Virg. Georg. IV. 221.
Dieu se trouve dans toute l’étenduë des
Terre, des Mers & des Cieux.
Ether donnoient du relief à sa
couleur bleuâtre. La Voye Lactée paroissoit dans sa plus grande
blancheur. Pour couronner la Scéne, la lune se leva en son plein
avec cette majesté sombre, que
Lors que je m’occupois à regarder la Lune marcher dans tout son
éclat, & prendre sa route entre les Constellations, il me vint
une pensée dans l’esprit qui trouble & inquiete souvent, à ce
que je croi, les Personnes d’un naturel sérieux & pensif.
Quand je considere, dit-il, les Cieux qui sont l’ouvrage de tes mains, la Lune & les
Etoiles que tu y as disposées, que’est-ce que l’Homme, pour que
tu daignes te souvenir de lui, & le fils de l’Homme, pour
que tu en prennes soin ?
Si le Soleil, qui éclaire cette partie de la Création, & si toute
l’Armée des Mondes Planetaires qui roulent autour de lui, venoient à
être aneantis, il n’y paroîtroit non plus que si l’on ôtoit un grain
de sable sur le rivage de la Mer. L’espace qu’ils occupent est si
excessivement petit, en comparaison de tout l’Univers, qu’à peine y
formeroit-il un vuide. La brêche seroit imperceptible à un œil, qui
pourroit embrasser tout le cercle de la Nature, & porter sa vûë
d’un bout de la Création à l’autre, comme il peut arriver que nous
ayons un jour un tel Sens, ou que des Créatures plus excellentes que
nous le possedent aujourd’hui. Avec le secours de nos Telescopes,
nous voyons plusieurs Etoiles, qui échapent autrement à nos yeux ;
& plus les Verres qu’on y met sont exacts, plus nos découvertes
augmentent.
Pour revenir donc à ma premiere idée, je ne pûs reflechir sur moi-même qu’avec une secrete frayeur, en ce que je me trouvois indigne du moindre petit regard de cet Etre suprême, qui est occupé au gouvernement d’un si vaste Empire. Je craignis d’être oublié & presque perdu au milieu de cette Immensité qui m’environnoit de toutes parts, & de cette infinie varieté de Créatures, qui remplissent, selon toutes les apparences, toutes ces vastes Regions de l’Univers.
Mais, pour ne pas succomber sous le poids d’une idée si mortifiante,
j’en voulus rechercher la cause, & je trouvai qu’elle venoit des
bornes étroites que nous donnons à la Nature divine. Nous ne
sçaurions considerer nous-mêmes plusieurs Objets à la fois. Si nous
avons soin de regler certaines choses, il faut de toute nécessité
que nous en négligions d’autres. Cette imperfection, qui naît avec
nous, se trouve plus ou moins dans toutes les
En effet nous bannirons de nos Esprits une si triste idée, & nous
ne craindrons pas que l’Auteur de l’Univers nous abandonne à cause
de la multitude innombra-
i.
Nous ne sçaurions douter en premier lieu de sa Toute-Présence : Il
traverse, il meut, il soutient toute la Fabrique de l’Univers. Toute
la Création en général, & chacune de ses Parties, est pleine de
son Etre. Il n’y a rien de tout ce qu’il a fait, pour si éloigné, ou
si petit qu’il paroisse, où il n’habite essentiellement. Sa
Substance est dans la substance de chaque Etre, soit materiel ou
immateriel, & il s’y trouve présent d’une maniere aussi intime
que tout Etre l’est à lui-même. Ce seroit une Imperfection en lui,
s’il pouvoit se transporter d’un lieu à un autre, ou s’éloigner
d’aucune de ses Créatures, ou de quelque partie de cet Espace qui
s’étend à l’infini. En un mot, pour me servir de l’expression d’un
ancien Philosophe, c’est un Etre, dont le Centre est par tout, &
la Circonference nulle part.
ii. En deuxiéme lieu, il possede la
Toute-Science, & c’est un Attribut qui découle nécessairement de
l’autre. Il ne peut que s’appercevoir de chaque mouvement qui
s’excite dans le Monde materiel, qu’il pe-Sensorium de la Divinité. Les
Hommes & les autres Animaux ont leurs Sensoriola, ou leurs petits Sensoriums, par le moyen desquels ils s’apperçoivent de la
présence & de l’action d’un petit nombre d’Objets qui les
environnent. Leurs connoissances & leurs observations se
renferment dans des bornes fort étroites. Mais puisque Dieu ne peut
qu’apercevoir & connoître tout ce en quoi il reside, l’Espace
infini donne lieu à une connoissance infinie, & sert, pour ainsi
dire, d’organe à la Toute-Science.
Si l’Ame étoit separée du Corps, & que, par une seule reflexion,
elle se transportât au-delà des bornes de l’Univers, quand elle
continueroit des millions d’années à se promener avec la rnême
rapidité dans Qui me donnera, dit Job Chap. XXIII. 3, 8, 9. suivant la version de Mr.
de Saci.,
Quand on reflechit sur ces Attributs de la Divinité, sa
Toute-Présence & sa Toute Science, il n’y a point de pensée
affligeante qui ne s’évanoüisse. Dieu ne peut que regarder tout ce
qui existe, sur tout celles de ses Créatures qui appréhendent qu’il
ne les oublie. Il voit leurs pensées les plus intimes, & cette
inquiétude en particulier qui les trouble à cette occasion. Il est
impossible que rien échape à ses yeux, & nous ne devons pas
douter qu’il ne regarde d’un œil favorable tous ceux qui tâchent de
se recommander à sa bienveillance, & qui