Frigida sub terra tumidum quem bruma
tegebat;
Nunc politis novus ecuviis, nitidúsque juventa,
Lubrica
concolvit fublato pectore terga
Arduus ad Solem, & linguis micat
ore trisulcis.
Virg. Æneid. II. 47 I.
Il est tel qu’un Serpent, qui, après avoir
passé tout l’Hiver sous terre, en sort dans la belle Saison, se
repaît de Plantes enveninées, se dépouille de sa peau, aquiert un
nouvel éclat, se dresse aux raïons du Soleil, & tire sa langue à
trois pointes.
Voïez le LXIII. Disc.
Lors que je renonçai à l’Emploi de Spectateur, j’avertis le Public
que mon dessein étoit de former une nouvelle Coterie, & d’y
faire ouvrir ma Bouche avec toute la solemnité requise. Mais sur ce
que je ne trouvai pas aussi facile, que je me l’étois d’abord
imaginé, de vaincre un Silence qui avoit duré cinquante années
consecutives; je ne voulus pas me hasader à paroître dans le Mon-
Je garderai pour une autre fois l’Histoire de la Coterie ou des
Coteries, dont je suis à présent, moi indigne, un des Membres
babillards, & je raporterai ici ce merveilleux changement que
m’est arrivé, & qui me paroit aussi remarquable qu’aucun autre
cité dans l’Histoire, depuis celui qui arriva au Fils de
A la premiere ouverture de ma Bouche, je fis un Discours d’environ une demi-douzaine de Periodes bien tournées ; mais j’en devins si enroué, qu’au lieu d’avoir recouvré l’usage de ma Langue, je craignis trois jours de fuire de l’avoir absolument perdu. Ajoutez à cela que les Muscles de mes jouës, peu accoûtumez à s’étendre, en soufrirent une si vive douleur, que, sans une résolution invincible & une perséveran ce à toute épreuve, je n’aurois pas manqué de retomber dans mon ancien état & de revenir à mes Monosyllabes.
Ensuite j’essaïai de parler à diverses reprises ; & pour n’être pas afraïé de ma voix, ce que m’est arrivé en plus d’un rencontre, je lisois tout haut dans ma Chambre, & souvent je me suis arrêté au milieu de la Ruë pour apeller un Fiacre, quoi que ne n’en visse aucun à portée qui pût m’entendre.
Lors que je me fus ainsi accoûtumé James, où je faisois
Chorus avec une troupe de François. J’avouë
que ma Modestie ètoit fort soulagée par l’humeur communicative de
ces Messieurs-là, que sont si sociables, qu’ils ne se croient jamais
plus divertissans que lors qu’ils cusent tous à la fois.
Il ne me vint ensuit dans l’Esprit que je tirerois un grand avantage de la compagnie des Dames, & que j’aurois occasion de parler avec plus de liberté, lors que je ne serois pas obligé de réflechir par avance. Je me glissai donc dans une Assemblée d’y entrelarder un seul mot, & je trouvais que, & je ne changeois pas incessamment de baterie, je risquoi de me voir réduit à ma premiere taciturnité.
Depuis ce tems-là le Caffez ont été mes principaux Rendez-vous, oú
j’ai fait le plus de progrès ; &, pour en venir à bout, j’ai eu
un soin tout particulier de n’être jamais l’avis des autres. J’êtois
Tory au Whig à celui de Child ; tantôt je faisois l’Apologie de Deux Feuilles volantes, que
paroissoient alors deux ou trois fois la semaine, & qui
rouloient sur les affaïres du tems. L’Anglois venoit de la
Plume d’un Whig, & l’Examinateur de celle d’un Thory.
Voyez ce qui est dit de l’un & de l’autre dans les l’
Enfin, je suis un tout autre Homme que je n’étois ; on n’a jamais
rien vû de si opposé, nil fuit umquam Sic dispar sibi. Mes anciens
Amis ont de la peine à me reconnoître ; & un Juif me demanda,
l’autre jour, au Temple, je fus charmé de voir que son
Camarade le tira par la manche, & le pria de se retirer, s’il ne
vouloit que ce vieux Fou le mît sur le carreau à forcer de
parler.
Ceux que se sont trouvez aux Disputes publiques que se font dans nos
Académies savent que d’ordinaire on y soutient des Héresies dans la
seule vûe de s’exercer & de pousser un Argument. J’ai entendu
moi-même un Théologien raisonner demi-heure de suite comme une Socinien de plus hardis, quoi qu’il fût
très-Orthodoxe le reste de ses jours. J’ai suivi à peu près la même
méthode pour acquérir l’usage libre de ma Langue, & j’ai parlé
plus d’une année entiere, non pas tant pour l’avantage de mes
Auditeurs que pour le mien propre. Mais puis que j’ai enfin obtenu
cette faculté, j’ai résolu d’en faire un bon usage, & de
n’ouvrir jamais la bouche à l’avenir que pour dire la verité en
confience. Lors qu’un Homme aprend à faire des armes, il s’exerce
sur tous ceux que si presentent, Amis ou Ennemis ; mais lors qu’il y
est devenue Maître, il ne tire jamais l’Epée que pour ce qu’il croit
être le bon Parti.
Avec tout cela, de peur que cette Allusion ne donne à mes Lecteurs
une fausse idée de mon dessein, je les avertirai que je ne suis
d’aucun Parti, que je n’ai à cœur que les intérêts de la Verité
& de la Vertu, & que je n’ai d’autre Ennemi à combatre que
le Vice & La Folie. Quoi que je fasse aujourd’hui plus de bruit
dans le Monde Spectateur
indiférent. Mon but n’est pas d’augmenter le nombre des Whigs ou des Torys ;
mais celui des Personnes sages & vertueuses. Je souhaiterois de
tout mon cœur qu’il n’y eût point de Fautes communes aux deux
Partis, que fusisent bien pour donner de l’exercice à ma Plume, sans
en venir à celles que sont propres à chacun d’eux.
Si la sûreté se trouve dans la multitude des
conseillers, il n’y a point de Nation au Monde qui soit
plus assûrée que la nôtre. Presque tous nos Galetas sont habitez par
des Politiques, qui veillent à la conservation de nos Droits &
de nos Privileges, & qui se garantissent à peine de mourir de
faim, pour maintenir leurs Compatriotes dans la joüissance de leurs
revenus.
Quoi que ces infortunez Politiques aient excité une cruelle
fermentation dans tous les Esprits, bien loin de l’envenimer
davantage, mon but principal sera de l’éteindre & d’inspirer à
tous mes Compatriotes une bienveillance mutuelle. De quelques fautes
dont chacun des Partis soit coupable, elles empirent plûtôt qu’elles
ne diminuent par les-reproches qu’ils-se sont l’un à l’autre. Le
moïen le plus sûr pour ramener un Homme à son devoir est de lui
recommander les principes de l’Honneur & de la Vertu, de la
bonne Foi & de la Religion : Pendant qu’il les suit, quelque
Parti qu’il ait Anglois, & qu’aimer sa Patrie.
A l’égard des Personnes intéressées dans la composition de cet Ouvrage, on les nommera lors qu’elles jugeront à propos de se manifester au Public ; mais jusqu’à ce tems-là mes Lecteurs auront la bonté, s’il leur plaît, de suspendre leur curiosité, & de s’informer plûtôt de ce qui est écrit que de ceux qui l’écrivent.
Après avoir ainsi ajusté tous les Préliminaires requis avec mes
Lecteurs, sans les embarrasser d’aucune autre Préambule, je suivrai
mon ancienne Méthode, & je les entretiendrai de toutce qui
s’ofrira d’utile dans le cours de mes Speculations.