XLVIII. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Barbara Müllner Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 30.01.2014 info:fedora/o:mws.2465 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome V. Paris: Etienne Papillon 1723, 294-303, Le Spectateur ou le Socrate moderne 5 048 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Autopoetische Reflexion Riflessione Autopoetica Autopoetical Reflection Reflexión Autopoética Réflexion autopoétique United Kingdom Scotland Scotland -4.0,56.0 France 2.0,46.0 United Kingdom Glasgow Glasgow -4.25763,55.86515

XLVIII. Discours

Nos populo damus.

Nous destinons ceci à l’usage du Peuple.

Sur les Reves faits à plaisir.

La première fois qu’il me vint dans l’esprit de publier des Songes & des Rêve, je résolus de n’en donner aucun qui ne fût de mon invention. Mais divers Songeurs laborieux, qui ne le savoient pas, m’ont communiqué depuis long-tems quantité de Piéces de cette nature, que j’ai suprimées jusques-ici, pour mettre à couvert leur réputation & la mienne. Si j’avois publié toutes celles qui me sont tombées entre les mains, tout mon Livre n’auroit presque formé qu’un Recueil de Visions. A la vérité quelques-uns de mes Correspondans ont eu la modestie de me faire des excuses sur ce qu’ils étoient incapables de mieux rêver. J’ai, par exemple, entre mes Papiers, le Rêve d’un jeune Homme, qui n’a pas encore quinze ans ; j’en ai un autre d’une Perfonne de qualité, & un troifiéme in-titulé, le Rêve des Dames. D’ailleurs, tout le monde sait que, dans ces sortes de Pièces & les autres de la même nature, il faut toûjours avoir quelque indulgence pour l’Age, la Condition & le Sexe de ceux qui les composent. Du reste, afin de prévenir cette inondation de Rêves, dont on m’accable tous les jours, je donnerai à tous ces Songeurs l’Avis d’Epictete, qui l’a exprimé d’une manière fort simple & fort concise en ces mots : Il semble que l’Auteur Anglois a cité ce passage de mémoire, ou qu’il en a détourné un peu le sens pour l’accomoder à son sujet. Du moins, dans l’Enchiridion, ou la Philosopie dEpictete, je ne trouve qu’un seul endroit qui y ait quelque raport, & qui est concu en ces termes : Quand vous serez en Compagnie ne vour étendez jamais sur vos belles actions, ni sur les dangers que vous avez connus. Il me faut pas que vous croïez que les autres aient autant de plaisir à vous en entendre parler, comme vous avez de joie à les entretenir. Voïez p. 182. Sect. 53. de l’Edition impr. à Roüen en 1667. Ne racontez jamais, dit-il, vos Rêves ; car quoi que vous puissiez trouver du plaifir à les reciter, un autre ne se plaira pas à les entendre. Avec tout cela, j’en ai publié deux ou trois en dernier lieu, qui ne sont pas indignes de la curiosité du Public, & que j’ai reconnu n’être pas de ma façon. J’en ajouterai ici un autre, qui m’est venu d’Ecosse, écrit par un Homme qui se déclare natif de ce Païs-là, & qui pourrait bien être du nombre de ceux qui ont la seconde vue, c’est-à-dire, de ces Gens qui ont des Visions, durant la veille & les yeux ouverts, qui leur anoncent l’a-venir. En effet j’y trouve quelque chose de l’Esprit de C’étoit un Chaudronnier de Londres, qui s’est rendu célébre par divers petits Ouvrages qu’il a publiez, tant en Vers qu’en Prose, & dont le principal est intitulé, The Pilgrim’s Progress from this World to that which is to come &c. C’est-à-dire, La Voïage du Pelerin pour aller de ce Monde à l’autre détaillé sous la fiction d’un Rêve, où l’on voit la maniére dans il se met en chemin, les dangers qu’il y court, & son heureuse arrivé au Païs desiré. Ce Livre est in 12. de 200 pages, sans la Préface, ou l’Apologie de l’Auteur pour son Livre qui en contient 8. & qui est écrite en Vers. Il en fit lui-même une onziéme Edition augmentée, qui parut à Londres en 1688. Jean Bunyan ; mais il y a d’ailleurs un certain Sublime, que cet Ecrivain n’a jamais eu & dont il étoit incapable. Aussi je ne dout pas qu’il ne soit du goût de la plupart de mes Lecteurs du Commun, & qu’il ne serve à exercer l’Imagination de ceux qui pénétrent au-delà de l’ecorce. Enfin je les avertis les uns & les autres que c’est le dernier Rêve que je publierai de toute l’année. Le voici:

Lettre écrite de Glasgow le 29. Septembre 1712. & qui contient un Reve allégorique.

Monsieur,

« Dimanche dernier après midi je fus à l’Eglise de ma Paroisse, où j’entendis un excellent Sermon sur ce qu’il n’y a rien de plus raisonnable que la Vertu, ni de plus extravagant que le Vice. Le Prédicateur nous fit voir, entre autres choses, & que, lors que le Diable nous tente, il supose toûjours que nous sommes des Enragez ou des Innocens, ou qu’il veut nous rendre tels ; & que, dans tout autre Cas qui seroit aussi contraire à nos intérêts, nous ne souffririons jamais qu’on nous en imposât d’une maniere si lourde. Je trouvai ses Preuves & ses Illustrations si judicieuses & si convaincantes, qu’elles firent une grande impression sur ma mémoire, & que le soit couché dans mon Lit je méditai là-dessus avec un plaifir incroïable, jusqu’à ce que le sommeil s’empara de mes yeux, & que mon Imagination occupée de cet Objet en forma le Rêve suivant.

Il me sembla qu’éveillé d’un profond sommeil, sans pouvoir bien me rapeller le tems auquel je m’étois endormi, j’entrios dans une vaste Plaine, où il y avoit une infinité de Gens qui couraient çà & là à travers plusieurs sentiers batus, dont quelques-uns alloienten droite ligne ; mais dont la plupart formoient une espece de Labyrinthe ; quoi qu’il me parût ensuite que tous ceux-ci aboutissoient au même endroit : en sorte que plusieurs de ces Voïageurs qui sembloient tenir des routes opposées se rencontroient à la fin vis- à-vis les uns des autres, au grand étonnement de la plûpart d’entre eux.

Au milieu de la Plaine il y avoit une grande Source, qu’on nommoit la Fontaine de l’Amour propre : Il en sortoit deux petits Ruisseaux, dont l’un couloit vers l’Est & l’autre à l’Ouest : Les eaux du premier, qu’on apelloit le Ruisseau de la Sagesse céleste, étoient d’une clarté surprenante, & d’un effet encore plus étonnant ; celles de l’autre, qui se nommoit le Ruisseau de la Sageße mondaine, étoient sales & bourbeuses, quoi que dans une agitation violente & continuelle ; ce qui empechoit les Voïageurs, dont je parlerai bientôt, de prendre garde au limon qu’elles charrioient ; elles avoient aussi la vertu d’étourdir ceux qui en bûvoient d’une telle maniere, qu’ils se méprenoient à l’égard de tous les Objets qui frapoient leurs yeux. Du reste ces deux petits Ruisseaux se partageoient, tout auprès de leur source, en autant d’autres, qu’il y avoit de Sentiers droits & tortus, a côté desquels ils couroient jusques au bout de leurs diférentes issues.

Je vis plusieurs Pesonnes qui sortoient de tems en tems de ces Sentiers, pour se refraichir & boire de l’eau de ces rigoles, qui leur donnoit de la force & du courage, & les disposoit à se bien aquiter de ce qu’ils entreprenoient. A l’extrémité des Sentiers droits, qui aboutissoient tous à un seul point, j’aperçus une grande Colomne, toute de Diamant, aussi brillante que le Soleil, & dont les raïons avoient une certaine vertu atractive, qui engageoit tous ceux qui s’en aprochoient, & qui avoient déja fait une bonne partie de leur voïage, à tourner leur vûe de ce côté-là, à marcher d’un pas ferme & constant dans le bon chemin, & à s’en former une ha-bitude, qui leur tenoit lieu de récompense & de gratification.

Au bout des Sentiers tortus il y avoit une grande Tour noire, du milieu de laquelle on voïoit sortir une longue traînée de flammes, qui s’elevoient au-dessus des Nues, & qui éclairoient toute la Plaine : Cette lumiere étoit même quelquefois si puissante, qu’elle obscurcissoit les raïons de l’autre Colomne : Ce n’est pas que celle-ci eut rien perdu de son éclat naturel ; mais les Voïageurs qui abandonnoient par hasard les Sentiers droits ne la voïoient plus que de côté, & se trouvoient envelopez dans les fumées de la noire, dont la chaleur un peu brûlante les engageoit à s’en retourner au-plûtôt dans leur propre Climat.

La Tour noire me parut environnée d’une infinité de grands Monstres hideux, qui jettoient sans cesse des Filets vers les Sentiers tortus, où ils atrapoient quelque-fois ceux des Voïageurs qui s’y trouvoient ; & lors qu’ils les avoient pris, ils les faisoient voler par dessus les murailles dans la Tour enflamée, d’où il n’y avoir plus moïen de revenir.

Ces Monstres jettoient aussi quelque-fois leurs Filets vers les Sentiers droits pour tâcher de surprendre ceux qui s’en écartoint, dont la vue s’asoiblissoit lors qu’ils négligoient de boire souvent de l’eau pure de leurs rigoles, & qui par-là venoient à s’égarer. Quoi qu’alors ils n’évitassent le piege qu’on leur tendoit : qu’avec beaucoup de peine, il me fut impossible d’être informé sin quelqu’un de ceux qui avoient témoigné du zèle à marcher dans les bons Sentiers avoit jamais eu ce malheur.

Atentif à examiner un si étrange spectacle, j’en fus interrompu par une troupe de Voïageurs qui couroient dans les Chemins tortus. A leur aproche, ils m’exhorterent à les suivre, ils se mitent d’abord à chanter & à danser, ils me prirent par la main, & m’entraînerent malgré moi. Après les avoir suivis long tems, je fus bien étonné de ne voir plus la Tour noire & embrasée ; je regardai de tous les côtez sans rien découvrir ; ce qui me fit soupçonner que tout ce que j’avois vû n’étoit qu’un Rêve, & qu’il n’y avoit aucune réalité ; mais il me vint alors dans l’esprit que, si j’avois cru voir ce qui n’étoit pas, je pouvois aussi bien me faire illusion à présent & ne voir pas ce qui existoit au pié de la lettre. Je me confirmai dans cette pensée par l’effet que l’eau de la Sagesse mondaine eut sur moi ; car je n’en eus pas plûtôt avalé tant soit peu pour la seconde fois, que ma tête en fût toute bouleversée ; ce qui m’obligea de m’arrêter tout d’un coup, dans la crainte qu’il n’y eut quelque charme, ou quelque sorcelerie. Occupé à réflechir sur ce que je devois faire, & à qui je pourrois m’adresser dans cet état, j’aperçus, à quelque distance de moi, un Homme, qui me faisoit signe de la tête & des mains d’aller vers lui. Je lui criai que je ne savois pas le chemin. Là-dessus il me dit à haute voix de sortir au plûtôt du sentier où j’étois ; puis que, si j’y demeurois un moment de plus, je risquois d’être pris dans un Filet qui pendoit sur ma tête & qui étoit prêt à m’enlacer ; que d’ailleurs il s’étonnoit que je fusse assez aveuglé, ou assez étourdi, pour ne voir pas le danger qui me menaçoit, & qu’aussitôt que je serois hors du mauvias chemin, il viendroit me joindre por me conduire en lieu de sûreté. Je lui obéïs sans replique, & alors il m’aporta, lans le creux de sa main, un peu d’eau de la Sagesse céleste, qui me fut très-salutarie & qui me décilla si bien les yeux, que je revis distincement la grand Tour brûlante ; mais la vûe du Filet, que j’aperçus si près de moi, me remplit d’une telle fraïeur, que je m’enfuis aussi loin qu’il me fut possible tout d’une haleine, sans regarder en arriere.

Ensuite mon Libérateur m’adressa le discours en ces mots : Vous êtes échapé par le plus grand miracle du monde ; l’eau que vous buviez a la vertu d’enforceler tous eut qui en goûtent ; & de là vient que vous n’avez pas été faits d’horreur à la vûe de toutes les disgraces & la la misere de ce Lieu ; puis qu’outre cette bande d’Aveugles & des Fous, avec qui vous étiez, vous en pouvez remarquer plu-sieurs autres, qui sont enforcelez d’une diférente manière ; mais qui n’est pas moins dangereuse. Regardez un peu de ce côté-là ; voyez cette foule de Passagers ; ils ne boiront pas de cette eau traîtresse ; ils n’ont pas encore perdu de vûe la Tour enflamée ; ils la voient lors qu’ils y portent les yeux ; mais voyez-les marcher de côté, avec les yeux ficez vers la terre, vous diriez qu’ils sont fous, & qu’ils vons se jetter la tête baißée dans le Filet, sans craindre le péril qui les menace. Leur Volonté est si dépravée, & leur cœur si charmé des plaisirs de ce maudit Lieu, que, plûtôt que de s’en priver, ils hasardent tout, & s’exposent à toutes les miseres qui les environnent. Voyez cette autre Bande ; quand ils ne boiroient pas de l’Eau empoisonnée, ils prennent une route qui ne peut que les égarer : Voyez comment ils choisisssent les Sentiers les plus intriguez ; De là vient qu’ils ont souvent la Tour noire à leur dos, & qu’ils n’aperçoivent quelquefois la Colomne lumineuse que de côté, qui ne leur darde alors que de soibles raïsons. Ces Fous se contentent de ce Crépuscule, sans se mettre en peine s’il y en a d’autres qui tirent plus d’avantage qu’eux de son influence & de sa lumiere. Le Chemin où ils courent est celui qu’on nomme de la Superstition ou des Inventions Humaines : Ils n’ont aucun égard aux Loix ni aux Régles que le Pays où ils sont leur prescrit, & ils s’en forgent d’autres à leur guise, qu’ils se flatent leur pouvoir être du même secours.

Il me fit voir plusieurs autres sortes de Fous, dont la seule vûe me dégoûta de ce Lieu. Enfin il me conduisit aux Sentiers droits, où je trouvai un véritable & solide plaisir, qui dura pendant toute la route, jusqu’à ce que nous arrivames vis-à vis de la Colomne brillante. Alors ma joie s’accrût à un tel point, qu’incapable de la soutenir je m’éveillai en surfaut, bien mortifié de voir éclipser tout d’un coup une si agréable Apparition. »

XLVIII. Discours Nos populo damus. Nous destinons ceci à l’usage du Peuple. Sur les Reves faits à plaisir. La première fois qu’il me vint dans l’esprit de publier des Songes & des Rêve, je résolus de n’en donner aucun qui ne fût de mon invention. Mais divers Songeurs laborieux, qui ne le savoient pas, m’ont communiqué depuis long-tems quantité de Piéces de cette nature, que j’ai suprimées jusques-ici, pour mettre à couvert leur réputation & la mienne. Si j’avois publié toutes celles qui me sont tombées entre les mains, tout mon Livre n’auroit presque formé qu’un Recueil de Visions. A la vérité quelques-uns de mes Correspondans ont eu la modestie de me faire des excuses sur ce qu’ils étoient incapables de mieux rêver. J’ai, par exemple, entre mes Papiers, le Rêve d’un jeune Homme, qui n’a pas encore quinze ans ; j’en ai un autre d’une Perfonne de qualité, & un troifiéme in-titulé, le Rêve des Dames. D’ailleurs, tout le monde sait que, dans ces sortes de Pièces & les autres de la même nature, il faut toûjours avoir quelque indulgence pour l’Age, la Condition & le Sexe de ceux qui les composent. Du reste, afin de prévenir cette inondation de Rêves, dont on m’accable tous les jours, je donnerai à tous ces Songeurs l’Avis d’Epictete, qui l’a exprimé d’une manière fort simple & fort concise en ces mots : Il semble que l’Auteur Anglois a cité ce passage de mémoire, ou qu’il en a détourné un peu le sens pour l’accomoder à son sujet. Du moins, dans l’Enchiridion, ou la Philosopie d’Epictete, je ne trouve qu’un seul endroit qui y ait quelque raport, & qui est concu en ces termes : Quand vous serez en Compagnie ne vour étendez jamais sur vos belles actions, ni sur les dangers que vous avez connus. Il me faut pas que vous croïez que les autres aient autant de plaisir à vous en entendre parler, comme vous avez de joie à les entretenir. Voïez p. 182. Sect. 53. de l’Edition impr. à Roüen en 1667.Ne racontez jamais, dit-il, vos Rêves ; car quoi que vous puissiez trouver du plaifir à les reciter, un autre ne se plaira pas à les entendre. Avec tout cela, j’en ai publié deux ou trois en dernier lieu, qui ne sont pas indignes de la curiosité du Public, & que j’ai reconnu n’être pas de ma façon. J’en ajouterai ici un autre, qui m’est venu d’Ecosse, écrit par un Homme qui se déclare natif de ce Païs-là, & qui pourrait bien être du nombre de ceux qui ont la seconde vue, c’est-à-dire, de ces Gens qui ont des Visions, durant la veille & les yeux ouverts, qui leur anoncent l’a-venir. En effet j’y trouve quelque chose de l’Esprit de C’étoit un Chaudronnier de Londres, qui s’est rendu célébre par divers petits Ouvrages qu’il a publiez, tant en Vers qu’en Prose, & dont le principal est intitulé, The Pilgrim’s Progress from this World to that which is to come &c. C’est-à-dire, La Voïage du Pelerin pour aller de ce Monde à l’autre détaillé sous la fiction d’un Rêve, où l’on voit la maniére dans il se met en chemin, les dangers qu’il y court, & son heureuse arrivé au Païs desiré. Ce Livre est in 12. de 200 pages, sans la Préface, ou l’Apologie de l’Auteur pour son Livre qui en contient 8. & qui est écrite en Vers. Il en fit lui-même une onziéme Edition augmentée, qui parut à Londres en 1688.Jean Bunyan ; mais il y a d’ailleurs un certain Sublime, que cet Ecrivain n’a jamais eu & dont il étoit incapable. Aussi je ne dout pas qu’il ne soit du goût de la plupart de mes Lecteurs du Commun, & qu’il ne serve à exercer l’Imagination de ceux qui pénétrent au-delà de l’ecorce. Enfin je les avertis les uns & les autres que c’est le dernier Rêve que je publierai de toute l’année. Le voici: Lettre écrite de Glasgow le 29. Septembre 1712. & qui contient un Reve allégorique. Monsieur, « Dimanche dernier après midi je fus à l’Eglise de ma Paroisse, où j’entendis un excellent Sermon sur ce qu’il n’y a rien de plus raisonnable que la Vertu, ni de plus extravagant que le Vice. Le Prédicateur nous fit voir, entre autres choses, & que, lors que le Diable nous tente, il supose toûjours que nous sommes des Enragez ou des Innocens, ou qu’il veut nous rendre tels ; & que, dans tout autre Cas qui seroit aussi contraire à nos intérêts, nous ne souffririons jamais qu’on nous en imposât d’une maniere si lourde. Je trouvai ses Preuves & ses Illustrations si judicieuses & si convaincantes, qu’elles firent une grande impression sur ma mémoire, & que le soit couché dans mon Lit je méditai là-dessus avec un plaifir incroïable, jusqu’à ce que le sommeil s’empara de mes yeux, & que mon Imagination occupée de cet Objet en forma le Rêve suivant. Il me sembla qu’éveillé d’un profond sommeil, sans pouvoir bien me rapeller le tems auquel je m’étois endormi, j’entrios dans une vaste Plaine, où il y avoit une infinité de Gens qui couraient çà & là à travers plusieurs sentiers batus, dont quelques-uns alloienten droite ligne ; mais dont la plupart formoient une espece de Labyrinthe ; quoi qu’il me parût ensuite que tous ceux-ci aboutissoient au même endroit : en sorte que plusieurs de ces Voïageurs qui sembloient tenir des routes opposées se rencontroient à la fin vis- à-vis les uns des autres, au grand étonnement de la plûpart d’entre eux. Au milieu de la Plaine il y avoit une grande Source, qu’on nommoit la Fontaine de l’Amour propre : Il en sortoit deux petits Ruisseaux, dont l’un couloit vers l’Est & l’autre à l’Ouest : Les eaux du premier, qu’on apelloit le Ruisseau de la Sagesse céleste, étoient d’une clarté surprenante, & d’un effet encore plus étonnant ; celles de l’autre, qui se nommoit le Ruisseau de la Sageße mondaine, étoient sales & bourbeuses, quoi que dans une agitation violente & continuelle ; ce qui empechoit les Voïageurs, dont je parlerai bientôt, de prendre garde au limon qu’elles charrioient ; elles avoient aussi la vertu d’étourdir ceux qui en bûvoient d’une telle maniere, qu’ils se méprenoient à l’égard de tous les Objets qui frapoient leurs yeux. Du reste ces deux petits Ruisseaux se partageoient, tout auprès de leur source, en autant d’autres, qu’il y avoit de Sentiers droits & tortus, a côté desquels ils couroient jusques au bout de leurs diférentes issues. Je vis plusieurs Pesonnes qui sortoient de tems en tems de ces Sentiers, pour se refraichir & boire de l’eau de ces rigoles, qui leur donnoit de la force & du courage, & les disposoit à se bien aquiter de ce qu’ils entreprenoient. A l’extrémité des Sentiers droits, qui aboutissoient tous à un seul point, j’aperçus une grande Colomne, toute de Diamant, aussi brillante que le Soleil, & dont les raïons avoient une certaine vertu atractive, qui engageoit tous ceux qui s’en aprochoient, & qui avoient déja fait une bonne partie de leur voïage, à tourner leur vûe de ce côté-là, à marcher d’un pas ferme & constant dans le bon chemin, & à s’en former une ha-bitude, qui leur tenoit lieu de récompense & de gratification. Au bout des Sentiers tortus il y avoit une grande Tour noire, du milieu de laquelle on voïoit sortir une longue traînée de flammes, qui s’elevoient au-dessus des Nues, & qui éclairoient toute la Plaine : Cette lumiere étoit même quelquefois si puissante, qu’elle obscurcissoit les raïons de l’autre Colomne : Ce n’est pas que celle-ci eut rien perdu de son éclat naturel ; mais les Voïageurs qui abandonnoient par hasard les Sentiers droits ne la voïoient plus que de côté, & se trouvoient envelopez dans les fumées de la noire, dont la chaleur un peu brûlante les engageoit à s’en retourner au-plûtôt dans leur propre Climat. La Tour noire me parut environnée d’une infinité de grands Monstres hideux, qui jettoient sans cesse des Filets vers les Sentiers tortus, où ils atrapoient quelque-fois ceux des Voïageurs qui s’y trouvoient ; & lors qu’ils les avoient pris, ils les faisoient voler par dessus les murailles dans la Tour enflamée, d’où il n’y avoir plus moïen de revenir. Ces Monstres jettoient aussi quelque-fois leurs Filets vers les Sentiers droits pour tâcher de surprendre ceux qui s’en écartoint, dont la vue s’asoiblissoit lors qu’ils négligoient de boire souvent de l’eau pure de leurs rigoles, & qui par-là venoient à s’égarer. Quoi qu’alors ils n’évitassent le piege qu’on leur tendoit : qu’avec beaucoup de peine, il me fut impossible d’être informé sin quelqu’un de ceux qui avoient témoigné du zèle à marcher dans les bons Sentiers avoit jamais eu ce malheur. Atentif à examiner un si étrange spectacle, j’en fus interrompu par une troupe de Voïageurs qui couroient dans les Chemins tortus. A leur aproche, ils m’exhorterent à les suivre, ils se mitent d’abord à chanter & à danser, ils me prirent par la main, & m’entraînerent malgré moi. Après les avoir suivis long tems, je fus bien étonné de ne voir plus la Tour noire & embrasée ; je regardai de tous les côtez sans rien découvrir ; ce qui me fit soupçonner que tout ce que j’avois vû n’étoit qu’un Rêve, & qu’il n’y avoit aucune réalité ; mais il me vint alors dans l’esprit que, si j’avois cru voir ce qui n’étoit pas, je pouvois aussi bien me faire illusion à présent & ne voir pas ce qui existoit au pié de la lettre. Je me confirmai dans cette pensée par l’effet que l’eau de la Sagesse mondaine eut sur moi ; car je n’en eus pas plûtôt avalé tant soit peu pour la seconde fois, que ma tête en fût toute bouleversée ; ce qui m’obligea de m’arrêter tout d’un coup, dans la crainte qu’il n’y eut quelque charme, ou quelque sorcelerie. Occupé à réflechir sur ce que je devois faire, & à qui je pourrois m’adresser dans cet état, j’aperçus, à quelque distance de moi, un Homme, qui me faisoit signe de la tête & des mains d’aller vers lui. Je lui criai que je ne savois pas le chemin. Là-dessus il me dit à haute voix de sortir au plûtôt du sentier où j’étois ; puis que, si j’y demeurois un moment de plus, je risquois d’être pris dans un Filet qui pendoit sur ma tête & qui étoit prêt à m’enlacer ; que d’ailleurs il s’étonnoit que je fusse assez aveuglé, ou assez étourdi, pour ne voir pas le danger qui me menaçoit, & qu’aussitôt que je serois hors du mauvias chemin, il viendroit me joindre por me conduire en lieu de sûreté. Je lui obéïs sans replique, & alors il m’aporta, lans le creux de sa main, un peu d’eau de la Sagesse céleste, qui me fut très-salutarie & qui me décilla si bien les yeux, que je revis distincement la grand Tour brûlante ; mais la vûe du Filet, que j’aperçus si près de moi, me remplit d’une telle fraïeur, que je m’enfuis aussi loin qu’il me fut possible tout d’une haleine, sans regarder en arriere. Ensuite mon Libérateur m’adressa le discours en ces mots : Vous êtes échapé par le plus grand miracle du monde ; l’eau que vous buviez a la vertu d’enforceler tous eut qui en goûtent ; & de là vient que vous n’avez pas été faits d’horreur à la vûe de toutes les disgraces & la la misere de ce Lieu ; puis qu’outre cette bande d’Aveugles & des Fous, avec qui vous étiez, vous en pouvez remarquer plu-sieurs autres, qui sont enforcelez d’une diférente manière ; mais qui n’est pas moins dangereuse. Regardez un peu de ce côté-là ; voyez cette foule de Passagers ; ils ne boiront pas de cette eau traîtresse ; ils n’ont pas encore perdu de vûe la Tour enflamée ; ils la voient lors qu’ils y portent les yeux ; mais voyez-les marcher de côté, avec les yeux ficez vers la terre, vous diriez qu’ils sont fous, & qu’ils vons se jetter la tête baißée dans le Filet, sans craindre le péril qui les menace. Leur Volonté est si dépravée, & leur cœur si charmé des plaisirs de ce maudit Lieu, que, plûtôt que de s’en priver, ils hasardent tout, & s’exposent à toutes les miseres qui les environnent. Voyez cette autre Bande ; quand ils ne boiroient pas de l’Eau empoisonnée, ils prennent une route qui ne peut que les égarer : Voyez comment ils choisisssent les Sentiers les plus intriguez ; De là vient qu’ils ont souvent la Tour noire à leur dos, & qu’ils n’aperçoivent quelquefois la Colomne lumineuse que de côté, qui ne leur darde alors que de soibles raïsons. Ces Fous se contentent de ce Crépuscule, sans se mettre en peine s’il y en a d’autres qui tirent plus d’avantage qu’eux de son influence & de sa lumiere. Le Chemin où ils courent est celui qu’on nomme de la Superstition ou des Inventions Humaines : Ils n’ont aucun égard aux Loix ni aux Régles que le Pays où ils sont leur prescrit, & ils s’en forgent d’autres à leur guise, qu’ils se flatent leur pouvoir être du même secours. Il me fit voir plusieurs autres sortes de Fous, dont la seule vûe me dégoûta de ce Lieu. Enfin il me conduisit aux Sentiers droits, où je trouvai un véritable & solide plaisir, qui dura pendant toute la route, jusqu’à ce que nous arrivames vis-à vis de la Colomne brillante. Alors ma joie s’accrût à un tel point, qu’incapable de la soutenir je m’éveillai en surfaut, bien mortifié de voir éclipser tout d’un coup une si agréable Apparition. »