Le Spectateur ou le Socrate moderne: LIV. Discours
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Nivel 1
LIV. Discours
Cita/Lema
Rarus enim fermè sensus
communis in illâ Fortunâ.
Juv. Sat. VIII. 73
Il est fort rare qu’on conserve le Sens commun dans une si haute fortune.Metatextualidad
Lettre de Mlle. Riche
sur la sote complaisance qu’on a pour les Filles de qualité,
& en particulier pour les belles & les riches.
Metatextualidad
Lettre de Mlle. Riche
sur la sote complaisance qu’on a pour les Filles de qualité,
& en particulier pour les belles & les riches.
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Carta/Carta al director
Mr. le Spectateur, Je
soûmets très humblement à vos sages reflexions tout ce
que vous venez de lire, & je suis, &c. »
Charlote Riche.
Retrato ajeno
« Je n’ai que dix neuf ans,
je suis Fille unique d’un Pere & d’une Mere fort
riches, & l’on m’a traitée jusques-ici avec une
indulgence qui n’a pas trop favorisé mon Education.
J’ai peut-être une envie extraordinaire d’aprendre
ce qui est convenable à mon Sexe &
ma Qualité ; mais la dispute à mon égard, d’aussi
loin que je puis me souvenir, a toûjours été de
savoir s’il étoit à propos que l’Enfant fît ou ne
fît pas telle chose ? Si telle ou telle nourriture
étoit la plus saine pour la jeune Demoiselle ? Ce
mêts ne valoit rien pour ma taille, cet autre pour
mon teint, & ce troisiéme pour mes yeux. J’ose
vous dire, sans aucune exagération, que, depuis
l’âge de dix ans, je ne sache pas avoir jamais
touché la Terre avec mes pieds : un Carosse ou une
Chaise à Porteurs ont toûjours servi à me faire
passer d’un lieu à un autre. Tous ceux que se
méloient de m’instruire prônoient par tout les
jolies choses que je disois ; & la maniere
sensée dont je m’étois conduite en telle & telle
occasion. Voilà quel a été mon sort jusque’à ce que
j’aie aproché de l’adolescence ; & depuis l’âge
de quinze ans, on n’en a pas mieux usé à mon égard,
quoi qu’on aît pris un autre tour. Je suis devenue
si terrible, ne vous en déplaise, que tout Homme qui
me parle risque de perdre sa liberté. Il y en a
plusieurs qui ont de l’esprit & du savoir qui se
rendent chez nous, & lors que je me trouve en si
bonne Compagnie, je me plais à leur faire diverses
Questions ; mais, au lieu de m’y répondre, on me dit
je ne sai quoi sur mes yeux brillans. Il semble,
Monsieur, qu’on ait inventé un Langage exprès pour entretenir les Femmes ; & il n’y
a que le petit nombre de ceux qui ont véritablement
ce qu’on doit appeller une bonne Education, &
que je ne trouve guére en mon chemin, qui nous
puissent parler sans flater notre Sexe. Entre la
plûpart de ceux qui se qualifient Gentils-hommes, il
m’est impossible d’ouvrir la bouche sur aucun sujet,
sans exciter l’un ou l’autre à me dire, Oh ! un tel
Gentil-homme, qui es si bien tourné, doit savoir à
fonds tout ce que vous demandez : il n’y a personne
qui ne se fasse un vrai plaisir de vous instruire
là-dessus. En un mot, je suis d’une si grande
beauté, que je tue tous ceux que m’aprochent ; si
habile, que je n’ai besoin d’aucune instruction ;
& si bien élevée, qu’on me traite comme une
Innocente, puis qu’on ne daigne pas me répondre sur
le pied d’Amie, ou de simple Connaissance. Aïez la
bonté, Monsieur, d’avoir égard au déplorable état où
nous autres Beautez & riches Partis nous voïons
exposées, & de ne permettre pas qu’on nous fasse
tourner la cervelle par les flateries indignes. J’ai
une Femme de Chambre qui est adonnée à ce malheureux
métier, & qui l’exerce avec beaucoup d’art. Je
me divertissois d’abord de certaines absurditez dont
elle accompagnoit tous ses éloges. Elle me disoit
quelques fois, suivant le stile de sa Province,
qu’il n’y avoit personne qui ne
reconnût que sa jeune Dame étoit émaillée du plus
beau rouge & du plus beau blanc que l’on puisse
voir au monde. Elle ajoutoit une autre fois que
j’avois tout l’air d’une certaine Babet Dobson de
son Village, qui fut cause que le Meunier se pendit,
& qu’ensuite il hanta un Champ, où ils avoient
accoûtumé de se promener ensemble. Avec tout cela,
cette fine Mouche peut faire tomber des Lettres sous
mes yeux, glisser un Billet dans l’un de mes Gands,
& me soutenir en face qu’elle ne fait rien de
tout ce manége. Depuis mes plus tendres années
jusques à ce jour, je ne sache pas que personne en
ait jamais usé envers moi comme il auroit dû ; &
si je ne m’étois apliquée à la lecture de quelques
bons Livres qui me plaisent, il ne me resteroit pas
aujourd’hui une étincelle de Sens commun. Ne
seroit-il pas digne de vous de fixer les régles pour
nous diriger en tel cas, & d’avertir le Public
que nous autres Belles atendons, aussi bien que les
autres, qu’on nous réponde clairement & avec
franchise ? Pourquoi faut-il qu’on me donne de
fausses idées du Bien & du Mal, par cela seul
que je possede les avantages de la Beauté & de
la Fortune, comme si c’étoit un Crime ? En verité, Monsieur l’homage ridicule que nous
rendent les Personnes dont je viens de vous parler,
joint au peu de soin qu’on prend de notre Education,
ne peut que nous exposer à l’ignorance & à
l’Orgueuil, si ce n’est pas même au Vice.
Metatextualidad
Lettre d’un Epicier
amoureux.
Metatextualidad
Lettre d’un Epicier
amoureux.
Nivel 3
Carta/Carta al director
Mr. le Spectateur,
J’aurois bien
souhaité qu’une en particulier, qui venoit à ma
Boutique, voulût être la mienne, mais je craignois
qu’elle n’y consentiroit jamais. Cependant pour
réussir à lui faire ma Cour, je lui vendois à
meilleur marché que je n’achetois, dans l’esperance
d’acheter à meilleur marché que je ne vendois. Vous
ne devez pas douter qu’elle ne revînt souvent
elle-même, qu’elle ne me procurât plusieurs Chalands
au prix que je donnois mes Densées, & qu’elle ne
crut me rendre un bon ofice. Vous ne douterez pas
non plus que ce ne fut là un merveilleux Négoce,
& qui ne dût bien m’enrichir. En un mot, j’étois
sur le point de faire Banquerote, lors que lui
déclarai mon Amour, & qu’elle me
répondit qu’elle étoit mariée. Il me restoit alors
tout juste dequoi ne pas mourir de faim, & je
compte aujourd’hui de rétablir ma fortune par la
perte de tous ces Chalands. Je suis, &c. »
Jeremie Actionaire.
Relato general
Retrato ajeno
« J’étois un riche
Epicier de la Ville, & aussi heureux que
diligent ; mais je n’étois pas marié, & vous
savez qu’il y a des Femmes.
Metatextualidad
Lettre d’une Idole
de Caffé sur un Avocat qui lui en consoit
Metatextualidad
Lettre d’une Idole
de Caffé sur un Avocat qui lui en consoit
Nivel 3
Carta/Carta al director
Mr. le Spectateur, Lucinda
Parlementier.
Relato general
« Je suis du nombre de ces
Idoles1, dont il vous a plu de parler dans un de
vos Discours, & j’ai ma Niche dans le Réduit
d’un Caffé. Il seroit inutile de vous dire les
égards que je dois avoir pour vos Chalands, &
les Importunitez que j’en soufre. Mais il y en a un
sur tout qui me serre d’aussi près que les François
serroient Bouchain. Sa gravité le rend fort
circonspect, & il fait ses aproches avec toute
la régularité d’un habile Ingenieur. Vous ne devez
pas douter de son Eloquence, puis qu’il est Avocat,
& comme il n’a guére occasion de l’emploïer à
Westminster, il en a d’autant plus pour m’en regaler
moi-même. Que peut donc faire un pauvre Créature
fragile : Je suis bien disposée à me rendre ; mais
il voudroit que ce fût à discrétion, & moi je
voudrois que ce fût avec discrétoin. D’ailleurs,
pendant que nous parlementons ainsi
l’un & l’autre, nous négligeons nos intérêts
réciproques. A mesure que son ataque se renforce,
mon Thé s’afoiblit ; & lors qu’il s’amuse à
plaider à mon Barreau, il n’y a personne qui le
vienne consulter que des miserables qui le païent
d’un grand-merci. Conseillez-lui, mon cher Monsieur,
de n’insister pas sur de rudes conditions, & de
ne pas contredire, par des desirs déréglez,
l’heureuse physionomie de son visage. Si nous étions
d’accord, nous pourrions nous fixer à quelque chose,
aussitôt que nous aurions déteriminé quel parti nous
seroit le plus aventageux, ou de consulter à la
Maison, ou de tenir Caffé, ou de plaider à
Westminster. Je suis &c. »
1Voïez Tome I pag. 447. ¿?