Référence bibliographique: Anonym (Éd.): "LXIII. Discours", dans: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\063 (1723), pp. 395-399, édité dans: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Éd.): Les "Spectators" dans le contexte international. Édition numérique, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1455 [consulté le: ].


Niveau 1►

LXIII. Discours

Citation/Devise► Quid dignum tanto feret hic promissor hiatu ?

Hor. A. P. v. 138.

Qu’est-ce que celui ci exécutera qui réponde à de si magnifiques promesses ? ◀Citation/Devise

Metatextualité► Des mesures que l’Auteur veut prendre pour renouveller sa Coterie. ◀Metatextualité

Niveau 2► Depuis le dérangement survenu à la Coterie, dont je me suis déclaré sou-[396]vent un des Membres, plusieurs Personnes me sollicitent par des Lettres, des Requêtes & des Recommandations, à les nommer lors qu’on en viendra à un nouveau choix. J’ai même sujet de me plaindre de ce qu’on a mis en usage, à cette occasion, diverses pratiques sourdes & indirectes. Un certain Gentilhomme de la Campagne n’eut pas plûtôt apris la mort du Chevalier De Coverley, qu’il mit en perce toute sa Biere forte, pour l’emploier à gagner les voix du tiers & du quart. D’ailleurs il m’écrivit que, si je voulois le faire choisir à la place du défunt, il m’envoïeroit un Barril de la plus excellente Biere du Mois d’Octobre que j’eusse bû de ma vie. Les Dames sont fort en peine de savoir qui je nommerai à la place de Mr. Honeycomb. Quelques-uns croient à la verité que ce Gentilhomme ne prenoit pas leurs intérêts assez à cœur ; & c’est pour cela même qu’elles souhaiteroient avoir dans notre Coterie une Personne de leur Sexe qui les y représentât. Un Citoïen, qui cache son Nom sous les deux lettres Y. Z. , m’écrit qu’il a vingt & une Action dans la Compagnie d’Afrique, & il m’ofre cette une qui fait le nombre impair, si je veux l’aider à obtenir la place du Chevalier Freeport ; ce qui serviroit beaucoup, à ce qu’il s’imagine, à relever le crédit de ce Fonds-là. J’ai plusieurs Lettres de ceux qui aspirent à succéder au Capitaine Sentry, datées du Caffe de Jeannete Man, & d’autres écri-[397]tes d’un Caffé proche de St. Paul, que me viennent de ceux qui voudroient obtenir la place vacante par la mort de mon illustre Ami le Théologien, que je ne saurois me rapeller sans une grande véneration.

Après avoir bien pesé toutes ces démarches, avec les Remontrances que l’on m’a faites là-dessus ; après avoir réfléchi sur la haine que je m’attirerois si la nomination des nouveaux Membres venoit à dépendre de moi seul ; pour éviter les reproches d’injustice, de partialité de corruption, & de telles autres qualitez que j’ai en horreur, dont on ne manquerait pas de me noircir, j’ai formé le Plan que vous allez voir.

J’ai résolu d’expedier des Ordres par écrit à toutes les Coteries qui se trouvent dans les Villes de Londres & d’Westminster, afin que chacune d’elles choisisse le plus digne Membre de son Corps, & qu’elle m’en remette le Nom avant Notre Dame du Mois de Mars, auquel tems j’en viendrai à une décision finale.

J’ai par-là tout sujet de me flater que la Coterie, sur laquelle je présiderai, sera la fleur & la quintessence de toutes les autres. Je n’ai communiqué ce Projet qu’à un seul de mes intimes Amis, que j’ai loué deux ou trois fois pour son heureux talent à forger des Quolibets. La seule objection qu’il y trouve est, que je m’attirerai des Ennemis si je m’arroge un tel Despotisme, & que mes Envieux, au lieu de me donner le titre ordinaire de Specateur, m’apelle-[398]ront peut-être le Chef des Conteurs.

Mais pour revenir à mon dessein, tout le monde sait que j’ai paru d’abord, dans cet Ouvrage, sous le Caractere d’un Homme taciturne ; & il me semble de l’avoir si bien soutenu, que je ne croi pas avoir lâché trois Périodes dans l’espace de presque deux années consécutives. Je me plais tant aux Monosyllabes, que, dans les Conversations que j’ai raportées des autres, je n’y ai guére mis de mon crû qu’un Oui ou qu’un Non. De sorte que mes Lecteurs ont ainsi perdu quantité de bonnes choses que j’avois dans l’Esprit, & que je n’ai pas voulu mettre au jour.

Quoi qu’il en soit, pour diversifier mon Caractere, & faire voir au monde que je puis bien parler quand il me plaît, j’ai résolu de babiller tout mon soûl dans la nouvelle Coterie que je vais établir. Mais, afin d’y procéder avec toute la régularité possible, je veux que, dès le premier rendez-vous qu’elle aura, on m’y ouvre la bouche dans toutes les formes requises, & qu’on y suive un certain Rituel que j’ai par devers moi, où sont contenues toutes les Cérémonies qui se pratiquent à l’ouverture de la bouche d’un Cardinal. J’ai aussi examiné les anciens Formulaires que Pythagore observoit lors qu’un de ses Disciples obtenoit la liberté de parler, après avoir fait son Aprentissage du Silence. D’ailleurs, puis que mon Nom a déjà paru dans les Gazettes des Païs étrangers pour de [399] moindres occasions que celle-ci, je ne doute pas que, dans les premiers Avis qu’elles auront de la Grande Bretagne, elles n’anoncent à toute l’Europe que la bouche du Spectateur doit être ouverte le vingt-cinquiéme du Mois de Mars prochain. Peut-être qu’alors je publierai une Relation fort utile des procédures qu’on observera dans cette Solemnité & des Personnes qui s’y trouveront. Mais c’est à quoi je ne m’engage pas absolument.

O. ◀Niveau 2 ◀Niveau 1