
une Veuve qui demeuroit sur le Promontoire de Lilybée,
se retiroit fort tard, ils se jetterent sur lui avec
tant de furie, qu’ils l’auroient mis en
piéces si ses Confreres n’étoient venus à son secours :
Là dessus, à ce que dit mon Auteur, les pauvres Chiens
furent tous pendus, sous prétexte qu’ils avoient perdu
leur instinct naturel. »