Nous destinons ceci à l’usage du Peuple.
Rêve
des Dames. D’ailleurs, tout le monde sait que, dans ces
sortes de Pièces & les autres de la même nature, il faut
toûjours avoir quelque indulgence pour l’Age, la Condition & le
Sexe de ceux qui les composent. Du reste, afin de prévenir cette
inondation de Rêves, dont on m’accable tous les jours, je donnerai à
tous ces Songeurs l’Avis d’Anglois a cité ce passage de mémoire,
ou qu’il en a détourné un peu le sens pour l’accomoder à son
sujet. Du moins, dans l’Enchiridion,
ou la Philosopie
d’Epictete,
je ne trouve qu’un seul endroit qui y ait quelque raport,
& qui est concu en ces termes : Quand
vous serez en Compagnie ne vour étendez jamais sur vos
belles actions, ni sur les dangers que vous avez connus.
Il me faut pas que vous croïez que les autres aient
autant de plaisir à vous en entendre parler, comme vous
avez de joie à les entretenir. Voïez p. 182. Sect.
53. de l’Edition impr. à Roüen en
1667.Ne racontez jamais, dit-il, vos Rêves ; car quoi que vous puissiez trouver du plaifir à les
reciter, un autre ne se plaira pas à les entendre.
Londres, qui s’est rendu célébre par divers petits
Ouvrages qu’il a publiez, tant en Vers qu’en Prose, &
dont le principal est intitulé, The
Pilgrim’s Progress from this World to that which is to
come &c. C’est-à-dire, La
Voïage du Pelerin pour aller de ce Monde à l’autre
détaillé sous la fiction d’un Rêve, où l’on voit la
maniére dans il se met en chemin, les dangers qu’il y
court, & son heureuse arrivé au Païs desiré. Ce
Livre est in 12. de 200 pages, sans la Préface, ou l’Apologie de l’Auteur pour son Livre
qui en contient 8. & qui est écrite en Vers. Il en fit
lui-même une onziéme Edition augmentée, qui parut à Londres en 1688.Jean Bunyan ; mais il y a d’ailleurs un
certain Sublime, que cet Ecrivain n’a jamais eu & dont il étoit
incapable. Aussi je ne dout pas qu’il ne soit du goût de la plupart
de mes Lecteurs du Commun, & qu’il ne serve à exercer
l’Imagination de ceux qui pénétrent au-delà de l’ecorce. Enfin je
les avertis les uns & les autres que c’est le dernier Rêve que
je publierai de toute l’année. Le voici:
Monsieur,
« Dimanche dernier après midi je fus à l’Eglise de ma
Paroisse, où j’entendis un excellent Sermon sur ce qu’il n’y a rien
de plus raisonnable que la Vertu, ni de plus extravagant que le
Vice. Le Prédicateur nous fit voir, entre autres choses, & que,
lors que le Diable nous tente, il supose toûjours que nous sommes
des Enragez ou des Innocens, ou qu’il veut nous
Au milieu de la Plaine il y avoit une grande Source, qu’on nommoit la
Fontaine de l’Amour propre : Il en sortoit
deux petits Ruisseaux, dont l’un couloit vers l’Est & l’autre à
l’Ouest : Les eaux du premier, qu’on apelloit le Ruisseau de la Sagesse céleste, étoient d’une clarté
surprenante, & d’un effet encore plus étonnant ; celles de
l’autre, qui se nommoit le Ruisseau de la Sageße
mondaine, étoient sales & bourbeuses, quoi que dans une
agitation violente & continuelle ; ce qui empechoit les
Voïageurs, dont je parlerai bientôt, de prendre garde au limon
qu’elles charrioient ; elles avoient aussi la vertu d’étourdir ceux
qui en bûvoient d’une telle maniere, qu’ils se méprenoient à l’égard
de tous les Objets qui frapoient leurs yeux. Du reste ces deux
petits Ruisseaux se partageoient, tout auprès de leur source, en
autant d’autres, qu’il y avoit de Sentiers droits & tortus, a
côté desquels ils couroient jusques au bout de leurs diférentes
issues.
Je vis plusieurs Pesonnes qui sortoient de tems en tems de ces
Sentiers, pour se refraichir & boire de l’eau de ces rigoles,
qui leur donnoit de la force & du courage, & les disposoit à
se bien aquiter de ce qu’ils entreprenoient. A l’extrémité des
Sentiers droits, qui aboutissoient tous à un seul point, j’aperçus
une grande Colomne, toute de Diamant, aussi brillante que le Soleil,
& dont les raïons avoient une certaine vertu atractive, qui
engageoit tous ceux qui s’en aprochoient, & qui avoient déja
fait une bonne partie de leur voïage, à tourner leur vûe de ce
côté-là, à marcher d’un pas ferme & constant dans le bon chemin,
& à s’en former une ha-
Au bout des Sentiers tortus il y avoit une grande Tour noire, du milieu de laquelle on voïoit sortir une longue traînée de flammes, qui s’elevoient au-dessus des Nues, & qui éclairoient toute la Plaine : Cette lumiere étoit même quelquefois si puissante, qu’elle obscurcissoit les raïons de l’autre Colomne : Ce n’est pas que celle-ci eut rien perdu de son éclat naturel ; mais les Voïageurs qui abandonnoient par hasard les Sentiers droits ne la voïoient plus que de côté, & se trouvoient envelopez dans les fumées de la noire, dont la chaleur un peu brûlante les engageoit à s’en retourner au-plûtôt dans leur propre Climat.
La Tour noire me parut environnée d’une infinité de grands Monstres hideux, qui jettoient sans cesse des Filets vers les Sentiers tortus, où ils atrapoient quelque-fois ceux des Voïageurs qui s’y trouvoient ; & lors qu’ils les avoient pris, ils les faisoient voler par dessus les murailles dans la Tour enflamée, d’où il n’y avoir plus moïen de revenir.
Ces Monstres jettoient aussi quelque-fois leurs Filets vers les
Sentiers droits pour tâcher de surprendre ceux qui s’en écartoint,
dont la vue s’asoiblissoit lors qu’ils négligoient de boire souvent
de l’eau pure de leurs rigoles, & qui par-là venoient à
s’égarer. Quoi qu’alors ils
Atentif à examiner un si étrange spectacle, j’en fus interrompu par
une troupe de Voïageurs qui couroient dans les Chemins tortus. A
leur aproche, ils m’exhorterent à les suivre, ils se mitent d’abord
à chanter & à danser, ils me prirent par la main, &
m’entraînerent malgré moi. Après les avoir suivis long tems, je fus
bien étonné de ne voir plus la Tour noire & embrasée ; je
regardai de tous les côtez sans rien découvrir ; ce qui me fit
soupçonner que tout ce que j’avois vû n’étoit qu’un Rêve, &
qu’il n’y avoit aucune réalité ; mais il me vint alors dans l’esprit
que, si j’avois cru voir ce qui n’étoit pas, je pouvois aussi bien
me faire illusion à présent & ne voir pas ce qui existoit au pié
de la lettre. Je me confirmai dans cette pensée par l’effet que
l’eau de la Sagesse mondaine eut sur moi ;
car je n’en eus pas plûtôt avalé tant soit peu pour la seconde fois,
que ma tête en fût toute bouleversée ; ce qui m’obligea de m’arrêter
tout d’un coup, dans la crainte qu’il n’y eut quelque charme, ou
quelque sorcelerie. Occupé à réflechir sur ce que je devois faire,
& à qui je pourrois m’adresser dans cet état, j’aperçus, à je ne savois pas le chemin. Là-dessus il
me dit à haute voix de sortir au plûtôt du sentier où j’étois ; puis
que, si j’y demeurois un moment de plus, je risquois d’être pris
dans un Filet qui pendoit sur ma tête & qui étoit prêt à
m’enlacer ; que d’ailleurs il s’étonnoit que je fusse assez aveuglé,
ou assez étourdi, pour ne voir pas le danger qui me menaçoit, &
qu’aussitôt que je serois hors du mauvias chemin, il viendroit me
joindre por me conduire en lieu de sûreté. Je lui obéïs sans
replique, & alors il m’aporta, lans le creux de sa main, un peu
d’eau de la Sagesse céleste, qui me fut
très-salutarie & qui me décilla si bien les yeux, que je revis
distincement la grand Tour brûlante ; mais la vûe du Filet, que
j’aperçus si près de moi, me remplit d’une telle fraïeur, que je
m’enfuis aussi loin qu’il me fut possible tout d’une haleine, sans
regarder en arriere.
Ensuite mon Libérateur m’adressa le discours en ces mots : Vous êtes échapé par le plus grand miracle du
monde ; l’eau que vous buviez a la vertu d’enforceler tous eut
qui en goûtent ; & de là vient que vous n’avez pas été faits
d’horreur à la vûe de toutes les disgraces & la la misere de
ce Lieu ; puis qu’outre cette bande d’Aveugles & des Fous,
avec qui vous étiez, vous en pouvez remarquer plu-sieurs autres, qui sont enforcelez
d’une diférente manière ; mais qui n’est pas moins dangereuse.
Regardez un peu de ce côté-là ; voyez cette foule de Passagers ;
ils ne boiront pas de cette eau traîtresse ; ils n’ont pas
encore perdu de vûe la Tour enflamée ; ils la voient lors qu’ils
y portent les yeux ; mais voyez-les marcher de côté, avec les
yeux ficez vers la terre, vous diriez qu’ils sont fous, &
qu’ils vons se jetter la tête baißée dans le Filet, sans
craindre le péril qui les menace. Leur Volonté est si dépravée,
& leur cœur si charmé des plaisirs de ce maudit Lieu, que,
plûtôt que de s’en priver, ils hasardent tout, & s’exposent
à toutes les miseres qui les environnent. Voyez cette autre
Bande ; quand ils ne boiroient pas de l’Eau empoisonnée, ils
prennent une route qui ne peut que les égarer : Voyez comment
ils choisisssent les Sentiers les plus intriguez ; De là vient
qu’ils ont souvent la Tour noire à leur dos, & qu’ils
n’aperçoivent quelquefois la Colomne lumineuse que de côté, qui
ne leur darde alors que de soibles raïsons. Ces Fous se
contentent de ce Crépuscule, sans se mettre en peine s’il y en a
d’autres qui tirent plus d’avantage qu’eux de son influence
& de sa lumiere. Le Chemin où ils courent est celui qu’on
nomme de la Superstition ou des
Inventions Humaines : Ils n’ont aucun égard aux
Loix ni aux Régles que le Pays où ils sont leur prescrit, &
ils s’en forgent d’autres à leur guise, qu’ils se flatent leur
pouvoir être du même secours.
Il me fit voir plusieurs autres sortes de Fous, dont la seule vûe me
dégoûta de