Citation: Anonym (Ed.): "XIV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.6\014 (1726), pp. 91-96, edited in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): The "Spectators" in the international context. Digital Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1489 [last accessed: ].


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XIV. Discours

Citation/Motto► Odora canum vis.
Virg. Æneid. IV. 132.
L’odoratexquis des Chiens. ◀Citation/Motto

Metatextuality► La Chasteté & l’Impureté discernées par une certaine race de Chiens. ◀Metatextuality

Level 2► Sous le Regne de Charles I. les Imprimeurs ou Correcteurs, emploïez [92] par une Compagnie de Libraires, qui avoit obtenu une Patente, pour faire imprimer la Bible, laisserent une lourde faute dans une de leurs Editions ; puis qu’au lieu de ces mots, Tu ne commettras point Adultere, il y eut quelques milliers d’Exemplaires tirez, où on lisoit, Tu commettras Adultere. L’Archevêque Laud, pour les punir de cette négligence, les fit condamner à une grosse Amende dans la Chambre étoilée.

Si l’on en jugeoit par la dépravation qui regne aujourd’hui, on seroit tenté de croire qu’il y a quantité de notre Jeunesse débauchée, de l’un & de l’autre Sexe, qui lit cette Edition corrompue de la Bible, & qui observe ce Commandement au pié de la lettre, tel qu’il y est mal-exprimé par l’omission de la particule négative.

Dans les premiers siecles de l’Eglise, les Adulteres y étoient excommuniez à perpetuité, & rendus incapables de se trouver jamais dans les Assemblées religieuses des Chrêtiens, quoi qu’ils le demandassent avec larmes, & que leur repentance parût même la plus sincere du monde.

Je pourrois alléguer ici quelques anciennes Loix, reçues par des Nations Païennes, qui punissoient l’Adultere du dernier suplice, & y en ajouter d’autres de [93] même sorte, qui subsistent encore aujourd’hui en divers Etats qui ont embrassé la Réformation. Mais comme un sujet de la nature de celui-ci est un peu trop serieux pour le gros de mes Lecteurs, qui sont préts à jetter mes Discours à quartier, d’abord qu’ils ne les trouvent pas animez par quelque chose de divertissant ou d’extraordinaire ; je vais publier un petit Manuscrit, qui m’est tombé en dernier lieu entre les mains, & qui, s’il faut l’en croire, est d’une grande antiquité, quoi qu’eu égard à certaines phrases de nouvelle date & à d’autres particularitez, qu’on y peut observer, je croirois plutôt que c’est l’Ouvrage de quelque Sophiste moderne.

Tous les Literateurs savent, qu’il y avoit autrefois, sur le Mont Etna, un Temple dédié à Vulcain, qui étoit gardé par des Chiens d’un odorat si exquis, à ce que les Historiens affirment, qu’ils pouvoient discerner si les personnes qui s’y rendoient étoient chastes ou non. Ils alloient au devant des premiers, les flatoient & les caressoient comme des Amis de leur Maître Vulcain ; mais ils se jettoient sur les autres & ne cessoient d’aboïer contre eux, jusqu’à ce qui les eussent mis hors du Temple.

[94] En un mot, voici la Rélation que le Manuscrit donne de ces Chiens, & qui semble destinée à servir de Commentaire au Fait que je viens de raporter.

Level 3► Allegorie► « Diane, la Déesse de la Chasse & de la Chasteté n’eut pas plutôt observé cet instinct naturel dans quelques-uns de ses Chiens, qu’elle en fit présent à son Frere Vulcain. On crut même qu’elle vouloit chagriner par-là sa belle-Sœur Venus, qui ne retournoit jamais auprès de son Epoux, qu’elle ne le trouvât de bonne ou de mauvaise humeur, suivant qu’elle avoit été bien ou mal reçue de ces Chiens. Ils vêcurent plusieurs années dans le Temple, quoiqu’ils fûssent si hargneux, qu’ils en chasserent la plûpart de ceux qui alloient y adorer. Les Siciliennes, informées de cela, envoïerent une Députation solemnelle aux Prêtres, pour les avertir qu’elles n’y apporteroient pas leurs Ofrandes, s’ils n’enmuseloient leurs Mâtins : de sorte qu’il fut convenu qu’une troupe de jeunes Filles, qui n’auroient pas plus de sept ans chacune, s’acquiteroit de ce devoir à leur place. Tout le monde fut surpris, ajoute mon Auteur, de la bonne reception que ces jeunes Demoiselles trouverent auprès de ces mêmes Chiens, qui avoient [95] si maltraité leurs Meres. On dit qu’un Prince de Syracuse, d’un naturel jaloux, qui avoit épousé une jeune Femme, eut le bonheur d’obtenir, de ces Prêtres, un Petit de cette fameuse race de Chiens. La belle Princesse en fut d’abord si tourmentée, qu’elle sollicita son Mari à le renvoïer ; mais il lui allégua le vieux Proverbe Sicilien, conçu en ces mots : Qui m’aime, aime mon Chien. Depuis ce tems-là elle vécut de fort bonne intelligence avec l’un & l’autre. Il n’en fut pas de même à l’égard des autres Dames de Syracuse ; elles en étoient si harassées, qu’il y en eut plusieurs de très-bonne reputation qui ne vouloient pas aller à la Cour, si le petit Chien n’en étoit banni. Quelques-unes à la verité défioient son odorat ; mais on observoit qu’à leur aproche, quoi qu’il ne les mordît pas, il grondoit toûjours d’une terrible maniere. Pour revenir aux Chiens du Temple ; après y avoir passé une longue suite d’années en grande reputation, il arriva qu’un soir, lors qu’un des Prêtres, qui avoit été rendre une visite charitable à une Veuve qui demeuroit sur le Promontoire de Lilybée, se retiroit fort tard, ils se jetterent sur lui avec tant de furie, qu’ils l’auroient [96] mis en piéces si ses Confreres n’étoient venus à son secours : Là dessus, à ce que dit mon Auteur, les pauvres Chiens furent tous pendus, sous prétexte qu’ils avoient perdu leur instinct naturel. » ◀Allegorie ◀Level 3

Il seroit à souhaiter que nous eussions, dans la Grande Bretagne, quelques Chiens de cette race, qui ne manqueroient pas de rendre justice aux Dames de cette Isle, ou plutôt de les honorer, & de faire voir au monde la différence qu’il y a entre des Païennes & des Chrétiennes imbues de meilleurs Principes de Vertu & de Religion. ◀Level 2 ◀Level 1