Lucan. Lib. I.
Ce n’est que l’ombre d’un grand Nom.
blanc, qui appartiennent de droit à notre Famille. Aussi
me regardé-je comme le Seigneur d’un Fief, qui a droit de reclamer
toutes les Terres en friche qui n’ont aucun Proprietaire. Je suis
proche Parent de Jean Tel & Jacques Tel, qui vinrent ici, à ce
que l’on m’a dit, avec
Je puis mettre la main à tout, & paroître sous toute sorte de
Figures. Je puis devenir Homme, Femme ou Enfant. Je suis
métamorphosé quelquefois en une Année de notre Seigneur, en un Jour
du mois, ou en une Heure du jour. Je représente souvent la valeur
d’une bonne Somme, & l’on employe d’ordinaire au premier subside
qui est destiné pour la Couronne. J’ai servi de temps en temps à la
place de plusieurs milliers de Soldats, & d’un grand nombre de
Vaisseaux.
Malgré tout cela, Monsieur, j’ai à me plaindre d’une chose, c’est qu’on ne fait usage de moi qu’en certaines occasions pressantes, & qu’on n’a pas plutôt trouvé une Personne propre à remplir mon Poste, qu’on l’y met d’abord à mon préjudice.
Si vous avez jamais été à la Comédie avant qu’on ouvre la Scéne, vous y avez vû la plûpart des Loges, qui sont aux côtez du Théatre, occupées par des Gens de ma famille, qui se retirent aussitôt & cédent leurs places à l’approche de ceux pour qui elles étoient gardées.
Mais les plus illustres de toute la Blanc les occupe, qu’il devint trop
redoutable pour l’en débusquer.
Du reste, puisqu’on me trouve si commode & si utile dans tous les
Gouvernemens bien policez, je vous prie de vouloir réflechir sur mon
état, & de ne permettre pas qu’on abuse plus long-temps de ma
patience, ni qu’on m’employe ainsi à tout bout de champ pour remplir
un vuide. Cet abus, sans courir après un jeu de mots, ne peut que me
donner les pâles couleurs & me rendre
Le Blanc.
P.S. « Je vous envoye ci-joint un Formulaire qu’un Procureur de la
Campagne a dressé pour deux Gentilshommes, dont il ne sçavoit pas
les Noms, & qui n’ont pas jugé à propos de lui communiquer
l’affaire sur laquelle ils transigeoient enfemble. Il l’appelloit
lui-même un Acte en blanc, & il le lut en
ma présence de la maniere suivante, qui vous fera voir d’ailleurs de
quelle utilité je suis dans le monde.
e soussigné
Blanc, Ecuyer, Habitant de la Ville de,
Blanc, dans le Comté de Blanc, confesse devoir la
Somme de, Blanc, à Maître, Blanc,
pour m’avoir procuré les Denrées
suivantes, Blanc : Et je promets audit
Maître, Blanc, de lui payer ladite Somme
de, Blanc, le, Blanc, jour du mois de, Blanc, prochain, à peine de, Blanc, d’Amende. »
D’abord qu’il commence à se fâcher, tout ce qui est à la portée de sa
Cane est renversé par terre. J’avois une fois obtenu de lui qu’il
n’en porteroit plus, mais je n’y gagnai rien ; puis qu’un jour, sur
ce qu’il me vit faire quelque chose qui lui déplaisoit, il renversa
d’un coup de pied une grande Urne qui lui avoit coûté plus de dix
livres Sterling il n’y avoit pas une semaine. J’en mis alors tous
les morceaux ensemble, je lui donnai sa Cane, & je le priai que
s’il venoit à se mettre en colere, il voulût bien la passer sur
cette Por-
Après cette avanture, je fis transporter toute ma Porcelaine dans une Chambre qu’il ne fréquentoit pas ; mais je ne réüssis guére mieux par cette précaution, puis qu’alors mes Miroirs furent brisez en mille pieces.
En un mot, toutes les fois qu’il se met en colere, il s’en prend à
tout ce qui est fragile ; & s’il ne trouvoit rien sur quoi il
pût évaporer sa bile, je ne sçai point si mes Os seroient en sûreté.
Je vous conjure donc, mon cher Monsieur, de me dire s’il y a quelque
remede pour une si étrange Maladie ; ou, s’il n’y en a pas, ayez la
bonté de publier cette Lettre : Mon Epoux, qui estime fort vos
Ecrits & qui les lit avec plaisir, verra du moins par là que
vous désaprouvez sa conduite.