Voyez ces mots citez par S. PAUL dans
les Τοῦ μὲν γὰρ γένος ἐσμέν. —— ——
« Il est fort à propos qu’en certaines occasions
extraordinaires de la vie, on fasse souvenir les Grands & les
Personnes d’un rang distingué, de leur naissance illustre & de
ce qu’elle exige d’eux ; afin que cette idée les éloigne de tout ce
qui est bas, lâche ou criminel, & les anime à des actions
louables. C’est ainsi que la
C’est pour cela même, si je ne me trompe, que, dans quelques-uns de
vos Discours, vous avez défendu la dignité de la Nature Humaine. Mais vous savez
bien que tout le monde n’est pas d’accord là-dessus, puis qu’il y a
des Auteurs qui en ont une tout autre idée, & que l’on a écrit
des Livres, en forme de Maximes, pour montrer Italiens apellent caracaturas, dont
l’art consiste à y laisser, au milieu des proportions disloquées
& des traits chargez, quelque ressemblance qui distingue la
Personne ; mais d’une telle maniere, que la Beauté la plus agréable
y paroit le Monstre le plus afreux.
On peut dire que c’est manquer de bonne foi de mettre ainsi à niveau les plus honnêtes Gens avec les plus infames, & de vouloir dégrader toute L’Espece pour les fautes des Particuliers. C’est le moïen d’empêcher non-seulement qu’on ait bonne opinion des autres, mais qu’on ait pour soi-même ce respect, qui est le grand préservative de l’Innocence, & l’ame de la Vertu.
J’avouë qu’il y a dans l’Homme un mélange étonnant de Beauté & de
Laideur, de Sagesse & de Folie, de Vertu & de Vice : Un
pareil contraste se voit dans un nombre infini de Personnes, &
chaque Individu est, à certains égards, ou en certaines occasions,
si opposé à lui-même, que l’Homme paroit la plus inconstante &
la plus déreglée Créature de l’Univers. Ainsi la Question, en fait
de Morale, sur la dignité de la Nature Humaine, ressemble, du
premier coup d’œuil, à une de ces Questions épineuses de la
Physique, où les Arguments de l’un & de l’autre côté paroissent
être d’une égale force. Mais, pour avoir une juste
Pensées Chap. XXIII. Il est dangereux, dit-il, de trop faire
voir à l’Homme combien il est égale aux bêtes, sans lui montrer
sa grandeur. Il est encore dangereux de lui faire trop voir sa
grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui
laisser ignorer l’un & l’autre. Mais il est très-avantageux
de lui represanter l’un & l’autre.
Juifs saluoient leur Rois, en ces
termes : […] DAN. II. 4
&c. O Roi, vis éternellement peut être
adressée au plus cherit & au plus méprisé de tous les Hommes,
malgré toutes les calamitez & les disgraces dont il est
environné. Quiconque croit l
Cette Réflexion me conduit naturelle- Voyez le V. Disc. Du III
Tome. j’ai touché dans une de mes Lettres
précédentes, & je ne puis que goûter un vrai plaisir à me
rappeler ce que
Françoise, De
107.116. Seconde Edit de Paris en
1698. Quant à l’origine
éternelle des Ames, dit Caton, je ne voi
pas qu’on en puisse douter, s’il est vrai que les Hommes
viennent au Monde munis d’un grand nombre de con-noissances. Or une grande marque que
cela est ainsi, c’est la facilité & la promptitude avec
laquelle les Enfans aprennent des Arts très-difficiles, & où
il y a une infinité de choses à comprendre ; ce qui donne lieu
de croire qu’elles ne leur sont pas nouvelles, & qu’en les
leur aprenant, on ne fait que leur en rapeller la mémoire. C’est
ce que nous aprend notre bon Ami
Je puis ajouter, à ce que je viens de dire, le
discours que le premier Cyrus fit à ses Enfans sur le point de
mourir, & qui est raporté par Xenophon. leur
dit-il, que je ne sois plus rien, ou que je ne sois nulle part,
quand je vous aurai quitez. Car dans le tems même que j’etois avec
vous, vous ne voiïez point mon Esprit mais ce que me voiïez faire
vous faisoit penser qu’il y en avoit un dans mon Corps. Ne doutez
donc point que cet Esprit ne subsiste, après même qu’il en sera
séparé, quoi qu’il ne se manifeste plus par aucune action. Car
rendroit-on aux grands Hommes les honneurs qu’on leur rend après
leur mort, si leur Esprit étoit sans aucune action qui pût en faire
durer la mémoire. Pour moi, je n’ai jamais pû me persuader, que nos
Esprits ne vivent qu’autant qu’ils sont dans nos Corps, & qu’ils
meurent quand ils en sortent, ni qu’ils demeurent dépourvûs
d’intelligence & de sagesse, lors qu’ils sont dégagez
Voilà ce que disoit
Cyrus
sur le point de mourir. Mais, si vous le voulez
bien, revenons de chez les Etrangers à ce que nous trouvons
parmi nous. Jamais on ne me persuadera, mon cher Scipion, que ni votre
Pere,
Paul Emile, ni vos deux
ayeuls,
Paul & Scipion
l’Africain, ni le Pere de celui-ci, ni son Oncle,
ni tant d’autres grands Hommes, dont il n’est pas besoin de
faire le dénombrement, eussent entrepris tant de grandes choses,
dont la posterité conserveroit la mémoire, s’ils n’eussent vû
clairement, que l’avenir, même le plus éloigné ne les regardoit
pas moins que le present. Et pour me vanter aussi à mon tour,
selon la coûtume des Viellards, croyez-vous que j’eusse
travaillé jour & nuit comme j’ai fait, & à la Guerre
& dans l’intérieur de la République, si la gloire de mes
travaux eût dû finir avec ma vie ? N’aurois-je pas sans
comparaison mieux fait de la passer dans le repos, sans
m’embarrasser d’aucune sorte d’affaire ? Mais, mon Ame,
s’élevant en quelque sorte au-dessus du tems que j’avois à
vivre, a toûjours porté ses vûes jusqu’à la posterité ; &
j’ai toûjours compté que ce seroit après la fin de cette vie
mortelle, que je serois le plus vivant. C’est ainsi que tous les
grands Hommes comptent ; & si l’Ame n’étoit immortelle, ils
ne feroit pas tant d’éforts pour arriver à
l’immortalité.
Mais de plus, d’où vient que les plus sages sont
ceux qui prennent la mort la plus en gré ; & que plus on est
dépourvû de sagesse, plus on est faché de mourir ? N’est-ce pas
que plus l’Esprit a d’étendue & de lumiere, plus il voit
clairement que la mort n’est qu’un passage à quelque chose de
meilleur ; & que moins il en a, moins il le voit ? Pour moi,
je brûle d’ardeur de me rejoindre à vos Peres, pour qui j’ai eu
tant d’amour & de véneration ; & non seulement à
ces grands Hommes que j’ai connus, mais à ceux
même dont j’ai entendu parler, & dont j’ai lû ou écrit
moi-même les actions. Je vais donc vers eux avec tant de joie,
qu’on auroit peine à me retenir, & on ne me feroit pas
plaisir de me refondre, comme
Pelias, pour me
renouveller & me faire recommencer à vivre . . . O
l’heureux jour, que celui où je sortirai de cette foule impure,
& corrompue, pour me rejoindre à cette divine & heureuse
troupe de grandes Ames, qui ont quité la Terre avant moi ? J’y
trouverai, non seulement ces grands Hommes dont j’ai parlé ;
mais encore mon cher
Caton, que je puis dire
avoir été un des meilleurs Hommes, du meilleur naturel, &
des plus fidèles à ses devoirs qu’on ait jamais vûs. J’ai mis
son corps sur le bucher, au lieu qu’il auroit dû mettre le mien.
Mais son Ame ne m’a point quité ; & sans me perdre de vûe,
il n’a fait que me devancer dans un Pays, où il voyoit que je le
rejoindrois bientôt. Si j’ai soutenu la perte d’un tel Fils avec
quelque fermeté, ce n’est pas que je n’en fusse touché jusqu’au
vif, mais je me suis consolé par la pensée que nous n’étions pas
séparez pour long-tems.
Je suis &c. »