Citazione bibliografica: Anonym (Ed.): "LXVII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\067 (1723), pp. 419-425, edito in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Ed.): Gli "Spectators" nel contesto internazionale. Edizione digitale, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1459 [consultato il: ].


Livello 1►

LXVII. Discours

Citazione/Motto► Qualis ubi in lucem coluber, mala gramina pastus,
Frigida sub terra tumidum quem bruma tegebat;
Nunc politis novus ecuviis, nitidúsque juventa,
Lubrica concolvit fublato pectore terga
Arduus ad Solem, & linguis micat ore trisulcis.

Virg. Æneid. II. 47 I.

Il est tel qu’un Serpent, qui, après avoir passé tout l’Hiver sous terre, en sort dans la belle Saison, se repaît de Plantes enveninées, se dépouille de sa peau, aquiert un nouvel éclat, se dresse aux raïons du Soleil, & tire sa langue à trois pointes. ◀Citazione/Motto

Metatestualità► Moïens que le Spectateur a mis en usage pour s’accoûtumer à parler, depusi qu’on lui a ouvert la bouche en grande céremonie. ◀Metatestualità

Livello 2► 1 Lors que je renonçai à l’Emploi de Spectateur, j’avertis le Public que mon dessein étoit de former une nouvelle Coterie, & d’y faire ouvrir ma Bouche avec toute la solemnité requise. Mais sur ce que je ne trouvai pas aussi facile, que je me l’étois d’abord imaginé, de vaincre un Silence qui avoit duré cinquante années consecutives; je ne voulus pas me hasader à paroître dans le Mon-[420]de sur le pié d’un Homme qui parle comme les autres, jusqu’à ce que j’eusse aquis un libre & parfait usage de ma Langue.

Je garderai pour une autre fois l’Histoire de la Coterie ou des Coteries, dont je suis à présent, moi indigne, un des Membres babillards, & je raporterai ici ce merveilleux changement que m’est arrivé, & qui me paroit aussi remarquable qu’aucun autre cité dans l’Histoire, depuis celui qui arriva au Fils de Cresus, après avoir été plusieurs années aussi muet ou plus muet que moi-même.

A la premiere ouverture de ma Bouche, je fis un Discours d’environ une demi-douzaine de Periodes bien tournées ; mais j’en devins si enroué, qu’au lieu d’avoir recouvré l’usage de ma Langue, je craignis trois jours de fuire de l’avoir absolument perdu. Ajoutez à cela que les Muscles de mes jouës, peu accoûtumez à s’étendre, en soufrirent une si vive douleur, que, sans une résolution invincible & une perséveran ce à toute épreuve, je n’aurois pas manqué de retomber dans mon ancien état & de revenir à mes Monosyllabes.

Ensuite j’essaïai de parler à diverses reprises ; & pour n’être pas afraïé de ma voix, ce que m’est arrivé en plus d’un rencontre, je lisois tout haut dans ma Chambre, & souvent je me suis arrêté au milieu de la Ruë pour apeller un Fiacre, quoi que ne n’en visse aucun à portée qui pût m’entendre.

Lors que je me fus ainsi accoûtumé [421] peu à peu au ton de ma voi, je profitai de toutes les occasions que s’ofroient pour la mettre en usage. Mais je ne me souciois guére de parler tout seul, ne de m’atirer toute l’atention de ceux avec qui je conversois ; de sorte que, durant quelque tems, je m’allai promener tous les matins dans le Parc de St. James, où je faisois Chorus avec une troupe de François. J’avouë que ma Modestie ètoit fort soulagée par l’humeur communicative de ces Messieurs-là, que sont si sociables, qu’ils ne se croient jamais plus divertissans que lors qu’ils cusent tous à la fois.

Il ne me vint ensuit dans l’Esprit que je tirerois un grand avantage de la compagnie des Dames, & que j’aurois occasion de parler avec plus de liberté, lors que je ne serois pas obligé de réflechir par avance. Je me glissai donc dans une Assemblée d’y entrelarder un seul mot, & je trouvais que, & je ne changeois pas incessamment de baterie, je risquoi de me voir réduit à ma premiere taciturnité.

Depuis ce tems-là le Caffez ont été mes principaux Rendez-vous, oú j’ai fait le plus de progrès ; &, pour en venir à bout, j’ai eu un soin tout particulier de n’être jamais l’avis des autres. J’êtois Tory au Caffé de Button, & Whig à celui de Child ; tantôt je faisois l’Apologie de 2 l’Anglois, [422] & tantôt celle de l’Examinateur, suivant que l’un ou l’autre me tournoit mieux à compte ; Quelques-uns me croient grand Ennemi du Roi de France, quoi qu’au pie de la lettre, je ne l’aie mis en jeu que pour aider à la Conversation. En un mot, je elabaude & je dispute dans la seule vuë de m’exercer ; & j’ai porté la chose si loin, que je faillis une fois à être percé au travers du Corps pour avoir été un peu trop libre avec mes Supérieurs.

Enfin, je suis un tout autre Homme que je n’étois ; on n’a jamais rien vû de si opposé, 3 nil fuit umquam Sic dispar sibi. Mes anciens Amis ont de la peine à me reconnoître ; & un Juif me demanda, l’autre jour, au Caffé de Jonathan, si je n’étois pas de la Famille d’un Gentilhomme muet qu’il y avoit vû diverses fois ? Mais il y a huit jours ou environ qu’occupé au même endroit à disputer chaudement avec un jeune Avocat du Temple, je fus charmé de voir que son Camarade le tira par la manche, & le pria de se retirer, s’il ne vouloit que ce vieux Fou le mît sur le carreau à forcer de parler.

[423] J’ai fait de si heureux progrès dans l’Art du Babil, que je paroitrai en Public avec ce nouveau talent, afin que mes Compatriotes en puissent recueillir les fruits.

Ceux que se sont trouvez aux Disputes publiques que se font dans nos Académies savent que d’ordinaire on y soutient des Héresies dans la seule vûe de s’exercer & de pousser un Argument. J’ai entendu moi-même un Théologien raisonner demi-heure de suite comme une Socinien de plus hardis, quoi qu’il fût très-Orthodoxe le reste de ses jours. J’ai suivi à peu près la même méthode pour acquérir l’usage libre de ma Langue, & j’ai parlé plus d’une année entiere, non pas tant pour l’avantage de mes Auditeurs que pour le mien propre. Mais puis que j’ai enfin obtenu cette faculté, j’ai résolu d’en faire un bon usage, & de n’ouvrir jamais la bouche à l’avenir que pour dire la verité en confience. Lors qu’un Homme aprend à faire des armes, il s’exerce sur tous ceux que si presentent, Amis ou Ennemis ; mais lors qu’il y est devenue Maître, il ne tire jamais l’Epée que pour ce qu’il croit être le bon Parti.

Avec tout cela, de peur que cette Allusion ne donne à mes Lecteurs une fausse idée de mon dessein, je les avertirai que je ne suis d’aucun Parti, que je n’ai à cœur que les intérêts de la Verité & de la Vertu, & que je n’ai d’autre Ennemi à combatre que le Vice & La Folie. Quoi que je fasse aujourd’hui plus de bruit dans le Monde [424] que je n’y en ai fait autrefois, je veux continuer à y vivre en Spectateur indiférent. Mon but n’est pas d’augmenter le nombre des Whigs ou des Torys ; mais celui des Personnes sages & vertueuses. Je souhaiterois de tout mon cœur qu’il n’y eût point de Fautes communes aux deux Partis, que fusisent bien pour donner de l’exercice à ma Plume, sans en venir à celles que sont propres à chacun d’eux.

Si 4 la sûreté se trouve dans la multitude des conseillers, il n’y a point de Nation au Monde qui soit plus assûrée que la nôtre. Presque tous nos Galetas sont habitez par des Politiques, qui veillent à la conservation de nos Droits & de nos Privileges, & qui se garantissent à peine de mourir de faim, pour maintenir leurs Compatriotes dans la joüissance de leurs revenus.

Quoi que ces infortunez Politiques aient excité une cruelle fermentation dans tous les Esprits, bien loin de l’envenimer davantage, mon but principal sera de l’éteindre & d’inspirer à tous mes Compatriotes une bienveillance mutuelle. De quelques fautes dont chacun des Partis soit coupable, elles empirent plûtôt qu’elles ne diminuent par les-reproches qu’ils-se sont l’un à l’autre. Le moïen le plus sûr pour ramener un Homme à son devoir est de lui recommander les principes de l’Honneur & de la Vertu, de la bonne Foi & de la Religion : Pendant qu’il les suit, quelque Parti qu’il ait [425] embrassée, il ne peut qu’être un bon Anglois, & qu’aimer sa Patrie.

A l’égard des Personnes intéressées dans la composition de cet Ouvrage, on les nommera lors qu’elles jugeront à propos de se manifester au Public ; mais jusqu’à ce tems-là mes Lecteurs auront la bonté, s’il leur plaît, de suspendre leur curiosité, & de s’informer plûtôt de ce qui est écrit que de ceux qui l’écrivent.

Après avoir ainsi ajusté tous les Préliminaires requis avec mes Lecteurs, sans les embarrasser d’aucune autre Préambule, je suivrai mon ancienne Méthode, & je les entretiendrai de toutce qui s’ofrira d’utile dans le cours de mes Speculations. ◀Livello 2 ◀Livello 1

1Voïez le LXIII. Disc.

2Deux Feuilles volantes, que paroissoient alors deux ou trois fois la semaine, & qui rouloient sur les affaïres du tems. L’Anglois venoit de la Plume d’un Whig, & l’Examinateur de celle d’un Thory. Voyez ce qui est dit de l’un & de l’autre dans les Oeuvres diverses de Mr. RISH. STEELE sur les affaires de la Gr. Bretagne, traduites de l’Anglais, & imprim. à Amsterdam che D. Mortier en 1715. Voyez pag. II, &c. Suplém. de la Crise, pag. 156 &c.

3Hor. L. I. Sat. III. 18.

4Prov. XL 14.