Le Spectateur ou le Socrate moderne: I. Discours
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.2648
Nível 1
I. Discours
Citação/Lema
Paulatim abolere
Sicheum Incipit, & vivo tentat prӕvertere
amore
Jampridem resides animos desuetáque corda.
Jampridem resides animos desuetáque corda.
Virg. Ӕneid. I. 1724.
Il commence à éfacer peu à peu dans son esprit le souvenir de Siché’e, & il tâche d’enflamer son cœur tranquile d’un amour violent, dont elle ne connoissoit presque plus les atteintes.
Metatextualidade
Lettre sur une Coterie
de Veuves.
Metatextualidade
Lettre sur une Coterie
de Veuves.
Nível 2
Nível 3
Carta/Carta ao editor
Monsieur,
Retrato alheio
« J’ai la taille avantageuse, les épaules
larges, assez d’éfronterie, le teint noir, &
toutes les qualitez requises, à ce qu’il me
sembloit, pour obtenir une riche Veuve : Mais, après
avoir busqué fortune durant plus de trois années
consécutives, je n’ai pû gagner ni l’esprit ni le
cœur d’une seule de ces Dames. J’ai presque toujours
réüssi dans mes premieres attaques ; mais d’abord
que je voulois m’assûrer une partie de leur bien, il
falloit rompre & se retirer. Si mon
état n’en est pas devenu meilleur par toutes ces
recherches, j’ai acquis du moins de l’experience,
& j’ai appris divers secrets, qui peuvent être
utiles à ces malheureux Avanturiers, qu’on appelle
d’ordinaire Quêteurs de Veuves, & qui ne sçavent
pas que ces sortes de Femmes sont aussi bien aux
aguets pour tendre des piéges, qu’ils le sont
eux-mêmes.
Metatextualidade
Je vais vous communiquer
ici les mysteres d’une de ces Cabales féminines, qui
se nomme la Coterie des Veuves. Elle est composée de
neuf Matrones experimentées, qui s’assemblent une
fois la semaine, & qui se rangent autour d’une
grande Table ovale.
Nível 4
i. Madame la Présidente
est une personne d’un mérite tout extraordinaire,
qui a déja disposé de six maris, & qui en veut
prendre un septiéme, persuadée qu’il y a autant de
vertu dans l’atouchement d’un septiéme Epoux, que
dans celui d’un septiéme Fils. Voici les Noms &
les qualitez de ses fideles compagnes. ii.
Mademoiselle Finemouche, qui jouït de quatre
Doüaires, par quatre différens Epoux, de quatre
différentes Provinces. Elle est sur le point de se
marier avec un homme de Middlesex, & l’on dit
qu’elle a une grande passion d’étendre
ses domaines dans tous les Comtez d’Angleterre, en
deçà de la Trent. iii. Mlle de la Nefle, qui, après
avoir usé deux Maris & un Galant, vient
d’épouser un Gentilhomme sexagenaire. Sur le rapport
qu’elle a fait à la Coterie de ce qui s’est passé
entre eux durant le cours d’une semaine, on lui a
permis de s’y trouver en qualité de Veuve, &,
selon cet ordre, elle continue à y tenir sa place.
iv. La Veuve Feu-Ardent, qui s’est remariée quinze
jours après la mort de son dernier Epoux. Ses habits
de deüil, qui lui ont déja servi trois fois, sont
encore aussi bons que s’ils étoient tout neufs. v.
Madame Catherine du Goufre, qui étoit Veuve à l’âge
de dix-huit ans, & qui a depuis enterré un
second Mari avec deux Cochers. vi. Madame de
Marioles, qui à l’âge de quinze ans épousa Mr le
Chevalier Simon de Marioles, qui en avoit alors
soixante-douze, & dont elle eut deux jumeaux
neuf mois après son décès. A l’âge de cinquante-cinq
ans elle se maria à Mr. Jaques Fuseaux, Ecuyer, qui
n’en avoit que vingt & un, & qui ne survêcut
pas au premier mois de son Mariage. vii.
Madame Debora Conquet, Veuve du Chevalier Samson
Conquet, nommé quelquefois pour être un des Juges
aux Assises. Ce Chevalier étoit un homme vigoureux,
qui avoit six pieds de hauteur, & deux pieds de
large du bout d’une épaule à l’autre. Il avoit eu
trois Femmes, qui moururent toutes dans leurs
couches. Ceci causa une telle frayeur à tout le beau
Sexe, qu’aucune n’osoit jetter les yeux sur lui.
Enfin Mlle Debora l’entreprit, & en rendit si
bon compte, qu’après trois années de mariage, elle
eut le plaisir de l’étendre sur le carreau & de
le mesurer dans toute sa longueur. Par cet exploit,
elle s’est acquise tant de réputation, que les Dames
de la Coterie ont joint à son triomphe les trois
Victoires du Chevalier Samson, & qu’elles lui
donnent le mérite d’un quatriéme Veuvage, de sorte
qu’elle y occupe aujourd’hui une place proportionnée
à sa dignité. viii. Madame de S. Leger, Veuve de M.
Jean de S. Leger, qui aimoit jusqu’à la fureur la
Chasse du Renard, & qui se cassa le cou en
sautant à cheval par dessus une porte de six
barreaux. Elle fut si touchée de cet accident,
qu’elle en seroit morte de douleur, si un
Gentilhomme du voisinage n’eût diverti
son chagrin, & ne lui eût fait la cour dès le
second mois de son deüil. Quinze jours après, ce
Gentilhomme se vit renvoyé pour l’amour d’un jeune
Avocat, qui ne fut le bien–venu que l’espace de six
semaines, & qui fut obligé d’abandonner son
poste à un Officier cassé, réduit en peu de temps à
ceder la place à un Homme de Cour. La faveur de
celui-ci fut d’aussi courte durée que celle des
autres ; mais il eut le plaisir de se voir succedé
par une longue suite d’Amans, qui en conterent à la
Veuve jusqu’à la trente-septiéme année de son âge.
Il y eut alors une cessation de dix années
consécutives, au bout desquelles M. Jean Lalane,
Maître Chapelier se mit en tête de l’aimer, &
l’on croit même qu’il la possedera bientôt. ix. La
derniere est la jolie Mlle Courant, qui n’avoit pas
seize ans complets lors qu’elle fit mourir son
premier Epoux de chagrin, & qu’on l’admit dans
cette coterie. Elle en sortit bientôt après, sur ce
qu’elle voulut tâter d’un second, qu’elle expedia si
vîte, qu’en moins d’une année, elle y rentra de
nouveau. Cette jeune Matrone est un des plus dignes
membres de la Societé, en état de s’y avancer plus qu’aucune des autres, & il y a
grande apparence qu’elle y occupera le siege de la
Présidente, avant que de finir ses jours.
Narração geral
Dès l’établissement de
leur Coterie, ces Dames résolurent de donner les
Portraits de leur defunts Maris, pour servir
d’ornement à la Chambre où elles tiennent leurs
Assemblées ; mais sur ce qu’il y en eu deux qui les
firent tirer au naturel dans toute leur étenduë,
& que ces deux Pieces couvroient toute la
muraille d’un côté, elles en vinrent à une seconde
résolution, qui fut, que chaque Matrone donneroit
son propre portrait au naturel, & que ses maris
y seroient placez tout autour en miniature. Comme
elles ont le malheur d’être presque toutes sujettes
à la Colique ; elles ont une excellente Cave, pleine
de Cordiaux & de Liqueurs fortes. Lorsque la
boisson commence à les assoupir, elles ne manquent
presque jamais de parler de leurs défunts Epoux avec
tendresse, & de les honorer de quelques larmes.
Mais demandez-leur, lequel de tous elles regrettent
le plus, elle n’en sçavent rien, & font voir par
là qu’elles ne pleurent pas tant la perte, que la
privation actuelle d’un Mari. Leur Maxime
favorite, qui doit servir de Régle à toute la
Societé, est de faire, en toute occasion, l’éloge du
Célibat, pour détourner les autres du Mariage, &
s’attirer à elles seules la bienveillance de tous
les Hommes. Si quelqu’une d’elles a un Amant, elle
est obligée de communiquer son Nom à la Societé, où
l’on examine en pleine Assemblée, sa Reputation, sa
Personne, son Bien & son Humeur ; & s’il est
jugé digne d’avoir un de leurs Membres, alors elles
mettent de concert tout en œuvre pour l’attirer dans
ses filets. De cette maniere elles connoissent tous
les Quêteurs de Veuves qu’il y a dans la Ville,
& qui leur donnent souvent occasion de se
divertir. Un bon Gentilhomme Irlandois, qui ne sçait
rien, à ce qu’il paroît, de leur Societé, est de ce
nombre, puisqu’il en a conté en différens temps à
toutes celles qui la composent. Leur conversation
roule d’ordinaire sur leurs défunts Maris, &
c’est la chose du monde la plus divertissante de
leur entendre rapporter les artifices & les
stratagémes, qu’elles ont mis en usage pour amuser
le jaloux, calmer le violent, ou duper celui d’un
bon naturel, & les réduire enfin les uns &
les autres à sortir de la Maison les
talons devant, comme elles s’expriment elles-mêmes.
La politique de ces Machiavelistes Fémelles, qui la
cultivent beaucoup, regardent sur tout deux Points,
la maniere dont il faut traiter un Amant, &
l’art de gouverner un Epoux. Le premier de ces deux
Articles est d’une trop longue discussion pour
servir de clôture à une de vos feüilles volantes ;
ainsi je le garderai pour une seconde Lettre. Pour
l’Art de gouverner un Epoux, il est bâti sur des
Maximes, que toute la Coterie admet en général,
& qui se réduisent à celle-ci : Qu’une Femme
doit éviter d’abord de suivre les caprices de son
Epoux : Quelle ne doit pas lui accorder trop de
liberté ni de trop grandes familiaritez : Qu’elle ne
doit pas se laisser traiter en Novice, mais en Femme
qui connoît le monde : Qu’elle ne doit rien diminuer
de son premier état, ni de la dépense qu’elle
faisoit avant son Mariage : Qu’elle doit loüer la
générosité de son Mari défunt, ou toute autre vertu,
qu’elle veut recommander à son Successeur : Qu’elle
doit chasser tous les anciens Amis & tous les
Domestiques de son Epoux, afin de joüir toute seule
de sa chere personne : Qu’elle doit l’engager à deshériter les Enfans de tout autre Lit que
le sien : Qu’elle ne doit jamais être pleinement
convaincuë de son amitié, jusqu’à ce qu’il lui ait
donné tous ses Biens, meubles & immeubles,
présens & à venir. Je suis, &c. »