Le Spectateur ou le Socrate moderne: LXVI. Discours
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LXVI. Discours
Cita/Lema
Suspendit pictâ vultum,
mentémque tabellâ.
Hor. L. II. Epist. I. 97.
Sa passion dominante est pour les Ouvrages de Peinture.Metatextualidad
Les Peintres Anglois
l’emportent surtout les autres à l’égard des Portraits.
Metatextualidad
Les Peintres Anglois
l’emportent surtout les autres à l’égard des Portraits.
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Carta/Carta al director
Mr. le Spectateur, « Puis que
l’Académie de Peinture, qu’on vient d’établir à Londres,
vous a fait, & s’est fait à elle-même l’honeur de
vous choisir pour un de ses Directeurs, cet Art, aussi
noble qu’aimable, auquel vous deviez déja vos regards en
qualité de Spectateur, s’est aquis un nouveau droit sur
vous, & vous paroissez doublement engagé à prendre
soin de ses intérêts. L’honneur de notre Patrie n’est
pas moins interessé dans ce que je vais dire : Nous
avons (& peut-être que les autres Nations l’ont de
même que nous) une fausse Humilité Nationale, aussi bien
qu’un Orgueuil National; & quoi que nous nous vantions de surpasser tout le monde en des
choses où les autres excellent sur nous, il y en a
quelques-unes où nous attribuons aux Etrangers une
supériorité que nous possedons nous-mêmes. C’est ce qui
arrive en particulier dans l’Art de faire des Portraits,
ou de représenter les Visages au naturel. La Peinture
est un Art d’une si vaste étendue, qu’il n’y a pas un
seul Homme vivant qui le possede dans toutes ses
parties ; il sufit que les uns réussissent à peindre des
Visages, à représenter les autres l’Histoire, où les
Batailles, ou les Païsages, ou les Tempêtes, ou les
Fruits, ou les Fleurs, ou les Grotesques, ou les
Escarmouches, &c. Bien plus, jamais Homme n’a
excellé dans toutes les branches de chacun de ces Arts,
ainsi que je prens la liberté de nommer chacune de ces
différentes espéces. D’ailleurs, comme un Homme peut
être habile à représenter un Païsage, quoi qu’il ne
réussisse guére bien à peindre un Visage, ou une
Histoire; & ainsi du reste; de même une Nation peut
exceller dans quelque genre de Peinture, quoi-que les
autres soient cultivez plus heureusement sous quelque
autre Climat. L’Italie peut avoir la préférence sur
toutes les autres Nations pour l’Histoire ; la Hollande
pour les Grotesques, aussi-bien que pour l’exactitude
& la finesse de l’ouvrage; la France pour les Pièces
gaies, gentilles & folâtres ; &
l’Angleterre pour les Portraits: Mais vouloir attribuer
l’honeur de toutes ces sortes de Peinture à l’une ou à
l’autre de ces Nations sous ombre qu’elle excelle dans
quelqu’une de ces parties, c’est ajuger le prix de la
Poësie Héroïque, Dramatique, Lyrique ou Burlesque à
celui qui réussit dans quelqu’un de ces genres-là. Il
est raisonnable de suposer qu’un Art doit atteindre à sa
plus haute perfection là où se trouvent les plus grands
Génies, où il y a le plus de secours &
d’encouragement. Examinons sur ce pied-là notre Nation à
l’égard de portraits. Il n’y a point de Gens au Monde
qui se plaisent tant que les Anglois à voir leur figure
peinte, ou celle de leurs Parens ou de leurs Amis; soit
que cela vienne de leur bonté naturelle, ou de
l’inclination qu’ils ont pur la Peinture, & de ce
qu’ils ne sont pas encouragez à estimer les Tableaux
religieux, dont la pureté de notre Culte n’admet pas le
libre usage, ou de quelque autre cause que l’on voudra.
Les secours que nous avons ne le cédent poins à ceux de
toute autre Nation, ou plûtôt ils les surpassent; du
moins ce que les Statuës & les Bas-reliefs antiques,
dont l’Italie joüit, sont pour les Peintres en Histoire,
les beaux Visages, dont tout l’Univers reconnoit que
l’Angleterre abonde, le sont pour ceux que s’attachent
aux Portraits: D’ailleurs, nous avons un plus grand nombre de ces sortes d’Ouvrages des plus
habiles Maîtres dans ce dernier genre, que n’en possede
aucune autre Nation, & nous n’en manquons pas de
ceux qui ont excellé dans toutes les autres Parties de
la Peinture. Pour ce qui est de l’encouragement, les
richesses & la générosité de la Nation Angloise le
poussent si loin, que les Artistes n’ont aucun sujet de
s’en plaindre. Aussi n’y a-t-il en effet aucun Païs au
Monde, où l’on réussisse si bien dans les Portraits
qu’en Angleterre : Je ne sai si vous avez eu occasion de
le remarquer; mais je l’ai observé moi-même, & je me
crois Juge assez compétent à cet égard. J’ai vû ce qui
se fait ailleurs, & je puis vous assûrer que
l’honneur de cette branche de la Peinture nous est dû
avec justice. Pour la confirmation de cette vérité, j’en
apelle au témoignage de tous les Connoisseurs. Si
quelques Etrangers nous ont souvent, ou presque
toûjours, surpassez là-dessus, on doit l’attribuer aux
avantages qu’ils ont trouvé ici, joints à leur industrie
& à leur capacité naturelle, mais- il n’y a point
d’autre Nation qui s’y soit jamais distinguée d’une
maniere à pouvoir servir de fondement à cet Eloge. D’un
autre côté, on n’a vû, parmi nous, ni François ni
Italien, malgré tous nos préjugez en leur faveur, qui
ait joüi longtems de la réputation d’exceller à faire
des Portraits. C’est un honneur qui est dû,
il y a près d’un siècle, à notre seule Patrie ; de sorte
qu’au lieu de courir en Italie, ou quelque autre part,
ceux qui se destinent à faire des Portraits devroient
s’y apliquer en Angleterre. C’est là où ils doivent se
rendre de Hollande, de France, d’Italie, d’Allemagne
&c. comme celui qui veut s’adonner à toute autre
sorte de Peinture doit l’exercer dans les Lieux où elle
est arrivée à sa plus haute perfection. On dit que la
Bienheureuse Vierge descendit du Ciel & se présenta
devant S. LUC, afin qu’il la tirât au naturel : J’ose
avancer que, si l’envie lui prenoit d’avoir un autre de
ses Portraits, elle viendroit en Angleterre ; & je
ne doute pas que le Chevalier1Godefroi Kneller, qui est aujourd’hui le
Président de votre Academie, ne s’en aquitât mieux eu
égard aux progrès qu’il a faits depuis son arrivée dans
ce Roïaume, qu’aucun Etranger qu’il y ait au Monde. Je
suis avec tout le respect imaginable, &c. »
1Il est Allemand, nativ de Lubeck, & il passa en Angleterre ver la fin du regne de CHARLES II.