Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LV. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\055 (1723), S. 341-349, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1444 [aufgerufen am: ].


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LV. Discours

Zitat/Motto► Spem longam reseces : —— ——
Hor. L. I. Ode XI. 7.

Renoncez à des esperances qui s’étendent trop loin. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Reflexions sur les vaines Esperances dés Hommes à l’égard des Biens temporels. ◀Metatextualität

Ebene 2► Metatextualität► J’ai déja traité, dans un de mes Discours1 , de l’Esperance en général; [342] celui-ci roulera sur l’Esperance vaine & ridicule à l’égard des Biens temporels, qui est une source inépuisable de chagrins & de calamitez dans la Vie humaine. ◀Metatextualität

Exemplum► Horace inculque souvent ce Précepte, Que nous ne devons former ici bas aucune Esperance trop vaste, ni pour une trop longue durée. ◀Exemplum La brieveté & l’incertitude de la Vie rend une telle Esperance vaine & déraisonnable. Le Tombeau est caché entre nous & l’Objet après lequel nous courons: Si un Homme vit assez long-tems pour jouïr d’un Bien qu’il souhaite avec ardeur, il y en a dix mille qui sont fauchez au milieu de leur poursuite.

Il arrive enconre malheureusement qu’une Esperance ne meurt pas plûtôt en nous, qu’une autre lui suscede & s’éleve à sa place. Nous nous imaginons que nous serions heureux & contents si nous pouvions obtenir tels ou tels aventages; mais soit à cause de leur vuide, ou de l’inquiétude naturelle de nos Esprits, nous ne sommes pas plûtôt arrivez à ce but, que nous étendons nos esperances à un autre. Nous trouvons toûjours de nouvelles Scènes & d’agréables Perspectives au-delà de celles qui nous paroissoient de loin & qui terminoient d’abord notre vûe.

Les Conséquences qui naissent de ces Reflexions se réduisent à celles-ci, que nous devons prendre garde que nos Esperances n’aillent pas trop loin; que nous devons bien peser les Objets où elles tendent, pour [343] savoir s’ils sont d’une telle nature qu’ils puissent raisonnablement nous procurer le fruit que nous atendons de leur jouïssance, & s’ils sont tels que nous soïons presque sûrs de les obtenir, en cas que notre vie s’étende jusques-là. Si nous esperons des choses trop éloignées par raport à la briéveté de nos jours, il peut arriver que la Mort nous enlevera au milieu de notre course après elles. Si nous esperons des choses, dont nous n’avons pas bien examiné la valeur, notre mortification será plus grande que le plaisir qui nous reviendra de leur jouïssance. Si nous esperons ce qui n’est pas dans notre pouvoir d’obtenir, nous agissons & nous pensons en vain, & nous rendons la Vie un Songe plus réel & une Ombre plus mince qu’elle n’est en effet.

La plûpart des malheures & des infortunes de la vie doivent leur origine au peu de soin qu’on a d’examiner l’un ou l’autre de ces Articles. Ce sont les Ecueils où les Amans fougueux échouent tous les jours, & sur lesquels le Banqueroutier, le Politique, le Chimiste & l’Homme à Projets ont fait naufrage dans tous les siècles. Ceux qui ont l’Imagintion vive & l’Esprit ambitieux négligent d’ordinaire les Biens de la Fortune qui sont à leur portée, & courent après quelque chose qui brille de loin à leur vûe; ils renoncent à un Bonheur solide & réel, pour ce qui est éclatant & chimérique; en un mot, ils méprisent un Bien qu’ils peuvent aquerir, pour ce qu’ils ne sauroient ja-[344]mais ateindre. L’Esperance bâtir ses Projets sur une longue Vie; elle court après certains points fixes & imaginaires de Bonheur; elle embrasse des impossibilitez; & par ce moïen elle plonge souvent les Hommes dans la Misere, la Ruïne & la Honte.

Metatextualität► Ce que je viens de dire peut servir de Moralité à un Conte Arabe, que Mr. Galland a traduit en François avec plusierus autres. Il y a une simplicité si naturelle, quoi qu’extravagante, que je ne doute pas que mes Lecteurs n’y trouvent autant de plaisir que j’y en ai trouvé moi-même, & que, s’ils viennent à reflechir sur les agréables Chimeres dont l’Esperance les a quelquefois repus, ils ne se croient Cousins germains de Vertier Persan. ◀Metatextualität

Allgemeine Erzählung► « 2 Alnaschar, à ce que nous dit le conte, fut un vrai paresseux durant la vie de son Pere; Mais, à sa mort, il n’en eut pas plûtôt hérité de cent Drachmes d’argent, qu’ils emploïa en Verres, en Bouteilles, & autres Piéces de Verrerie, qu’il acheta d’un Marchand en gros. Il mit le tout dans un Panier à jour, & loua une fort petite Boutique, où il s’assit, le Panier devant lui & le dos appuïé contre le mur, en attendant qu’on vînt achter de sa marchandise. Dans cette attitude, les yeux attachez sur [345] son Panier, il se mit à rêver, & dans sa Rêverie il prononça les paroles suivantes assez haut pour être entendu d’un Tailleur qu’il avoit pour Voisin: Ebene 3► Traum► Dialog► Ce Panier, dit-il, me coûte cens Drachmes, & c’est tout ce que j’ai au monde. J’en ferai bien deux cens Drachmes à le vendre en détail, & de ces deux cens Drachmes, que j’emploïerai encore en Verrerie, j’en ferai quatre cens. A continuer ainsi, j’amasserai à la longue quatre mille Drachmes. De quatre mille Drachmes, j’irai aisément à huit mille. Quand j’en aurai dix mille, j’abandonnerai aussitôt la Verrerie pour me faire Jouaillier. Je ferai commerce de Diamans, de Perles & de toute sorte de Pierreries. Possédant alors des richesses à souhait, j’acheterai une belle Maison, de grandes Terres, des Esclaves, des Eunuques, des Chevaux; je ferai bonne chere & du bruit dans le monde. Je ferai venir chez moi tout ce qui se trouve dans la Ville de Joueurs d’Instrumens, de Danseurs & de Danseuses. Je n’en demeurerai pas là, & j’amasserai, s’il plait à Dieu, jusqu’à cens mille Draches. Lors que je me verrai riche de cens mille Drachmes, je m’estimerai autant qu’un Prince ; & j’envoïerai demander en marriage la fille du Grand Visir, en faisant représenter à ce Ministre que j’aurai entendu dire des merveilles de la beauté, de la sagesse, del’esprit & de toutes les autres qualitez de sa fille, & enfin que je lui donnerai mille Piéces d’or pour la premiere nuit de nos nôces. Si la Visir étoit assez mal-ho- [346] nête pour me refuser la fille, ce qui ne sauroit arriver : j’irais l’enlever à sa barbe, & l’aménerois malgré lui chez moi.

D’abord que j’aurai épousé la fille du Grand Visir, je lui acheterai dix Eunuques noirs des plus jeunes & des plus bien faits. Je m’habillerai comme un Prince: & monté sur un beau cheval, qui aura una selle de fin or, avec une bousse d’étofe d’or relevée de Diamans & de Perles; j’irai par la Ville accompagné d’Esclaves devant & derriere moi, & me rendrai à l’Hôtel du Visir aux yeux des grands et des petits qui me feront de profondes réverances. En descendant chez le Visir au pié de son Escalier, je monterai au milieu de mes gens rangez en deux files, à droit & à gauche: & le Gran Visir, en me recevant comme son Gendre, me cédera sa place & se mettra au dessous de moi pour me faire plus d’honeur. Si cela arrive, comme je l’espere, deux de mes gens auront chacun una Bourse de mille pieces d’or que je leur aurai fait apporter. J’en prendrai une, & la lui présentant: Voilà, lui dirai je, les mille pieces d’or que j’ai promises pour la premiere nuit de mon mariage, & lui ofrant l’autre: Tenez, ajouterai-je, je vous en donne enconre autant, pour vous marquer que je suis homme de parole, & que je donne plus que je ne promets. Après une action comme celle-là, on ne parlera dans le monde que de ma générosité.

Je reviendrai chez moi avec la même pom-[347]pe. Ma Femme m’envoiera quelque Officier pour me complimenter sur la visite que j’aurai faite au Visir son pere; j’honorerai l’Officier d’une belle robe, & le renvoierai avec un riche présent. Si elle s’avise de m’en envoyer un, je ne l’accepterai pas, je congédierai le porteur. Je ne permettrai pas qu’elle sorte de son Apartement pour quelque cause que ce soit, que je n’en sois averti; & quand je voudrai bien y entrer, ce será d’une maniere qui lui imprimera du respect pour moi. Lors que je me retirerai le soir avec elle, je serai assis à la place d’honneur, où j’afecterai un air grave, sans tourner la tête à droit ou à gauche: Je parlerai peu; & pendant que ma Femme, belle comme la pleine Lune, demeurera debout devant moi avec tous ses atouts, je ne ferai pas semblant de la voir. Ses Femmes, qui seront autour d’elle, me diront: Notre cher Seigneur & Maître, voilà votre Epouse, votre humble Servante devant vous: elle attend que vous la caressiez, & elle est bien mortifiée de ce que vous ne daignez pas seulemente la regarder. Elle est fatiguée d’être si long-tems debout; dites-lui au moins de s’assoir. Mais je serai inéxorable à leur prieres; je lui tournerai le dos toute la nuit, & je ne lui dirai pas un seul mot. Le lendemain elle ne manquera pas de se pleindre de mes airs méprisans & de mon orgueuil à sa Mere, & j’en aurai la joie au cœur. Sa Mere viendra me trouver, me baisera les mains avec respect, [348] & me dira: Seigneur, je vous suplie de ne pas dédaigner de regarder ma Fille & de vous approcher d’elle. Je vous assûre qu’elle ne cherche qu’à vous plaire, & qu’elle vous aime de toute son ame. Mais ma Belle-Mere aura beau parler, je ne lui répondrai pas une syllabe, & demeurerai ferme dans ma gravité. Alors mon Epouse me présentera un Verre de vin, & me dira les larmes aux yeux: Mon Cœur, ma chere Ame, mon aimable Seigneur, je vous conjure, par les faveurs dont le Ciel vous comble, de me faire la grace de recevoir ce Verre de vin de la main de votre très-humble servante. Je me garderai bien de la regarder encore & de lui répondre. Mon charmant Epoux, continuera t-elle, en redoublant ses pleurs & en m’aprochant le Verre de la bouche, je ne cesserai pas que je n’aie obtenu que vous bûviez. Alors, fatigué de ses priéres, je lui lancerai un regard terrible, & lui donnerai un bon souflet sur la jouë, en la repoussant du pié si vigoureusement, qu’elle ira tomber bien loin au delà du Sofa. ◀Dialog ◀Traum ◀Ebene 3

Alnaschar étoit tellement absorbé dans ses Visions chimériques, qu’il representa l’action avec son pié, comme si elle eût été réelle; & par malheur il en frapa si rudement son Panier plein de Verrerie, qu’il le jetta du haut de sa Boutique dans la Rue, de maniere que toute cette Verrerie, qui étoit le fondament [349] de sa gandeur, fut brisée en mille morceaux. »

3 Typhon Sudouest. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 2

O. ◀Ebene 1

1C’est dans le XVI. de ce Vol.

2Voïez Les mille & une Nuit, Contes Arabes &c. Tome V pag. 80 &e. Edit. de la Have en 1706. & se trouve à Amsterdam chez les Freres Westein.

3C‘est un mot Grec, qui signifie un Orage subit & voilent, & dont les Levantins se servent encore aujourd’hui, en terme de Maxime. On l’apelle en François Tourbillon, Grain de Vent, ou Dragon de Vent.