LVII. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Barbara Müllner Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 17.02.2014 info:fedora/o:mws.2591 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome V. Paris: Etienne Papillon 1723, 356-363, Le Spectateur ou le Socrate moderne 5 057 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie France 2.0,46.0

LVII. Discours

Voyez ces mots citez par S. PAUL dans les Art. des Apôt. Chap. XVII. 2B. Τοῦ μὲν γὰρ γένος ἐσμέν. —— ——Car c’est de lui que nous tirons notre origine.

De la Nature Humaine, & de l’Immortalité de l’Ame.

Mr. le Spectateur,

« Il est fort à propos qu’en certaines occasions extraordinaires de la vie, on fasse souvenir les Grands & les Personnes d’un rang distingué, de leur naissance illustre & de ce qu’elle exige d’eux ; afin que cette idée les éloigne de tout ce qui est bas, lâche ou criminel, & les anime à des actions louables. C’est ainsi que la Noblesse devient un principe de Vertu ; & qu’elle produit le Mérite, dont elle a été d’abord la récompense.

C’est pour cela même, si je ne me trompe, que, dans quelques-uns de vos Discours, vous avez défendu la dignité de la Nature Humaine. Mais vous savez bien que tout le monde n’est pas d’accord là-dessus, puis qu’il y a des Auteurs qui en ont une tout autre idée, & que l’on a écrit des Livres, en forme de Maximes, pour montrer C’est le titre d’un Ouvrage, composé par Mr. ESPRIT. la fausseté des Vertus Humaines. Il semble que ces réflexions tiennent presque toûjours de l’humeur & du caractere de ceux qui les font. Les Politiques attribuent les plus belles actions des Hommes à l’artifice & à la ruse : D’autres, chagrins & desolez d’avoir essuïé mille rebufades, ou mauvais traitemens, prennent les vapeurs de leur Rate pour les lumieres de la Philosophie : Ceux qui sont plongez dans le Vice, & qui se trouvent incapables de se distinguer par quelque bon endroit, cherchent à ruïner jusques aux apparences du vrai Mérite, qui semble leur reprocher le desordre où ils vivent : Enfin les Esprits satiriques enveniment tout, & nous le dépeignent sous les couleurs les plus noires. De toutes ces diférentes mains, nous avons des Portraits de la Nature Humaine qui ressemblent à ceux que les Italiens apellent caracaturas, dont l’art consiste à y laisser, au milieu des proportions disloquées & des traits chargez, quelque ressemblance qui distingue la Personne ; mais d’une telle maniere, que la Beauté la plus agréable y paroit le Monstre le plus afreux.

On peut dire que c’est manquer de bonne foi de mettre ainsi à niveau les plus honnêtes Gens avec les plus infames, & de vouloir dégrader toute L’Espece pour les fautes des Particuliers. C’est le moïen d’empêcher non-seulement qu’on ait bonne opinion des autres, mais qu’on ait pour soi-même ce respect, qui est le grand préservative de l’Innocence, & l’ame de la Vertu.

J’avouë qu’il y a dans l’Homme un mélange étonnant de Beauté & de Laideur, de Sagesse & de Folie, de Vertu & de Vice : Un pareil contraste se voit dans un nombre infini de Personnes, & chaque Individu est, à certains égards, ou en certaines occasions, si opposé à lui-même, que l’Homme paroit la plus inconstante & la plus déreglée Créature de l’Univers. Ainsi la Question, en fait de Morale, sur la dignité de la Nature Humaine, ressemble, du premier coup d’œuil, à une de ces Questions épineuses de la Physique, où les Arguments de l’un & de l’autre côté paroissent être d’une égale force. Mais, pour avoir une juste idée là-dessus, j’emprunterai ici une excellente Réflexion de Mr. Pascal, qui met la chose dans tout son jour.

Voyez les Pensées Chap. XXIII. Il est dangereux, dit-il, de trop faire voir à l’Homme combien il est égale aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui faire trop voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un & l’autre. Mais il est très-avantageux de lui represanter l’un & l’autre. Quelques imperfections qu’il y ait dans notre Nature, la Religion & la Vertu servent à les corriger, autant qu’il est possible dans l’état où nous sommes : D’ailleurs, ce n’est pas un petit encouragement pour des Ames bien nées de penser, que nous en serons tout à-fait délivrez à la sortie de ces Corps mortels. Cette manière solemnelle & sublime, dont les Juifs saluoient leur Rois, en ces termes : […] DAN. II. 4 &c. O Roi, vis éternellement peut être adressée au plus cherit & au plus méprisé de tous les Hommes, malgré toutes les calamitez & les disgraces dont il est environné. Quiconque croit l’immortalité de l’ame n’a pas besoin d’une méilleure preuve pour la dignité de sa Nature :, ni d’un plus fort motif pour l’engager à la pratique de la Vertu.

Cette Réflexion me conduit naturelle-ment à un Sujet que Voyez le V. Disc. Du III Tome. j’ai touché dans une de mes Lettres précédentes, & je ne puis que goûter un vrai plaisir à me rappeler ce que Ciceron a dit là-dessus dans la clôture de son Livre intitulé, De la Viellesse. Tous ceux qui ont lû cet Ouvrage se peuvent souvenir que le vieux Caton y est representé comme celui qui parle, ou qui enseigne, & que Scipion & Lelius y jouënt le rôle de ses Disciples, ou de ses Auditeurs. Du bord de la fosse, où il avoit déjà un pied, ce vénérable Personnage se transporte, pour ainsi dire, dans une Vie à venir, & s’éleve à la contemplation de cette partie immortelle de lui-même, & à son existence après la Mort, Voyez le XVIII. Disc. Du I. Tome.puis que vous avez publié quelques Argumens pour l’immortalité de l’Ame, tirez des lumieres de la Raison & de celles du Christianisme, je croi que vos Lecteurs ne seront pas fâchez de voir briller cette grande Verité dans les Ecrîts de l’Orateur Romain.

Voyez la Traduction de Mr. DU BOIS de l’Académie Françoise, De 107.116. Seconde Edit de Paris en 1698. Quant à l’origine éternelle des Ames, dit Caton, je ne voi pas qu’on en puisse douter, s’il est vrai que les Hommes viennent au Monde munis d’un grand nombre de con-noissances. Or une grande marque que cela est ainsi, c’est la facilité & la promptitude avec laquelle les Enfans aprennent des Arts très-difficiles, & où il y a une infinité de choses à comprendre ; ce qui donne lieu de croire qu’elles ne leur sont pas nouvelles, & qu’en les leur aprenant, on ne fait que leur en rapeller la mémoire. C’est ce que nous aprend notre bon Ami Platon.

Je puis ajouter, à ce que je viens de dire, le discours que le premier Cyrus fit à ses Enfans sur le point de mourir, & qui est raporté par Xenophon. Gardez-vous bien de croire, mes chers Enfans, leur dit-il, que je ne sois plus rien, ou que je ne sois nulle part, quand je vous aurai quitez. Car dans le tems même que j’etois avec vous, vous ne voiïez point mon Esprit mais ce que me voiïez faire vous faisoit penser qu’il y en avoit un dans mon Corps. Ne doutez donc point que cet Esprit ne subsiste, après même qu’il en sera séparé, quoi qu’il ne se manifeste plus par aucune action. Car rendroit-on aux grands Hommes les honneurs qu’on leur rend après leur mort, si leur Esprit étoit sans aucune action qui pût en faire durer la mémoire. Pour moi, je n’ai jamais pû me persuader, que nos Esprits ne vivent qu’autant qu’ils sont dans nos Corps, & qu’ils meurent quand ils en sortent, ni qu’ils demeurent dépourvûs d’intelligence & de sagesse, lors qu’ils sont dégagez d’un Corps qui n’a par lui-même ni sens, ni raison. Je croi au contraire que, quand l’Esprit dégagé de la matiere se trouve dans toute la pureté & toute la simplicité de sa nature, c’est alors qu’il a le plus de lumiere & de sagesse. A la mort, on voit ce que deviennent les parties dont nos Corps sont composez ; & elles retournent d’où elles ont été tirées. Mais l’Esprit, qui est d’une autre nature, ne se voit, ni quand il est dans le Corps, ni quand il en sort. Rien n’est plus semblable à la Mort que le Sommeil. Or c’est pendant le sommeil que l’Esprit fait le mieux voir qu’il est quelque chose de divin. Car c’est alors qu’étant moins occupé du Corps, il perce dans l’avenir, & y découvre une infinité de choses. Que sera-ce donc quand il en sera entierement dégagé ? Cela étant donc ainsi, il est de votre devoir de m’honorer comme un Dieu après ma mort. Mais quand l’Esprit mourroit avec le Corps, toûjours le respect que vous devez aux Dieux, qui gouvernent l’Univers, & qui le tiennent dans un si bel ordre, dévroit-il vous obliger de conserver des sentimens de tendresse & de vénération pour ma mémoire.

Voilà ce que disoit Cyrus sur le point de mourir. Mais, si vous le voulez bien, revenons de chez les Etrangers à ce que nous trouvons parmi nous. Jamais on ne me persuadera, mon cher Scipion, que ni votre Pere, Paul Emile, ni vos deux ayeuls, Paul & Scipion l’Africain, ni le Pere de celui-ci, ni son Oncle, ni tant d’autres grands Hommes, dont il n’est pas besoin de faire le dénombrement, eussent entrepris tant de grandes choses, dont la posterité conserveroit la mémoire, s’ils n’eussent vû clairement, que l’avenir, même le plus éloigné ne les regardoit pas moins que le present. Et pour me vanter aussi à mon tour, selon la coûtume des Viellards, croyez-vous que j’eusse travaillé jour & nuit comme j’ai fait, & à la Guerre & dans l’intérieur de la République, si la gloire de mes travaux eût dû finir avec ma vie ? N’aurois-je pas sans comparaison mieux fait de la passer dans le repos, sans m’embarrasser d’aucune sorte d’affaire ? Mais, mon Ame, s’élevant en quelque sorte au-dessus du tems que j’avois à vivre, a toûjours porté ses vûes jusqu’à la posterité ; & j’ai toûjours compté que ce seroit après la fin de cette vie mortelle, que je serois le plus vivant. C’est ainsi que tous les grands Hommes comptent ; & si l’Ame n’étoit immortelle, ils ne feroit pas tant d’éforts pour arriver à l’immortalité.

Mais de plus, d’où vient que les plus sages sont ceux qui prennent la mort la plus en gré ; & que plus on est dépourvû de sagesse, plus on est faché de mourir ? N’est-ce pas que plus l’Esprit a d’étendue & de lumiere, plus il voit clairement que la mort n’est qu’un passage à quelque chose de meilleur ; & que moins il en a, moins il le voit ? Pour moi, je brûle d’ardeur de me rejoindre à vos Peres, pour qui j’ai eu tant d’amour & de véneration ; & non seulement à ces grands Hommes que j’ai connus, mais à ceux même dont j’ai entendu parler, & dont j’ai lû ou écrit moi-même les actions. Je vais donc vers eux avec tant de joie, qu’on auroit peine à me retenir, & on ne me feroit pas plaisir de me refondre, comme Pelias, pour me renouveller & me faire recommencer à vivre  . . . O l’heureux jour, que celui où je sortirai de cette foule impure, & corrompue, pour me rejoindre à cette divine & heureuse troupe de grandes Ames, qui ont quité la Terre avant moi ? J’y trouverai, non seulement ces grands Hommes dont j’ai parlé ; mais encore mon cher Caton, que je puis dire avoir été un des meilleurs Hommes, du meilleur naturel, & des plus fidèles à ses devoirs qu’on ait jamais vûs. J’ai mis son corps sur le bucher, au lieu qu’il auroit dû mettre le mien. Mais son Ame ne m’a point quité ; & sans me perdre de vûe, il n’a fait que me devancer dans un Pays, où il voyoit que je le rejoindrois bientôt. Si j’ai soutenu la perte d’un tel Fils avec quelque fermeté, ce n’est pas que je n’en fusse touché jusqu’au vif, mais je me suis consolé par la pensée que nous n’étions pas séparez pour long-tems.

Je suis &c. »

LVII. Discours Voyez ces mots citez par S. PAUL dans les Art. des Apôt. Chap. XVII. 2B.Τοῦ μὲν γὰρ γένος ἐσμέν. —— ——Car c’est de lui que nous tirons notre origine. De la Nature Humaine, & de l’Immortalité de l’Ame. Mr. le Spectateur, « Il est fort à propos qu’en certaines occasions extraordinaires de la vie, on fasse souvenir les Grands & les Personnes d’un rang distingué, de leur naissance illustre & de ce qu’elle exige d’eux ; afin que cette idée les éloigne de tout ce qui est bas, lâche ou criminel, & les anime à des actions louables. C’est ainsi que la Noblesse devient un principe de Vertu ; & qu’elle produit le Mérite, dont elle a été d’abord la récompense. C’est pour cela même, si je ne me trompe, que, dans quelques-uns de vos Discours, vous avez défendu la dignité de la Nature Humaine. Mais vous savez bien que tout le monde n’est pas d’accord là-dessus, puis qu’il y a des Auteurs qui en ont une tout autre idée, & que l’on a écrit des Livres, en forme de Maximes, pour montrer C’est le titre d’un Ouvrage, composé par Mr. ESPRIT.la fausseté des Vertus Humaines. Il semble que ces réflexions tiennent presque toûjours de l’humeur & du caractere de ceux qui les font. Les Politiques attribuent les plus belles actions des Hommes à l’artifice & à la ruse : D’autres, chagrins & desolez d’avoir essuïé mille rebufades, ou mauvais traitemens, prennent les vapeurs de leur Rate pour les lumieres de la Philosophie : Ceux qui sont plongez dans le Vice, & qui se trouvent incapables de se distinguer par quelque bon endroit, cherchent à ruïner jusques aux apparences du vrai Mérite, qui semble leur reprocher le desordre où ils vivent : Enfin les Esprits satiriques enveniment tout, & nous le dépeignent sous les couleurs les plus noires. De toutes ces diférentes mains, nous avons des Portraits de la Nature Humaine qui ressemblent à ceux que les Italiens apellent caracaturas, dont l’art consiste à y laisser, au milieu des proportions disloquées & des traits chargez, quelque ressemblance qui distingue la Personne ; mais d’une telle maniere, que la Beauté la plus agréable y paroit le Monstre le plus afreux. On peut dire que c’est manquer de bonne foi de mettre ainsi à niveau les plus honnêtes Gens avec les plus infames, & de vouloir dégrader toute L’Espece pour les fautes des Particuliers. C’est le moïen d’empêcher non-seulement qu’on ait bonne opinion des autres, mais qu’on ait pour soi-même ce respect, qui est le grand préservative de l’Innocence, & l’ame de la Vertu. J’avouë qu’il y a dans l’Homme un mélange étonnant de Beauté & de Laideur, de Sagesse & de Folie, de Vertu & de Vice : Un pareil contraste se voit dans un nombre infini de Personnes, & chaque Individu est, à certains égards, ou en certaines occasions, si opposé à lui-même, que l’Homme paroit la plus inconstante & la plus déreglée Créature de l’Univers. Ainsi la Question, en fait de Morale, sur la dignité de la Nature Humaine, ressemble, du premier coup d’œuil, à une de ces Questions épineuses de la Physique, où les Arguments de l’un & de l’autre côté paroissent être d’une égale force. Mais, pour avoir une juste idée là-dessus, j’emprunterai ici une excellente Réflexion de Mr. Pascal, qui met la chose dans tout son jour. Voyez les Pensées Chap. XXIII. Il est dangereux, dit-il, de trop faire voir à l’Homme combien il est égale aux bêtes, sans lui montrer sa grandeur. Il est encore dangereux de lui faire trop voir sa grandeur sans sa bassesse. Il est encore plus dangereux de lui laisser ignorer l’un & l’autre. Mais il est très-avantageux de lui represanter l’un & l’autre. Quelques imperfections qu’il y ait dans notre Nature, la Religion & la Vertu servent à les corriger, autant qu’il est possible dans l’état où nous sommes : D’ailleurs, ce n’est pas un petit encouragement pour des Ames bien nées de penser, que nous en serons tout à-fait délivrez à la sortie de ces Corps mortels. Cette manière solemnelle & sublime, dont les Juifs saluoient leur Rois, en ces termes : […]DAN. II. 4 &c.O Roi, vis éternellement peut être adressée au plus cherit & au plus méprisé de tous les Hommes, malgré toutes les calamitez & les disgraces dont il est environné. Quiconque croit l’immortalité de l’ame n’a pas besoin d’une méilleure preuve pour la dignité de sa Nature :, ni d’un plus fort motif pour l’engager à la pratique de la Vertu. Cette Réflexion me conduit naturelle-ment à un Sujet que Voyez le V. Disc. Du III Tome.j’ai touché dans une de mes Lettres précédentes, & je ne puis que goûter un vrai plaisir à me rappeler ce que Ciceron a dit là-dessus dans la clôture de son Livre intitulé, De la Viellesse. Tous ceux qui ont lû cet Ouvrage se peuvent souvenir que le vieux Caton y est representé comme celui qui parle, ou qui enseigne, & que Scipion & Lelius y jouënt le rôle de ses Disciples, ou de ses Auditeurs. Du bord de la fosse, où il avoit déjà un pied, ce vénérable Personnage se transporte, pour ainsi dire, dans une Vie à venir, & s’éleve à la contemplation de cette partie immortelle de lui-même, & à son existence après la Mort, Voyez le XVIII. Disc. Du I. Tome.puis que vous avez publié quelques Argumens pour l’immortalité de l’Ame, tirez des lumieres de la Raison & de celles du Christianisme, je croi que vos Lecteurs ne seront pas fâchez de voir briller cette grande Verité dans les Ecrîts de l’Orateur Romain. Voyez la Traduction de Mr. DU BOIS de l’Académie Françoise, De 107.116. Seconde Edit de Paris en 1698.Quant à l’origine éternelle des Ames, dit Caton, je ne voi pas qu’on en puisse douter, s’il est vrai que les Hommes viennent au Monde munis d’un grand nombre de con-noissances. Or une grande marque que cela est ainsi, c’est la facilité & la promptitude avec laquelle les Enfans aprennent des Arts très-difficiles, & où il y a une infinité de choses à comprendre ; ce qui donne lieu de croire qu’elles ne leur sont pas nouvelles, & qu’en les leur aprenant, on ne fait que leur en rapeller la mémoire. C’est ce que nous aprend notre bon Ami Platon. Je puis ajouter, à ce que je viens de dire, le discours que le premier Cyrus fit à ses Enfans sur le point de mourir, & qui est raporté par Xenophon. Gardez-vous bien de croire, mes chers Enfans, leur dit-il, que je ne sois plus rien, ou que je ne sois nulle part, quand je vous aurai quitez. Car dans le tems même que j’etois avec vous, vous ne voiïez point mon Esprit mais ce que me voiïez faire vous faisoit penser qu’il y en avoit un dans mon Corps. Ne doutez donc point que cet Esprit ne subsiste, après même qu’il en sera séparé, quoi qu’il ne se manifeste plus par aucune action. Car rendroit-on aux grands Hommes les honneurs qu’on leur rend après leur mort, si leur Esprit étoit sans aucune action qui pût en faire durer la mémoire. Pour moi, je n’ai jamais pû me persuader, que nos Esprits ne vivent qu’autant qu’ils sont dans nos Corps, & qu’ils meurent quand ils en sortent, ni qu’ils demeurent dépourvûs d’intelligence & de sagesse, lors qu’ils sont dégagez d’un Corps qui n’a par lui-même ni sens, ni raison. Je croi au contraire que, quand l’Esprit dégagé de la matiere se trouve dans toute la pureté & toute la simplicité de sa nature, c’est alors qu’il a le plus de lumiere & de sagesse. A la mort, on voit ce que deviennent les parties dont nos Corps sont composez ; & elles retournent d’où elles ont été tirées. Mais l’Esprit, qui est d’une autre nature, ne se voit, ni quand il est dans le Corps, ni quand il en sort. Rien n’est plus semblable à la Mort que le Sommeil. Or c’est pendant le sommeil que l’Esprit fait le mieux voir qu’il est quelque chose de divin. Car c’est alors qu’étant moins occupé du Corps, il perce dans l’avenir, & y découvre une infinité de choses. Que sera-ce donc quand il en sera entierement dégagé ? Cela étant donc ainsi, il est de votre devoir de m’honorer comme un Dieu après ma mort. Mais quand l’Esprit mourroit avec le Corps, toûjours le respect que vous devez aux Dieux, qui gouvernent l’Univers, & qui le tiennent dans un si bel ordre, dévroit-il vous obliger de conserver des sentimens de tendresse & de vénération pour ma mémoire. Voilà ce que disoit Cyrus sur le point de mourir. Mais, si vous le voulez bien, revenons de chez les Etrangers à ce que nous trouvons parmi nous. Jamais on ne me persuadera, mon cher Scipion, que ni votre Pere, Paul Emile, ni vos deux ayeuls, Paul & Scipion l’Africain, ni le Pere de celui-ci, ni son Oncle, ni tant d’autres grands Hommes, dont il n’est pas besoin de faire le dénombrement, eussent entrepris tant de grandes choses, dont la posterité conserveroit la mémoire, s’ils n’eussent vû clairement, que l’avenir, même le plus éloigné ne les regardoit pas moins que le present. Et pour me vanter aussi à mon tour, selon la coûtume des Viellards, croyez-vous que j’eusse travaillé jour & nuit comme j’ai fait, & à la Guerre & dans l’intérieur de la République, si la gloire de mes travaux eût dû finir avec ma vie ? N’aurois-je pas sans comparaison mieux fait de la passer dans le repos, sans m’embarrasser d’aucune sorte d’affaire ? Mais, mon Ame, s’élevant en quelque sorte au-dessus du tems que j’avois à vivre, a toûjours porté ses vûes jusqu’à la posterité ; & j’ai toûjours compté que ce seroit après la fin de cette vie mortelle, que je serois le plus vivant. C’est ainsi que tous les grands Hommes comptent ; & si l’Ame n’étoit immortelle, ils ne feroit pas tant d’éforts pour arriver à l’immortalité. Mais de plus, d’où vient que les plus sages sont ceux qui prennent la mort la plus en gré ; & que plus on est dépourvû de sagesse, plus on est faché de mourir ? N’est-ce pas que plus l’Esprit a d’étendue & de lumiere, plus il voit clairement que la mort n’est qu’un passage à quelque chose de meilleur ; & que moins il en a, moins il le voit ? Pour moi, je brûle d’ardeur de me rejoindre à vos Peres, pour qui j’ai eu tant d’amour & de véneration ; & non seulement à ces grands Hommes que j’ai connus, mais à ceux même dont j’ai entendu parler, & dont j’ai lû ou écrit moi-même les actions. Je vais donc vers eux avec tant de joie, qu’on auroit peine à me retenir, & on ne me feroit pas plaisir de me refondre, comme Pelias, pour me renouveller & me faire recommencer à vivre  . . . O l’heureux jour, que celui où je sortirai de cette foule impure, & corrompue, pour me rejoindre à cette divine & heureuse troupe de grandes Ames, qui ont quité la Terre avant moi ? J’y trouverai, non seulement ces grands Hommes dont j’ai parlé ; mais encore mon cher Caton, que je puis dire avoir été un des meilleurs Hommes, du meilleur naturel, & des plus fidèles à ses devoirs qu’on ait jamais vûs. J’ai mis son corps sur le bucher, au lieu qu’il auroit dû mettre le mien. Mais son Ame ne m’a point quité ; & sans me perdre de vûe, il n’a fait que me devancer dans un Pays, où il voyoit que je le rejoindrois bientôt. Si j’ai soutenu la perte d’un tel Fils avec quelque fermeté, ce n’est pas que je n’en fusse touché jusqu’au vif, mais je me suis consolé par la pensée que nous n’étions pas séparez pour long-tems. Je suis &c. »