Le Spectateur ou le Socrate moderne: XI. Discours
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Nivel 1
XI. Discours
Cita/Lema
Non possidentem multa
vocaveris
Cita/Lema
Rectè beatum : rectiùs occupat
Cita/Lema
Nomen beati, qui Deorum
Cita/Lema
Muneribus sapienter uti,
Cita/Lema
Durámque callet pauperiem pati,
Cita/Lema
Pejùsque letho flagitium timet.
Hor. Lib. IV. Ode IX. 45.
Ce ne sont pas les grands biens qui rendent l’Homme heureux : celui-là l’est à plus juste titre, qui sçait user avec sagesse des présens que lui font les Dieux ; qui a le don de souffrir avec patience la pauvreté ; & qui redoute le crime plus que la mort.
Metatextualidad
Sur le grand Oeuvre, ou
le Contentement de l’Esprit.
Metatextualidad
Sur le grand Oeuvre, ou
le Contentement de l’Esprit.
Nivel 2
Je liai un jour conversation avec un
Frere de la Rose-Croix, qui m’entretint du grand Oeuvre. Comme
ces sortes de Tome VI. Gens, ceux du moins qui ne
sont pas de véritables Fripons, ne respirent que l’Enthousiasme
& la Philosophie, je pris beaucoup de plaisir à entendre
raisonner ce pieux Adepte sur les merveilles de son prétendu
Secret. Il me parla d’un Esprit renfermé dans une Emeraude, qui
élevoit tout ce qui en approchoit au plus haut degré de
perfection, où il pût atteindre.
Après qu’il m’eut étourdi quelque temps de son Jargon
inintelligible, je m’apperçus qu’il mêloit ensemble les idées de
la Physique & de la Morale, & que son grand Oeuvre
n’étoit autre chose que le contentement de l’Esprit. Il faut
avouer que cette heureuse Disposition produit, à quelques
égards, tous les effets que les Chimistes attribuent à leur
Pierre Philosophale, & que, si elle n’améne pas les
Richesses, elle en bannit le désir ; ce qui revient
à la même chose. Si elle ne peut éloigner toutes les inquiétudes
qui naissent du mauvais état de sa fortune, ou de son corps,
elle fait du moins qu’on les suporte avec un grand calme. Elle a
une douce influence sur l’Ame à l’égard de tous les Etres
ausquels on a quelque relation. Elle exclut toute sorte de
murmure & d’ingratitude envers le souverain Monarque de
l’Univers, qui nous a mis chacun dans le Poste que nous devons
remplir. Elle détruit tous les desseins ambitieux &
criminels, & tout penchant à nous laisser corrompre au
préjudice de la Societé où il nous a placez. Elle rend la
Conversation douce & agréable, & donne une entiere
serenité à l’Esprit. Entre les differens moyens qu’on peut
mettre en usage pour acquerir cette Habitude, je n’en
rapporterai que deux. L’un est de considerer ce que nous avons
au-delà de ce qu’il nous faudroit pour subvenir à nos besoins
reels, & l’autre de penser que nous pourrions être beaucoup
plus malheureux que nous ne sommes. i. Le premier de ces
Articles me rappelle la réponse d’Aristippe à un de ses Amis,
qui le plaignoit d’avoir perdu une Maison de Campagne. Vous avez
tort, lui dit-il, de vous affliger pour moi, & je devrois
plutôt vous plaindre vous-même, puis qu’il me reste
encore trois Maisons de Campagne, & que vous n’en avez
qu’une. Tout au contraire, la plûpart des Hommes font plus
d’attention à ce qu’ils ont perdu qu’à ce qu’ils possedent,
& ils fixent plutôt la vûë sur ceux qui sont plus riches que
sur ceux qui se trouvent dans un plus triste état qu’eux-mêmes.
Tous les solides plaisirs & toutes les commoditez de la vie
se renferment dans des bornes assez étroites ; mais c’est le
foible de tous les Hommes de chercher toujours à les étendre
plus loin, & à s’élever au plus haut degré d’honneur &
de richesses auquel ils puissent atteindre. De là vient que,
comme on ne peut appeller proprement riches que ceux qui ont
au-delà de ce qu’il leur faut, il n’y en a guere de tels, dans
les Nations les plus polies, qu’entre les Personnes d’un rang
mediocre, qui bornent leurs desirs à leur fortune, & qui ont
plus de bien, qu’ils ne sçauroient en dépenser. Ceux d’un rang
plus distingué vivent dans une brillante misere & sont
toujours dans le besoin, parce qu’au lieu de se fixer aux
plaisirs réels de la vie, ils tâchent de se surpasser les uns
les autres dans les chimeriques & les apparens. De tous
temps les Hommes les plus sages se sont divertis à voir jouer
cette Comedie, pendant qu’ils resserrent eux-mêmes
leurs desirs, & qu’ils jouïssent de toute la satisfaction
interieure après laquelle les autres courent, sans pouvoir
jamais la trouver. Il est certain qu’on ne sçauroit trop se
mocquer du ridicule qu’il y a dans la poursuite des plaisirs
imaginaires, puis qu’elle est la source de tous les maux qui
causent la ruine d’un Peuple. Qu’un Homme ait d’aussi grands
Biens qu’il vous plaira, il est pauvre s’il dépense au-delà de
son revenu, & il se met, pour ainsi dire, en vente, prêt à
se livrer à tout autre, qui le voudra payer sa juste, ou sa
prétenduë valeur. Lors que le Roy de offrit à Pittacus une
grosse Somme d’argent, celui-ci, qui avoit herité d’un beau
Domaine par la mort de son Frere, le remercia de son offre,
& lui dit qu’il avoit déja la moitié plus de bien qu’il ne
lui en falloit. En un mot, le Contentement tient lieu de
richesse, & le Luxe conduit à la Pauvreté ; ou, pour
m’exprimer en d’autres termes, je dirai, avec Socrate, que le
Contentement est une Richesse naturelle, & j’ajouterai
moi-même que le Luxe est une pauvreté artificielle. Que ceux-là
donc qui aspirent toujours à de nouveaux plaisirs, & qui ne
veulent pas se borner à cet égard, se souviennent de cet
excellent Mot du Philosophe Bion, Qu’il n’y a point d’Homme qui s’expose à tant de chagrin, que celui qui donne le
plus d’étenduë à son Bonheur. ii. Le second Article que j’ai
resolu de toucher regarde ceux qui se trouvent dans quelque état
d’affliction ou de misere. Ceux-ci peuvent bien se consoler
s’ils pensent qu’il y en a d’autres beaucoup plus malheureux,
& qu’ils auroient pû tomber eux-mêmes dans un plus grand
malheur. J’admire le sentiment de ce bon Matelot Hollandois,
qui, après s’être laissé tomber du haut du grand Mât d’un
Vaisseau, & s’être cassé une jambe, dit à ses Camarades qui
le releverent, qu’il étoit fort heureux de ne s’être pas cassé
le cou. Ceci me rapelle une autre avanture moins tragique d’un
ancien Philosophe : Il donnoit un jour à dîner à quelques-uns de
ses Amis, lors que sa Femme vint en furie dans la Chambre où ils
mangeoient, le gronda en leur présence, & renversa la Table
avec tout ce qu’il y avoit dessus. Maître de ses Passions, le
Philosophe dit, sans s’émouvoir, chacun a son écharde dans ce
Monde, & celui-là est heureux qui n’en a pas une plus rude.
La Vie du Docteur Hammond, écrite par l’Evêque Fell, nous
fournit un bel exemple de sa patience Chrétienne. Cet illustre
Théologien, sujet à une complication de maux, lors qu’il avoit
la Goute, remercioit Dieu de ce que ce n’étoit pas
la Gravelle, & lors qu’il avoit une attaque de celle-ci, il
lui rendoit graces de ce qu’il ne les avoit pas toutes deux à la
fois. Je ne sçaurois finir ce Discours sans observer, qu’il n’y
a jamais eu aucun Systême de Philosophie qui fût aussi capable
de produire le contentement de l’Esprit que le Christianisme.
Pour nous rendre satisfaits de notre état present, plusieurs des
anciens Philosophes nous disent que le chagrin ne sert qu’à nous
tourmenter nous-mêmes sans remedier à nos maux ; d’autres
soutiennent que, quelque malheur qui nous arrive, nous y étions
prédestinez par une fatale necessité, à laquelle les Dieux
eux-mêmes sont assujettis ; pendant que d’autres avancent d’un
air fort grave que, si quelqu’un est malheureux, il le doit être
necessairement pour entretenir l’harmonie de l’Univers, &
que, si cela n’étoit pas, le Plan de la Providence seroit
interrompu & bouleversé. Toutes ces raisons & autres
pareilles peuvent bien reduire un Homme au silence ; mais elles
ne le satisferont jamais. Elles peuvent le convaincre que ses
plaintes sont inutiles & mal fondées ; mais elles ne
sçauroient le soulager dans ses maux. Elles servent plutôt à le
mettre au desespoir qu’à le consoler. En un mot, il
pourroit repliquer à ces Philosophes ce qu’Auguste dit à un de
ses Amis, qui l’exhortoit à ne pas s’affliger de la mort d’une
Personne qu’il cherissoit, puis que sa douleur ne la feroit pas
revivre ; C’est pour cela même que je m’afflige. Tout au
contraire, la Religion Chrétienne a des égards plus tendres pour
la foiblesse de la Nature Humaine. Elle prescit les moyens à
tout Homme malheureux de rendre son état plus suportable, &
lui fait voir que, s’il reçoit ses afflictions avec toute la
patience requise, il en sera tôt ou tard delivré : Elle ne peut
que le tranquiliser ici bas, puis qu’elle lui promet un Bonheur
éternel dans le Siecle à venir. Enfin le Contentement de
l’Esprit est la plus grande Benediction, dont un Homme puisse
jouïr dans ce Monde ; & si son Bonheur ici bas vient des
bornes qu’il prescrit à ses desirs, on peut dire qu’il
consistera dans le Ciel à les satisfaire dans toute leur
étenduë.
Nivel 3
Diálogo
Il donne, dit-il, de l’éclat au
Soleil, & du brillant au Diamant. Il communique ses
rayons à tous les Métaux, & il enrichit le Plomb de
toutes les qualitez de l’Or. Il change la Fumée en
Flamme, la Flamme en Lumiere, & la Lumiere en
Gloire. Un seul de ses rayons, ajouta-t-il, dissipe les
inquiétudes, les chagrins & la mélancholie de toute
Personne sur laquelle il tombe. En un mot, sa présence
fait de tous les Lieux une espece de Paradis.