Le Spectateur ou le Socrate moderne: II. Discours
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II. Discours
Zitat/Motto
——— — Prӕsens, absens
ut sies.
Ter Eunuch. Act. I. Sc. II. 112.
Quoi que vous en soyez près, faites comme si vous en étiez loin.
Metatextualität
De l’Egotisme & des
Egotistes, ou de ceux qui parlent toujours d’eux-mêmes.
Metatextualität
De l’Egotisme & des
Egotistes, ou de ceux qui parlent toujours d’eux-mêmes.
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Si nous en croyons notre fameux
Cowley, c’est un sujet bien difficile à manier &
très-delicat que de parler de soi même, puisque, si l’on dit
quelque chose à son désavantage, l’Esprit en est choqué ; &
que les oreilles des autres sont offensées des éloges que l’on
se donne. En effet, de quelque maniere que l’on s’y prenne
là-dessus, la Vanité y a bonne part. Un Homme plein d’orguëil
rapportera une bévûe qu’il a faite, ou une sotise qu’il a dite,
plutôt que d’être muet sur l’article de sa chere personne.
Quelques Auteurs fort célébres ont donné dans ce foible. On
remarque en particulier de Ciceron, qu’il fait souvent le sujet
de ses propres Discours, & qu’il ne laisse pas échaper une
seule occasion de se rendre justice à lui-même.
Messieurs de Port Royal, le
plus illustre Corps qu’il y eut en France par leur savoir &
leur humilité, ont banni de tous leurs Ecrits
l’usage de parler d’eux-mêmes à la premiere personne, sous ombre
qu’il naît d’un principe de vaine gloire & de la trop bonne
opinion qu’on a de soi-même. Pour en marquer leur éloignement,
ils l’ont tourné en ridicule, sous le nom d’Egotisme, Figure
inconnuë à tous les anciens Rhéteurs. Le plus violent Egotisme,
que j’aye observé dans toutes mes lectures est celui du Cardinal
Woolsey, qui disoit, Ego & Rex meus, « Moy & mon Roy ; »
& peut-être que le plus grand Egotiste, qu’il y ait jamais
eu au monde, est Michel de Montagne <sic>, le célébre
Auteur des Essais. Ce vieux & boüillant Gascon a mêlé toutes
ses infirmitez corporelles dans ses Ouvrages, & après avoir
parlé des défauts ou des vertus de tout autre Homme, il publie
d’abord la part qu’il y a lui-même. S’il avoit caché l’un &
l’autre à son égard, il auroit pû passer pour meilleur
Chrétien ; mais peut-être n’auroit-il pas été un Auteur si
agréable. Le Titre d’Essais, qu’il donne ses Ecrits, semble
promettre, par exemple, un Discours sur Virgile ou sur Jule
Cesar ; mais lors que vous venez à les lire, vous y trouvez
beaucoup plus de choses qui regardent Mr. de Montagne lui-même,
que les deux autres, Scaliger le Fils, qui n’étoit
pas trop bon ami de cet Auteur, après avoir informé le Public
que le Pere de Montagne vendoit des Harengs, ajoute ces mots :
La grande fadaise de Montagne, qui a écrit qu’il aimoit mieux le
Vin blanc, — Que diable a-t-on à faire de sçavoir ce qu’il
aime ? Je ne sçaurois m’empêcher de parler ici d’une Classe
d’Egotistes, pour lesquels j’ai toûjours eu beaucoup
d’antipatie ; je veux dire les Auteurs de Memoires, qu’on ne
trouve jamais citez que dans leurs propres Ouvrages, & qui
tirent toutes leurs productions de cette seule Figure de
Rhétorique. La plûpart des Préfaces modernes sentent l’Egotisme
à pleine bouche. Le moindre petit Barbouilleur s’imagine qu’il
importe au Public de sçavoir qu’il a écrit son Livre à la
Campagne, qu’il s’y est amusé aux heures de son loisir, qu’il
n’a pû le refuser aux instances réiterées de ses Amis, ou que
son penchant, ses études & sa fréquentation de certaines
Personnes l’ont conduit au sujet qu’il y traite. Id populus
curat scilicet. N’est-ce pas-là dequoi le Public se met fort en
peine, & les Lecteurs n’en deviennent-ils pas plus habiles ?
Dans les Ouvrages d’esprit, sur tout lorsque l’Auteur y paroît
sous un Nom feint, il peut se hazarder à parler de
lui-même & divertir le Public ; mais je conseillerois à tout
autre Ecrivain de ne parler jamais de sa Personne, à moins qu’il
n’y ait quelque chose de fort distingué dans son caractére.
D’ailleurs je suis très-persuadé que cet avis ne sera pas d’un
grand usage, parce que tout homme qui regarde ce qu’il pense
comme digne d’entretenir le Public, se croit une Personne
distinguée. Il y en
a une sorte fort commune dans le monde, quoique je ne sçache pas
qu’aucun Auteur en ait jamais parlé : ce sont ces pauvres Génies
qui s’attribuent à eux-mêmes, ou qui donnent à quelques-uns de
leurs Amis particuliers certains bons Mots qu’on débitoit avant
qu’ils eussent vû le jour, & que tout Homme qui a fréquenté
un peu le monde a entendu repéter cent & cent fois en sa
vie. Un jeune Etourdi de ma connoissance étoit si coupable à cet
égard, qu’il n’oublioit rien pour trouver l’occasion de nous
régaler de quelque vieux trait d’esprit. II nous disoit, par
exemple, qu’un jour accompagné d’un tel de ses amis, l’un ou
l’autre avoit en une telle pensée ingénieuse, une
telle repartie vive, & là-dessus il se mettoit à éclater de
rire de tout son cœur, fort surpris de ce que les autres ne
l’imitoient pas. Lorsque sa joye venoit à se calmer, pour lui
faire une petite Mercuriale indirecte, je lui ai souvent
demandé, avec Terence, Tuumne, obsecrote, hoc dictum erat ?
vetus credidi. « Dites-moi, je vous prie, ce Bon mot est-il de
votre façon, je le croyois fort ancien. » Mais sur ce qu’il me
parut incorrigible, & que j’avois quelque inclination pour
ce jeune Bénêt, qui étoit d’ailleurs d’un bon naturel, je
l’exhortai à lire les Bons mots d’Oxford & de Cambridge,
avec quelques autres petites Pieces du même goût. Après en avoir
fait la lecture, il fut penetré de honte de voir que toutes ses
belles Saillies & ses Pointes d’esprit avoient essuyé déja
plusieurs Editions, & que tout ce qu’il croyoit nouveau, ou
dont il se disoit l’inventeur, avoit paru moulé avant que lui
& ses amis fussent au monde. Cette découverte eut un si
heureux effet à son égard, qu’il se borne aujourd’hui à passer
pour un homme de bon sens, & qu’il ne se hasarde jamais à
faire l’agréable, à moins qu’il ne sçache bien avec qui il est.
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Dialog
« S’imagine-t-il, disoit
Brutus, que son Consulat est plus digne d’être applaudi
que mon entreprise sur la vie de Cesar, parce que je ne
rappelle pas sans cesse les Ides de Mars, comme il nous
rompt toûjours la tête des Nones de Décembre ? »
Exemplum
Il est presque inutile d’avertir
ici mes Lecteurs, qui ont quelque connoissance de l’Histoire
Romaine, que Brutus poignarda Cesar le jour des Ides,
c’est-à-dire le 15. du mois de Mars, & que Ciceron
étoufa la Conjuration de Catilina le jour des Nones, ou le
5e du mois de Décembre. Quelque choquante que fut pour ses
Contemporains la hardiesse avec laquelle ce grand Homme se
loüoit, j’avouë qu’il ne me paroît jamais si agréable que
lors qu’il nous entretient de lui-même. Les ouvertures qu’il
fait alors de son cœur nous le dépeignent au naturel,
dévelopent son caractére, & servent à éclaircir divers
endroits de sa vie. Outre qu’il y a quelque petit charme à
découvrir le foible d’un grand Homme, & à voir de quelle
maniere l’opinion qu’il a de lui-même s’accorde avec l’idée
que les autres en ont.
Metatextualität
Je finirai ce Discours
par une Remarque sur les Egotistes en conversation,
c’est-à-dire ces petits Esprits bornez, qui vuides de toute
autre chose ne sont remplis que d’eux-mêmes.