Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "V. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.6\005 (1726), S. 28-36, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1478 [aufgerufen am: ].


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V. Discours

Zitat/Motto► Deum namque ire per omnes Terrásque, tractusque Maris, Coelumque profundum.

Virg. Georg. IV. 221.

Dieu se trouve dans toute l’étenduë des Terre, des Mers & des Cieux. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Metatextualität► Reflexions sur la vaste étenduë de l’Univers & sur la nature de Dieu. ◀Metatextualität

Allgemeine Erzählung► Je fis hier au soir une promenade hors Ville jusqu’à ce que la nuit vint insensiblement me surprendre. Je m’amusai d’abord à contempler les differentes beautez des couleurs qui paroissoient à l’endroit de l’Horison où le Soleil venoit de se coucher : A mesure qu’elles s’éteignoient, il y eut diverses Etoiles & Planetes qui se montrerent l’une après l’autre, jusqu’à ce que tout le Firmament en devint lumineux. La saison de l’année, & les rayons de tous ces Luminaires qui traversoient l’Ether donnoient du relief à sa couleur bleuâtre. La Voye Lactée paroissoit dans sa plus grande blancheur. Pour couronner la Scéne, la lune se leva en son plein avec cette majesté sombre, que Milton nous a si bien dépeinte, & fit voir à l’œil un nouveau Tableau de la Nature, chargé d’ombres plus délicates, & dont les jours avoient plus de douceur, que celui que le [29] Soleil nous avoit découvert pendant qu’il éclairoit notre Hemisphere.

Lors que je m’occupois à regarder la Lune marcher dans tout son éclat, & prendre sa route entre les Constellations, il me vint une pensée dans l’esprit qui trouble & inquiete souvent, à ce que je croi, les Personnes d’un naturel sérieux & pensif. David, à la vûë de ce spectacle, y tomba lui-même, Ebene 3► Dialog► 1 Quand je considere, dit-il, les Cieux qui sont l’ouvrage de tes mains, la Lune & les Etoiles que tu y as disposées, que’est-ce que l’Homme, pour que tu daignes te souvenir de lui, & le fils de l’Homme, pour que tu en prennes soin ? ◀Dialog ◀Ebene 3 De même, lors que j’envisageois cette Armée infinie d’Etoiles, ou plutôt, pour m’exprimer en Philosophe, de Soleils, qui brilloient à mes yeux, avec cette multitude innombrable de Planetes ou de Mondes, qui rouloient autour de ces vastes Corps qui leur servent de centre ; lors que je portois cette idée plus loin, & que je venois à supposer un autre Systême de Soleils & de Mondes au-dessus de celui que je découvrois, & que ce nouveau Systême étoit éclairé par un Firmament d’autres Luminaires superieurs, qui sont placez à une si énorme distance, qu’ils paroissent aux Habitans du premier de la même gran-[30]deur que nous voyons les Etoiles ; lors, dis-je en un mot, que je reflêchissois sur cet assemblage infini de Mondes, je ne pus que sentir l’extrême petitesse, ou plutôt le néant de mon Individu, comparé avec l’immense étenduë de l’Univers.

Si le Soleil, qui éclaire cette partie de la Création, & si toute l’Armée des Mondes Planetaires qui roulent autour de lui, venoient à être aneantis, il n’y paroîtroit non plus que si l’on ôtoit un grain de sable sur le rivage de la Mer. L’espace qu’ils occupent est si excessivement petit, en comparaison de tout l’Univers, qu’à peine y formeroit-il un vuide. La brêche seroit imperceptible à un œil, qui pourroit embrasser tout le cercle de la Nature, & porter sa vûë d’un bout de la Création à l’autre, comme il peut arriver que nous ayons un jour un tel Sens, ou que des Créatures plus excellentes que nous le possedent aujourd’hui. Avec le secours de nos Telescopes, nous voyons plusieurs Etoiles, qui échapent autrement à nos yeux ; & plus les Verres qu’on y met sont exacts, plus nos découvertes augmentent. Huygens porte cette pensee si loin, qu’il ne croit pas impossible qu’il y ait des Etoiles dont la lumiere n’est pas encore parvenuë jusqu’à nous depuis la Création. II n’y [31] a nul doute que l’Univers ne soit renfermé dans certaines bornes ; mais lors que nous venons à considerer que c’est l’Ouvrage d’un Pouvoir infini, animé d’une Bonté infinie, & qui s’exerce sur un Espace infini, quelles bornes notre imagination y peut-elle prescrire ?

Pour revenir donc à ma premiere idée, je ne pûs reflechir sur moi-même qu’avec une secrete frayeur, en ce que je me trouvois indigne du moindre petit regard de cet Etre suprême, qui est occupé au gouvernement d’un si vaste Empire. Je craignis d’être oublié & presque perdu au milieu de cette Immensité qui m’environnoit de toutes parts, & de cette infinie varieté de Créatures, qui remplissent, selon toutes les apparences, toutes ces vastes Regions de l’Univers.

Mais, pour ne pas succomber sous le poids d’une idée si mortifiante, j’en voulus rechercher la cause, & je trouvai qu’elle venoit des bornes étroites que nous donnons à la Nature divine. Nous ne sçaurions considerer nous-mêmes plusieurs Objets à la fois. Si nous avons soin de regler certaines choses, il faut de toute nécessité que nous en négligions d’autres. Cette imperfection, qui naît avec nous, se trouve plus ou moins dans toutes les [32] Créatures, quelque exaltées qu’elles soient ; par cela même qu’elles sont des Etres bornez & finis. La présence de tout Etre crée est renfermée dans un certain espace, & par conséquent ses observations se bornent à un certain nombre d’Objets. La Sphere, dans laquelle toutes les Créatures se meuvent, agissent & entendent, est d’une circonference plus ou moins grande, suivant le rang qu’elles occupent dans l’échelle des Etres. Mais cette Sphere, quelque vaste qu’elle soit, a toujours sa circonference. Lors donc que nous venons à reflechir sur la Nature Divine, nous sommes si accoûtumez à voir cette imperfection en nous, que nous l’attribuons en quelque maniere à celui qui en est incapable. La Raison a beau nous dire que ses Attributs sont infinis ; notre esprit est si foible, qu’il ne sçauroit s’empêcher de mettre des bornes à tout ce qu’il contemple, jusqu’à ce qu’elle revienne à la charge & qu’elle dissipe tous ces petits préjugez qui s’élevent malgré nous dans nos ames, & qui sont naturels à l’Esprit Humain.

En effet nous bannirons de nos Esprits une si triste idée, & nous ne craindrons pas que l’Auteur de l’Univers nous abandonne à cause de la multitude innombra-[33]ble de ses Ouvrages, & de cette infinie varieté d’Objets qui semblent l’occuper sans cesse, si d’un côté nous sommes bien persuadez qu’il est présent par tout, & de l’autre, qu’il sçait & qu’il voit tout.

Ebene 3► i. Nous ne sçaurions douter en premier lieu de sa Toute-Présence : Il traverse, il meut, il soutient toute la Fabrique de l’Univers. Toute la Création en général, & chacune de ses Parties, est pleine de son Etre. Il n’y a rien de tout ce qu’il a fait, pour si éloigné, ou si petit qu’il paroisse, où il n’habite essentiellement. Sa Substance est dans la substance de chaque Etre, soit materiel ou immateriel, & il s’y trouve présent d’une maniere aussi intime que tout Etre l’est à lui-même. Ce seroit une Imperfection en lui, s’il pouvoit se transporter d’un lieu à un autre, ou s’éloigner d’aucune de ses Créatures, ou de quelque partie de cet Espace qui s’étend à l’infini. En un mot, pour me servir de l’expression d’un ancien Philosophe, c’est un Etre, dont le Centre est par tout, & la Circonference nulle part.

ii. En deuxiéme lieu, il possede la Toute-Science, & c’est un Attribut qui découle nécessairement de l’autre. Il ne peut que s’appercevoir de chaque mouvement qui s’excite dans le Monde materiel, qu’il pe-[34]nétre si essentiellement, & de toute pensée qui s’éleve dans le Monde intellectuel, auquel il est uni d’une maniere si intime. Plusieurs Ecrivains de Morale ont envisagé l’Univers comme le Témple de Dieu, qu’il a bâti de ses propres mains, & qui est rempli de sa présence. Il y en a d’autres qui regardent l’Espace infini comme le Receptacle, ou plutôt l’Habitation du Tout-Puissant ; mais on ne sçauroit se former une idée plus noble & plus sublime de cet Espace infini que celle du Chevalier Newton, qui l’appelle le Sensorium de la Divinité. Les Hommes & les autres Animaux ont leurs Sensoriola, ou leurs petits Sensoriums, par le moyen desquels ils s’apperçoivent de la présence & de l’action d’un petit nombre d’Objets qui les environnent. Leurs connoissances & leurs observations se renferment dans des bornes fort étroites. Mais puisque Dieu ne peut qu’apercevoir & connoître tout ce en quoi il reside, l’Espace infini donne lieu à une connoissance infinie, & sert, pour ainsi dire, d’organe à la Toute-Science. ◀Ebene 3

Si l’Ame étoit separée du Corps, & que, par une seule reflexion, elle se transportât au-delà des bornes de l’Univers, quand elle continueroit des millions d’années à se promener avec la rnême rapidité dans [35] l’Espace infini, elle se trouveroit toujours entre les bras de son Créateur, & environnée de tous côtez de l’immensité de Dieu. Pendant que nous sommes dans le Corps, il n’est pas moins avec nous, quoiqu’il nous soit caché. Ebene 3► Dialog► Qui me donnera, dit Job2 , de connoître & de trouver Dieu, & de m’aller présenter jusqu’à son trône ?….Mais que ferai-je ? Si je vais en Orient, il ne paroît point ; si je vais en Occident, je ne l’apperçois point. Si je me tourne à gauche, je ne puis l’atteindre ; si je vais à droite je ne le verrai point. ◀Dialog ◀Ebene 3 En un mot, la Raison & la Révelation nous assûrent qu’il ne peut être loin de nous, quoi que nous ne le découvrions pas.

Quand on reflechit sur ces Attributs de la Divinité, sa Toute-Présence & sa Toute Science, il n’y a point de pensée affligeante qui ne s’évanoüisse. Dieu ne peut que regarder tout ce qui existe, sur tout celles de ses Créatures qui appréhendent qu’il ne les oublie. Il voit leurs pensées les plus intimes, & cette inquiétude en particulier qui les trouble à cette occasion. Il est impossible que rien échape à ses yeux, & nous ne devons pas douter qu’il ne regarde d’un œil favorable tous ceux qui tâchent de se recommander à sa bienveillance, & qui [36] touchez d’une humilité profonde se jugent eux-mêmes indignes de ses soins paternels. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Pseaum. VIII. 3. 4.

2Chap. XXIII. 3, 8, 9. suivant la version de Mr. de Saci.