Le Spectateur ou le Socrate moderne: VIII. Discours
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VIII. Discours
Zitat/Motto
Estque Dei Sedes ubi
Terra, & Pontus, & Aër,
Zitat/Motto
Et Cœlum, & virtus, Superos quid quærimus
ultra ?
Lucan. Lib. IX.
Dieu habite dans la Terre, la Mer, l’Air & le Ciel ; sa puissance y éclate par tout : Pourquoi donc chercherions-nous du secours auprès de quelque autre.
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Metatextualität
Le Public est informé de longue
main, que mon but, dans cet Ouvrage, est d’y admettre non
seulement des Pieces enjouées & divertissantes ; mais
aussi de petits Essais de Morale & de Théologie
Chrétienne. Celui qui suit m’a été envoyé par un de mes bons
Amis, & je ne doute pas qu’il ne plaise à ceux de mes
Lecteurs qui ne croyent pas indigne de leur Esprit de
s’entretenir quelquefois de pensées sérieuses.
Metatextualität
Des effets de la
présence de Dieu sur les bons & sur les méchans.
Metatextualität
Des effets de la
présence de Dieu sur les bons & sur les méchans.
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Brief/Leserbrief
Monsieur, « Dans votre
penultiéme Discours, vous avec reflechi sur l’ubiquité
de Dieu, & fait voir que, comme il est présent par
tout, il ne peut qu’être attentif à tout, &
connoître toutes les manieres & les parties de
l’existence de chaque chose : ou, pour me servir
d’autres termes, que sa Toute-Science &
sa Toute-Présence coëxistent, & penétrent tout
l’Espace infini. Cette idée pourroit nous fournir de
puissans motifs à la Pieté & aux bonnes mœurs ;
mais, il y a tant d’habiles Ecrivains qui l’ont envisagé
de ce coté-là, que je l’exposerai ici sous un tout autre
jour, dans lequel je ne sçache pas qu’on l’ait encore
placée. i. Quel malheur n’est-ce pas pour un Etre
intelligent de se voir ainsi exposé aux yeux de son
Créateur, sans en recevoir aucun avantage
extraordinaire ! ii. L’état d’un Etre intelligent
n’est-il pas bien déplorable, lors qu’il ne sent
d’autres effets de la Toute-Présence de son divin Maître
que ceux qui viennent de sa colére & de son
indignation ! iii. Quel bonheur n’est-ce pas pour un
Etre intelligent, qui est sensible à la Toute-Présence
de son Créateur, par les doux effets qu’il reçoit de son
amour & de sa miséricorde ! Je dis en premier lieu
que c’est un malheur inconcevable pour un Etre
intelligent de ne recevoir aucun avantage extraordinaire
de la Toute-Présence de son Créateur. Chaque particule
de la Matiere est mise en mouvement par cet Etre
Tout-puissant qui la penétre. Les Cieux
& la Terre, les Etoiles & les Planetes, se
meuvent & pesent les unes sur les autres par ce
grand Principe interieur qui les fait agir. Les parties
les plus insensibles de la Nature sont animées par la
présence de leur Créateur & renduës capables
d’exercer leurs qualitez respectives. Les différens
Instincts de tous les animaux operent de même, &
tendent, par cette divine énergie, au but qui leur
convient. Il n’y a que l’Homme seul qui ne veüille pas
agir de concert avec cet Esprit infini, qui ne fasse
aucune attention à sa présence, & qui n’en reçoive
aucun de ces avantages qui servent à perfectionner sa
nature & qui sont d’une absolue necessité pour le
rendre heureux. La Divinité est avec lui, dans lui,
& autour de lui ; mais il ne lui en revient aucun
profit. Tant vaudroit-il pour un Homme sans Religion,
qu’il n’y eut point de Dieu au Monde. Il est impossible
à la verité qu’un Etre infini s’éloigne d’aucune de ses
Créatures ; mais quoi qu’il n’en puisse pas retirer son
Essence, ce qui marqueroit une imperfection en lui, il
peut nous priver de toute la joye & de tout le
plaisir qui en resulte. Sa présence peut être necessaire
au soutien de notre existence : mais il peut abandonner cette existence qu’il nous accorde à
elle-même, sans aucun égard à son bonheur ou à sa
misere. C’est aussi dans cette vûë qu’il peut nous
rejetter de sa présence, & retirer de nous son saint
Esprit. Cette seule consideration devroit suffire, ce
semble, pour nous engager à ouvrir nos cœurs à toutes
ces effusions de joye & de bonheur que l’Etre
suprême est toujours prêt à verser à pleines mains sur
nous. Il n’y aura personne qui en doute si l’on
reflechit en deuxiéme lieu sur le déplorable état d’une
Créature intelligente qui ne sent d’autres effets de la
Toute-Présence de son divin Maître que ceux qui viennent
de sa colére & de son indignation. Nous pouvons bien
compter que le grand Auteur de l’Univers ne semblera pas
toujours indifferent à l’égard de quelques-unes de ses
Créatures. Ceux qui ne veulent pas le sentir dans son
amour ne manqueront pas de le sentir à la fin dans sa
colére. Qui pourroit exprimer le triste sort d’une
Créature, qui n’est sensible à l’existence de son
Créateur que parce qu’elle en souffre ! Il est aussi
essentiellement présent dans l’Enfer que dans le Ciel,
quoique les Habitans de ce Lieu maudit ne le voyent que dans sa colére, & qu’ils tâchent de
se dérober à ses yeux au milieu des flammes qui les
consument. L’imagination ne sçauroit concevoir les
terribles effets de la Toute-puissance irritée. Mais,
pour n’avoir égard qu’à la peine qu’un Etre intelligent
peut souffrir dès cette vie, lors qu’il a encouru la
disgrace de celui qui est toujours uni avec lui d’une
maniere inséparable, il est certain que ce Monarque
suprême de l’Univers peut jetter le trouble &
l’épouvante dans l’Ame, & bouleverser toutes ses
facultez. Il peut rendre insipides les plus grands
plaisirs de la Vie, & redoubler l’amertume des
moindres inconveniens. Qui pourroit donc soutenir la
pensée d’être privé de sa présence, je veux dire de ses
consolations, ou de n’être sensible qu’à ses terreurs ?
Lors que la patience de Job fut mise à l’épreuve, &
qu’il se regardoit comme plongé dans ce malheureux état,
avec quelle force ne s’en plaint-il pas à Dieu !1Pourquoi, dit-il, m'as-tu
mis pour t'être en bute, & dans une situation, où je
suis à charge à moi-même ? En troisiéme lieu, quel
bonheur n’est-ce pas, pour un Etre intelligent, de
sentir la Toute-Présence de son Créateur par
les doux effets qu’il reçoit de son amour & de sa
miséricorde ! Les Bien-heureux dans le Ciel le voyent
face à face, c’est-à-dire qu’ils sont aussi touchez de
sa présence que nous le sommes à la vûë de quelque
Personne qui est devant nos yeux. Il n’y a nul doute que
les Esprits n’ayent une Faculté, par laquelle ils se
conçoivent les uns les autres, de même que nos Sens nous
aident à nous former une idée des Objets materiels : On
ne sçauroit douter non plus que nos Ames, separées du
Corps, ou revêtues de Corps glorifiez, ne joüissent de
la même Faculté & qu’elles ne soient toujours
sensibles à la présence divine, dans quelque endroit de
l’Espace qu’elles résident. Mais pendant que le voile de
notre chair nous sépare du Monde intellectuel, il nous
doit suffire de connoître que l’Esprit de Dieu nous
environne, par les effets qu’il produit sur nous. Quoi
que nos Sens exterieurs soient trop grossiers pour
l’appercevoir, nous pouvons avec tout cela goûter &
sentir qu’il est bienfaisant & miséricordieux, par
ses bénignes influences sur nos Esprits, par les bonnes
pensées qu’il y excite, par les consolations qu’il y
verse, par les transports de joye & d’allegresse,
dont il nous honore, lors que nous avons
soin de lui obéïr. Il est uni avec notre Essence même,
& il devient, pour ainsi dire, l’Ame de notre Ame,
pour éclairer son Entendement, réctifier sa Volonté,
purifier ses Passions, & animer toutes ses
puissances. Oh, que cet Etre intelligent est donc
bienheureux, qui, par la Priere & la Méditation, par
la pratique de la Vertu & des bonnes Oeuvres,
établit un tel commerce entre Dieu & son Ame ! Quand
tout l’Univers le regarderoit de mauvais œil, & que
toute la Nature se couvriroit de nuages autour de lui,
il n’en seroit pas ébranlé ; il a, dans le fond de son
Ame, une Lumiere & un Appui, capables de l’éclairer,
de l’égayer & de le soutenir au milieu de toutes les
horreurs qui l’environnent. Il sçait que son Défenseur
est à sa main droite, & qu’il est toujours plus près
de sa personne, qu’aucune autre chose, capable de lui
nuire ou de l’éfrayer, ne le sçauroit être. Malgré la
calomnie & le mépris qu’il essuïe dans le Monde, il
a recours à un Superieur qui le remplit de joye,2qui est son protecteur,
sa gloire, & qui éleve sa tête. Dans la plus
profonde solitude où il se puisse voir, il sçait qu'il
est accompagné du plus grand de tous les
Etres ; & il a des sensations si vives de sa
présence, qu’il les trouve plus agreables que tous les
plaisirs qui lui peuvent revenir du commerce de ses
Créatures. A l’heure même de la mort, il compte que les
angoisses qui l’accablent ne tendent qu’à démolir cette
maison d’argile, qui le sépare de son Bienfaicteur, qui
est toujours présent à son Ame, & sur le point de se
manifester à lui & de le combler de joye. Si nous
voulons joüir de cet heureux état, & sentir la
présence de notre Créateur, par les doux effets de sa
misericorde & de sa bonté dans nos Ames, il faut que
nous reglions si bien toutes nos pensées, que son ame,
pour me servir des termes de l’Ecriture, puisse prendre
plaisir en nous. Nous devons mettre tout en œuvre pour
ne pas contrister son saint Esprit, & faire en sorte
que les méditations de nos cœurs lui soient agréables,
afin qu’il y habite à jamais. Seneque, conduit par les
seules lumieres de la Nature, a entrevu cette Verité,
lors qu’il a dit, dans la xli. de ses Epitres, Sacer
intra nos Spiritus sedet, malorum bonorumque Observator
& Custos, hic prout à nobis tractatus est, ita nos
ipse tractat : C’est-à-dire, « Il y a un Esprit saint
qui reside en nous, qui est le Gardien &
l’Observateur des bons & des méchans, & qui en
use envers nous de la même maniere que nous en usons
envers lui. » Mais je finirai ce Discours par ces
paroles plus emphatiques de notre Sauveur :3Si quelqu’un m'aime, dit-
il, il observera ma doctrine, & mon Pere l'aimera ;
nous viendrons auprès de lui, & nous ferons notre
demeure chez lui. »