Le Spectateur ou le Socrate moderne: XLVII. Discours
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Nivel 1
XLVII. Discours
Cita/Lema
Nunc augur
Apollo,
Nunc Lyciæ sortes, nunc & Jove missus ab ipse
Interpres Divâm sert horrida jussa per auras.
Scilicet is Superis labor est, ea cura quietos Sollicitat.
Nunc Lyciæ sortes, nunc & Jove missus ab ipse
Interpres Divâm sert horrida jussa per auras.
Scilicet is Superis labor est, ea cura quietos Sollicitat.
Virg. Æneid. L. IV.376.
Tantôt c’est Apollon qui vous l’ordonne, tantôt ce sont les Oracles de Lycie, tantôt c’est le Messager des Dieux, que Jupiter vous envoie, & qui traverse les airs, pour vous anoncer des ordres si cruels. Comme si les Dieux se mettoient sort en peine de vous, & que le soin de vos affaires leur caus de la moindre inquiétude.Metatextualidad
Contre les Auteurs
Chrétiens, qui mêlent, dans leur Poësie, les Fables &
les Divinitez du Paganisme.
Metatextualidad
Contre les Auteurs
Chrétiens, qui mêlent, dans leur Poësie, les Fables &
les Divinitez du Paganisme.
Nivel 2
Je me plais infiniment à découvrir
quelque beau Génie qui s’éleve entre mes Compatriotes. C’est
pour cela que j’ai lû, avec un plaisir extrême, le Recueil, ou
le Mélange de diverses Piéces que l’ingénieux Mr. Pope vient de
publier, & où il y en a plusieurs excellentes de sa façon.
J’ai goûté le même plaisir à la lecture d’un Poëme, qui vient de
paroître, sur l’esperance d’une Paix prochaine, & je me
flate qu’il obtirendra la juste recompense qu’il mérite de ses
Aprobateurs. J’ai été charmé sur tout de voir que l’Auteur ne
s’amuse pas aux Fables tirées du Paganisme, &
que, s’il en touche quelque chose, ce n’est que par une simple
allusion. Il y a quantité de nos Auteurs modernes, dont tout le
savoir ne s’étend pas d’ordinaire au delà des Métamorphoses
d’Ovide, qui sont incapables de célébrer les actions d’un Héros,
sans y mêler des traits d’un jeune Ecolier. Si vous lisez un
Poëme sur une belle Femme, écrit par un Auteur de cet ordre,
vous verrez qu’il roule plutôt sur Venus ou sur Helene, que sur
la Personne intéressée. J’ai entendu louer jusques aux nues une
Piéce écrite en Vers sur un fameux Héros ; mais lorsque j’ai
demandé à son Admirateur qu’il m’en recitât quelques beaux
endroits, il m’a repété une Harangue d’Apollon, ou une
Description de Polypheme. Lors que, dans une autre Piéce, j’ai
cherche les actions du Héros, qui en est le sujet, j’y ai trouvé
les exploits de quelque Dieu de Riviere, ou j’ai été contraint
de suivre, d’un bout à l’autre les emportemens & les
violences d’une Furie. Lors que nous sommes au Collège, il faut
que nous aprenions le Système de la Théologie Païenne, & il
nous est permis d’enrichir un Sujet de quelque Divinité du
Paganisme, ou de la faite entrer dans la pointe d’une
Epigramme ; mais lors qu’on veut écrire le Panégyrique d’une
Personne illustre, tout doit être marqué au coin de la Verité,
& il seroit du dernier ridicule d’avoir recours aux Jupiters
ou aux Junons. Il n’y a point de belle pensée qui
ne soit juste, ni de Pensée qui puisse être juste si elle n’est
fondée sur la verité, ou du moins sur ce qui est admis pour tel.
Dans les Poëmes écrits en stile burlesque, l’usage de la
Mythologie Païenne est non seulement excusable, mais gracieux ;
parce que l’Auteur ne cherche qu’à divertir, & qu’il y
réussit, lorsqu’il accommode la pompe de l’Histoire fabuleuse
des Païens à un Sujet bas, & que d’ailleurs il turlupine les
Modernes qui emploient ce Jargon. Si quelqu’un croit qu’il est
d’une absolue nécessité d’admettre ces Légendes du Paganisme
dans nos Piéces serieuses, afin de leur donner un tout plus
poëtique, il n’a qu’à lire avec atention les Pastorales de Mr.
Philips. On auroit cru qu’il étoit impossible qu’un tel Poëme se
put soutenir sans le secours des Faunes & des Satyres, des
Nymphes des Eaux & des Bois, & de toute la bande des
Dieux champêtres. Mais nous voïons qu’il a donné plus de force
& une beauté plus naturelle à ce genre de Poësie, lorsqu’à
ces Fables surannées il a substitué les idées superstitieuses
qui regnent parmi nos Bergers. Pour remedier donc à une pratique
si absurde & si ridicule, en qualité d’Inspecteur & de
Censeur général de la Grande Bretagne, je vais publier l’Edit
suivant.
Ejemplo
Homere & Virgile pouvoient relever la gloire de leurs
Héros en mêlant leurs exploits avec les actions des Dieux ;
mais si un Auteur Chrétien recevoit le Système du Paganisme,
s’il traitoit le Prince Eugene de Favori de Mars, ou s’il
établissoit une fidéle correspondance entre Bellone & le
Maréchal de Villars, ce seroit une grande
puérilité, & une faute impardonnable à un Poëte qui
auroit plus de quinze ans. Un Génie qui ne fait pas décrire
des réalitez, ni les mettre dans tour leur jour manque
d’élévation, & c’est ce qui l’oblige de recourir à la
vaine pompe de ces Fables usées : De là vient aussi qu’un
Homme peut faire une jolie description d’Apollon ou de
Bacchus ; n’a pas l’art de tracer le Caractére d’aucun de
ses Contemporains.
Relato general
« D’autant que, selon
toutes les apparences, on traitera bientôt d’une Paix
générale, que nous sommes informez d’ailleurs qu’il y a
diverses Personnes spirituelles qui ont dessein d’emploïer
leur veine poëtique à celébrer un si heureux événement,
& que nous voulons prévenir, autant qu’en nous est cette
grande éfusion de Galimathias qui est fort à craindre en
pareille rencontre, Nous enjoignons expressément à tout
Homme qui écrira sur le sujet de se souvenir qu’il est
Chrétien, & qu’il ne doit pas sacrifier son Catéchisme à
sa Poësie. Pour cet éfet, j’exige de lui en premier lieu,
qu’il composera lui-même ses Vers, sans atendre qu’Apollon
lui en inspire aucun, & sans invoquer aucune des Muses.
Je lui défens aussi positivement d’envoïer Mercure avec quelque message ou quelque dépêche qui regarde
la Paix, & je ne soufrirai point que Minerve prenne la
forme d’aucun des Plénipotentiaires emploïez à ce grand
Ouvrage. D’ailleurs, je ne permettrai pas que les Destinées
aient eu aucune part à la mort de tant de milliers d’Hommes
qui ont été tuez dans cette Guerre ; puis qu’il est facile
d’en rendre compte par le Système Chrétien de la Poudre à
Canon & des Bales. C’est pourquoi je ne veux point
absolument que le Destin se mêle de couper le fil de la Vie
Humaine sous quelque prétexte que ce puisse être, à moins
que ce ne soit en faveur de la Rime. Et d’autant que nous
avons grand sujet de craindre que Neptune aura bien de
l’ouvrage sur les bras dans les divers Poëmes qui sont déja
sans doute sur l’Enclume, je m’oppose à son entrée, si ce
n’est dans une Métaphore, une Similitude, ou quelque courte
Allusion, & qu’en ce cas-là même il ne soit admis
qu’avec la plus grande circonspection du monde. J’ordonne la
même chose à l’égard de tous ses Confreres, & j’ai
résolu de condamner au feu tout Poëme où Jupiter est
introduit la foudre à la main, où il tonne, ou exerce aucun
autre acte d’une Autorité qui ne lui apartient pas : En un
mot, j’en bannis tout Agent du Paganisme, & toute
relation d’aucun Fait qu’on ne sauroit croire en bonne
conscience. Bien entendu toujours qu’aucun de
ces reglemens ne s’étendra point à plusieurs de nos Poëtes
Femelles, qui resteront en pleine possession de leurs Dieux
& de leurs Déesses, comme si cet Edit n’avoit jamais été
publié. »