III. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Klara Gruber Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 26.03.2014 info:fedora/o:mws.2650 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome VI. Paris: François-Guillaume l’Hermitte 1726, 15-20, Le Spectateur ou le Socrate moderne 6 003 1726 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Recht Diritto Law Derecho Droit Familie Famiglia Family Familia Famille Männerbild Immagine di Uomini Image of Men Imagen de Hombres Image de l'homme United Kingdom -2.69531,54.75844 France 2.0,46.0

III. Discours

——— — Magni nominis umbra.

Lucan. Lib. I.

Ce n’est que l’ombre d’un grand Nom.

Je vais communiquer ici au Public deux Lettres fort curieuses, dont la premiere me vient d’une espece de Phantôme, qu’on pourroit dire n’avoir jamais écrit à qui que ce soit au monde.

Lettre de Mr. le Blanc sur l’usage qu’on fait de son Nom dans le monde.

Monsieur,

« Je descends de l’ancienne Famille des Le Blanc, Nom assez connu parmi tous les Gens d’affaires. On le lit toujours dans ces petits espaces vuides d’un Ecrit qui doivent être remplis, & qu’on appelle à cause de cela même des Espaces en blanc, qui appartiennent de droit à notre Famille. Aussi me regardé-je comme le Seigneur d’un Fief, qui a droit de reclamer toutes les Terres en friche qui n’ont aucun Proprietaire. Je suis proche Parent de Jean Tel & Jacques Tel, qui vinrent ici, à ce que l’on m’a dit, avec Guillaume le Conquerant. On parle plus souvent de moi dans les deux Chambres du Parlement que de toute autre Personne de la Grande Bretagne. Mon Nom s’écrit, ou plûtôt ne s’écrit point du tout, ainsi,

Je puis mettre la main à tout, & paroître sous toute sorte de Figures. Je puis devenir Homme, Femme ou Enfant. Je suis métamorphosé quelquefois en une Année de notre Seigneur, en un Jour du mois, ou en une Heure du jour. Je représente souvent la valeur d’une bonne Somme, & l’on employe d’ordinaire au premier subside qui est destiné pour la Couronne. J’ai servi de temps en temps à la place de plusieurs milliers de Soldats, & d’un grand nombre de Vaisseaux.

Malgré tout cela, Monsieur, j’ai à me plaindre d’une chose, c’est qu’on ne fait usage de moi qu’en certaines occasions pressantes, & qu’on n’a pas plutôt trouvé une Personne propre à remplir mon Poste, qu’on l’y met d’abord à mon préjudice.

Si vous avez jamais été à la Comédie avant qu’on ouvre la Scéne, vous y avez vû la plûpart des Loges, qui sont aux côtez du Théatre, occupées par des Gens de ma famille, qui se retirent aussitôt & cédent leurs places à l’approche de ceux pour qui elles étoient gardées.

Mais les plus illustres de toute la Famille des Le Blanc sont ceux qu’on met en des Postes fort élevez jusqu’à ce qu’on trouve des Personnes de plus grande conséquence pour les remplir. Il y en a un de cette branche capable de toute sorte d’Emplois ; il peut servir, dans le besoin, d’Officier militaire, d’Homme d’Etat, de Jurisconsulte & de tout ce qu’il vous plaira. J’en ai connu plusieurs de mon Nom, qu’on peut dire être nez sous une heureuse Etoile, s’enrichir, figurer dans le monde & avoir du crédit, avant que les grands Seigneurs de leur parti pussent convenir lequel d’entre eux demanderoit leur Poste. Je me souviens même d’un qui jouït si long-temps d’une de ces Places vacantes, ou qu’il faut du moins regarder comme telles lorsqu’un Blanc les occupe, qu’il devint trop redoutable pour l’en débusquer.

Du reste, puisqu’on me trouve si commode & si utile dans tous les Gouvernemens bien policez, je vous prie de vouloir réflechir sur mon état, & de ne permettre pas qu’on abuse plus long-temps de ma patience, ni qu’on m’employe ainsi à tout bout de champ pour remplir un vuide. Cet abus, sans courir après un jeu de mots, ne peut que me donner les pâles couleurs & me rendre fort blême. Quoiqu’il en soit, je me recommande à votre bonne protection, & je suis avec respect, &c. »

Le Blanc.

P.S. « Je vous envoye ci-joint un Formulaire qu’un Procureur de la Campagne a dressé pour deux Gentilshommes, dont il ne sçavoit pas les Noms, & qui n’ont pas jugé à propos de lui communiquer l’affaire sur laquelle ils transigeoient enfemble. Il l’appelloit lui-même un Acte en blanc, & il le lut en ma présence de la maniere suivante, qui vous fera voir d’ailleurs de quelle utilité je suis dans le monde.

Je soussigné Blanc, Ecuyer, Habitant de la Ville de, Blanc, dans le Comté de Blanc, confesse devoir la Somme de, Blanc, à Maître, Blanc, pour m’avoir procuré les Denrées suivantes, Blanc : Et je promets audit Maître, Blanc, de lui payer ladite Somme de, Blanc, le, Blanc, jour du mois de, Blanc, prochain, à peine de, Blanc, d’Amende. »

En attendant que je puisse éxaminer le cas de cet Homme chimerique, je donnerai ici l’autre Lettre, qui paroît venir d’une Dame composée de chair & d’os, comme toutes les autres de son espéce.

Lettre d’une Dame sur les emportemens & le bon naturel de son Epoux.

Mr. le Spectateur,

« Je suis mariée à un fort honnête Gentilhomme, qui est d’un très-bon naturel, & avec tout cela d’un emportement excessif. Il faut que tout plie devant lui quand il est en colere ; mais aussitôt qu’elle lui a passé, il est de la meilleure humeur du monde. Lors qu’il se met en colere, il casse toute la Porcelaine qui se trouve en son chemin, & dès le lendemain il m’en achete le double de ce qu’il en avoit cassé le jour précedent. Je puis dire sans hyperbole que, depuis notre mariage, il m’en a cassé pour une Somme qui pourroit servir de Portion à l’un de nos enfans.

D’abord qu’il commence à se fâcher, tout ce qui est à la portée de sa Cane est renversé par terre. J’avois une fois obtenu de lui qu’il n’en porteroit plus, mais je n’y gagnai rien ; puis qu’un jour, sur ce qu’il me vit faire quelque chose qui lui déplaisoit, il renversa d’un coup de pied une grande Urne qui lui avoit coûté plus de dix livres Sterling il n’y avoit pas une semaine. J’en mis alors tous les morceaux ensemble, je lui donnai sa Cane, & je le priai que s’il venoit à se mettre en colere, il voulût bien la passer sur cette Por-celaine déja cassée : Mais dès le jour suivant, à l’oüie d’un message de travers que je donnai à l’un de nos Domestiques, il devint si furieux qu’il abatit une douzaine de mes Tasses de Thé, qui se trouverent par malheur dans une situation propre à les exposer à un coup de revers.

Après cette avanture, je fis transporter toute ma Porcelaine dans une Chambre qu’il ne fréquentoit pas ; mais je ne réüssis guére mieux par cette précaution, puis qu’alors mes Miroirs furent brisez en mille pieces.

En un mot, toutes les fois qu’il se met en colere, il s’en prend à tout ce qui est fragile ; & s’il ne trouvoit rien sur quoi il pût évaporer sa bile, je ne sçai point si mes Os seroient en sûreté. Je vous conjure donc, mon cher Monsieur, de me dire s’il y a quelque remede pour une si étrange Maladie ; ou, s’il n’y en a pas, ayez la bonté de publier cette Lettre : Mon Epoux, qui estime fort vos Ecrits & qui les lit avec plaisir, verra du moins par là que vous désaprouvez sa conduite. Je suis, &c. »

III. Discours ——— — Magni nominis umbra. Lucan. Lib. I. Ce n’est que l’ombre d’un grand Nom. Je vais communiquer ici au Public deux Lettres fort curieuses, dont la premiere me vient d’une espece de Phantôme, qu’on pourroit dire n’avoir jamais écrit à qui que ce soit au monde. Lettre de Mr. le Blanc sur l’usage qu’on fait de son Nom dans le monde. Monsieur, « Je descends de l’ancienne Famille des Le Blanc, Nom assez connu parmi tous les Gens d’affaires. On le lit toujours dans ces petits espaces vuides d’un Ecrit qui doivent être remplis, & qu’on appelle à cause de cela même des Espaces en blanc, qui appartiennent de droit à notre Famille. Aussi me regardé-je comme le Seigneur d’un Fief, qui a droit de reclamer toutes les Terres en friche qui n’ont aucun Proprietaire. Je suis proche Parent de Jean Tel & Jacques Tel, qui vinrent ici, à ce que l’on m’a dit, avec Guillaume le Conquerant. On parle plus souvent de moi dans les deux Chambres du Parlement que de toute autre Personne de la Grande Bretagne. Mon Nom s’écrit, ou plûtôt ne s’écrit point du tout, ainsi, Je puis mettre la main à tout, & paroître sous toute sorte de Figures. Je puis devenir Homme, Femme ou Enfant. Je suis métamorphosé quelquefois en une Année de notre Seigneur, en un Jour du mois, ou en une Heure du jour. Je représente souvent la valeur d’une bonne Somme, & l’on employe d’ordinaire au premier subside qui est destiné pour la Couronne. J’ai servi de temps en temps à la place de plusieurs milliers de Soldats, & d’un grand nombre de Vaisseaux. Malgré tout cela, Monsieur, j’ai à me plaindre d’une chose, c’est qu’on ne fait usage de moi qu’en certaines occasions pressantes, & qu’on n’a pas plutôt trouvé une Personne propre à remplir mon Poste, qu’on l’y met d’abord à mon préjudice. Si vous avez jamais été à la Comédie avant qu’on ouvre la Scéne, vous y avez vû la plûpart des Loges, qui sont aux côtez du Théatre, occupées par des Gens de ma famille, qui se retirent aussitôt & cédent leurs places à l’approche de ceux pour qui elles étoient gardées. Mais les plus illustres de toute la Famille des Le Blanc sont ceux qu’on met en des Postes fort élevez jusqu’à ce qu’on trouve des Personnes de plus grande conséquence pour les remplir. Il y en a un de cette branche capable de toute sorte d’Emplois ; il peut servir, dans le besoin, d’Officier militaire, d’Homme d’Etat, de Jurisconsulte & de tout ce qu’il vous plaira. J’en ai connu plusieurs de mon Nom, qu’on peut dire être nez sous une heureuse Etoile, s’enrichir, figurer dans le monde & avoir du crédit, avant que les grands Seigneurs de leur parti pussent convenir lequel d’entre eux demanderoit leur Poste. Je me souviens même d’un qui jouït si long-temps d’une de ces Places vacantes, ou qu’il faut du moins regarder comme telles lorsqu’un Blanc les occupe, qu’il devint trop redoutable pour l’en débusquer. Du reste, puisqu’on me trouve si commode & si utile dans tous les Gouvernemens bien policez, je vous prie de vouloir réflechir sur mon état, & de ne permettre pas qu’on abuse plus long-temps de ma patience, ni qu’on m’employe ainsi à tout bout de champ pour remplir un vuide. Cet abus, sans courir après un jeu de mots, ne peut que me donner les pâles couleurs & me rendre fort blême. Quoiqu’il en soit, je me recommande à votre bonne protection, & je suis avec respect, &c. » Le Blanc. P.S. « Je vous envoye ci-joint un Formulaire qu’un Procureur de la Campagne a dressé pour deux Gentilshommes, dont il ne sçavoit pas les Noms, & qui n’ont pas jugé à propos de lui communiquer l’affaire sur laquelle ils transigeoient enfemble. Il l’appelloit lui-même un Acte en blanc, & il le lut en ma présence de la maniere suivante, qui vous fera voir d’ailleurs de quelle utilité je suis dans le monde. Je soussigné Blanc, Ecuyer, Habitant de la Ville de, Blanc, dans le Comté de Blanc, confesse devoir la Somme de, Blanc, à Maître, Blanc, pour m’avoir procuré les Denrées suivantes, Blanc : Et je promets audit Maître, Blanc, de lui payer ladite Somme de, Blanc, le, Blanc, jour du mois de, Blanc, prochain, à peine de, Blanc, d’Amende. » En attendant que je puisse éxaminer le cas de cet Homme chimerique, je donnerai ici l’autre Lettre, qui paroît venir d’une Dame composée de chair & d’os, comme toutes les autres de son espéce. Lettre d’une Dame sur les emportemens & le bon naturel de son Epoux. Mr. le Spectateur, « Je suis mariée à un fort honnête Gentilhomme, qui est d’un très-bon naturel, & avec tout cela d’un emportement excessif. Il faut que tout plie devant lui quand il est en colere ; mais aussitôt qu’elle lui a passé, il est de la meilleure humeur du monde. Lors qu’il se met en colere, il casse toute la Porcelaine qui se trouve en son chemin, & dès le lendemain il m’en achete le double de ce qu’il en avoit cassé le jour précedent. Je puis dire sans hyperbole que, depuis notre mariage, il m’en a cassé pour une Somme qui pourroit servir de Portion à l’un de nos enfans. D’abord qu’il commence à se fâcher, tout ce qui est à la portée de sa Cane est renversé par terre. J’avois une fois obtenu de lui qu’il n’en porteroit plus, mais je n’y gagnai rien ; puis qu’un jour, sur ce qu’il me vit faire quelque chose qui lui déplaisoit, il renversa d’un coup de pied une grande Urne qui lui avoit coûté plus de dix livres Sterling il n’y avoit pas une semaine. J’en mis alors tous les morceaux ensemble, je lui donnai sa Cane, & je le priai que s’il venoit à se mettre en colere, il voulût bien la passer sur cette Por-celaine déja cassée : Mais dès le jour suivant, à l’oüie d’un message de travers que je donnai à l’un de nos Domestiques, il devint si furieux qu’il abatit une douzaine de mes Tasses de Thé, qui se trouverent par malheur dans une situation propre à les exposer à un coup de revers. Après cette avanture, je fis transporter toute ma Porcelaine dans une Chambre qu’il ne fréquentoit pas ; mais je ne réüssis guére mieux par cette précaution, puis qu’alors mes Miroirs furent brisez en mille pieces. En un mot, toutes les fois qu’il se met en colere, il s’en prend à tout ce qui est fragile ; & s’il ne trouvoit rien sur quoi il pût évaporer sa bile, je ne sçai point si mes Os seroient en sûreté. Je vous conjure donc, mon cher Monsieur, de me dire s’il y a quelque remede pour une si étrange Maladie ; ou, s’il n’y en a pas, ayez la bonté de publier cette Lettre : Mon Epoux, qui estime fort vos Ecrits & qui les lit avec plaisir, verra du moins par là que vous désaprouvez sa conduite. Je suis, &c. »