Le Spectateur ou le Socrate moderne: XLVI. Discours
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XLVI. Discours
Zitat/Motto
Vera redit sacies,
assimulata perit.
Et bannissant la seinte, il repend son visage.
Petr. Satyr. Cap. 80.
1Chacun quite son personnage,Et bannissant la seinte, il repend son visage.
Metatextualität
Sur les faux reportes
qui se debitent entre les diférens Parties.
Metatextualität
Sur les faux reportes
qui se debitent entre les diférens Parties.
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Brief/Leserbrief
Mr. le Spectateur, « Il y a
bien des années que je soutiens hautement, qu’il y a
trés-peu de gens qui puissent voir ou entendre,
c’est-à-dire qui puissent porter au juste ce qu’ils ont
vû ou entendu, soit par incapacité naturelle ou par
préjugé ; deux Causes, dont l’une ou l’autre sufit pour
mettre presque tout Homme qui vous parle hors d’état de
vous representer les choses comme il devroit. De-là
vient que j’ai résolu de ne rien croire de tout ce qu’on
me dit, & que j’ai le dernier mépris pour les Hommes
qui aiment à narrer. Je les apelle aussi des Raconteurs
de Faits, quoi que, selon mes idées, ils passent toute
leur vie à n’en raporter aucun. Lors que le Prince
Eugene étoit ici, il n’y eut pas moïen d’avoir une
description exacte de sa taille ni de
sa figure, jusqu’à ce que vous, Mr. le Spectateur, en
eussiez rendu compte au Public. Quand on veut raporter
ce qu’un autre a dit, on doit prendre garde que la force
de l’Expression consiste plus dans l’air du visage, le
ton de la voix, ou le geste, que dans les paroles
mêmes : Celles-ci répétées d’une tout autre maniere par
ceux qui ne savent pas bien discerner les choses ont un
sens très-diférent de celui qu’elles avoient d’abord.
J’avouë que cette Observation m’a valu beaucoup, &
que j’en ai tiré un gros profit. Aussitôt que
j’entendois quelqu’un narrer un Fait avec chaleur &
l’apuïer sur de grandes Autoritez, je ne manquois jamais
de gager tout ce qu’on vouloit que cela n’étoit pas. A
la vérité, je ne fixois pas la maniere dont la choie
étoit arrivée ; mais comme une chose peut arriver de
cent diférentes manieres, outre celle qui subsiste déja,
il y a voit quatre-vingt-dix-neuf contre un que je
gagnerois. Ce n’est pas tout, j’avois si bien trouvé le
secret d’échaufer mon Homme dans le sort de sa
Narration, que je l’engageois insensiblement à y jetter
du Merveilleux ; &, s’il avoit quelque vivacité, il
alloit ensuite de lui-même jusques à l’impossible. Au
reste c’est toujours ici le moment favorable, auquel on
doit fixer la Gageure. Mais il y faut procéder avec une
délicatesse extrême & une grande circonspection,
puis que sans cela on pourroit en venir à
une Dispute, qu’il faudrait vuider, suivant l’ancien
usage, à la pointe de l’Epée. J’ai été fort heureux dans
mes paris, & j’en ai même gagne quelques-uns à ceux
qui se piquent d’avoir de très-bonnes Correspondances,
& à qui il en coûte bien cher pour être mal informez
de ce qui se passe plûtôt que le reste du monde. Après
avoir gagné une bonne Somme en m’oposant aux bruits
publics, je suis parvenu à un si haut degré
d’inatention, sur tout pour ce qui regarde les raports
des diférens Partis, que, lors qu’on me croit le plus
occupé à les entendre, je ne sais pas un seul mot de ce
qu’on dit, & que je m’entretiens de mes propres
pensée, avec le plus grand calme du monde, soit qu’elles
roulent sur quelque chose de sérieux ou de divertissant.
Cette inatention m’est devenue nécessaire à cause d’un
Acte de Parlement passé en dernier lieu, qui met tous
ceux qui mentent en faveur de nos Partis à l’abri de
païer leurs Gageures, & qui rend ainsi tout-à-fait
inutile la peine qu’on auroit de les écouter. Cependant
la Civilité oblige un honnête Homme de jouer le rôle
d’une Personne fort atentive, dont la véritable posture,
dans les Caffez publics, consiste, & je ne me
trompe, à s’accouder sur une Table, & à se presser
bien la poitrine contre le bord, puis que votre atenion
est d’autant plus gracieuse, qu’elle vous
donne plus de peine, & que le Discoureur s’imagine
que vous y êtes insensible par le plaisir que vous
prenez à l’entendre. Frapefort a causé bien des
quérelles & des brouilleries mal à propos ; & je
vis l’autre jour un Homme, dans un Caffé, qui voulut
m’en rendre compte, parce, disoit-il, qu’il y avoit été
present. Mais, par cela même, je ne crus pas qu’il s’en
pût aquiter ; parce qu’il me parut du nombre de ceux qui
ne savent pas faire usage de leurs yeux ni de leurs
oreiles, qui voient & qui entendent tout à rebours.
Quoi qu’il en soit, je l’écoutai avec la même ardeur,
que Shakespeare attribue à un Forgeron dans ces quatre
Vers : J’avoue que les
Déclamateurs des Caffez publics ne causent plus chez moi
la même surprise qu’ils y excitoient autrefois, persuadé
qu’ils ont leurs vûes, &, qu’ils s’atendent à être
récompensez de leur criaillerie. Quoi qu’il en soit, il
y a deux sortes de ces Menteurs. Les uns, ont un grand
fonds d’Impudence & une Mémoire fort
heureuse ; les autres joignent à ces qualitez de la
pénétration & un stile doucereux & coulant.
Ceux-ci n’ont que certains Chefs généraux, sur lesquels
ils poussent l’Eloquence aussi loin qu’ils la peuvent
porter, & je les nomme Embélisseurs. Les autres ne
sont que répéter ce qu’ils ont oüi dire, avec toute
l’exactitude qu’on peut atendre de leur génie & de
leur zèle, & je les nomme Répétiteurs. Il y a
quelques années que nous avions ici un Gaillard, qui, le
matin à huit heures, debitoit un Mensonge à
Charing-Crofs, & qui le poursuivoit ensuite dans
tous les Quartiers de la Ville jusques à huit heures du
soir. Alors il se rendoit à une Coterie dé ses Amis,
qu’il divertisoit par le recir de la maniere dont on
l’avoit critiqué au Caffé de Guillaume dans le
Covent-Garden, du danger que l’on y avoit trouvé au
Caffé de Child, & des conséquences que l’on en
tiroit pour les Fonds publics à celui de Jonathan. J’ai
eu l’honneur de poursuivre quelquefois, avec cet
Eveillé, un de ses Mensonges, & j’ai été present
lors qu’on lui en a dépeint l’Auteur à lui-même, tantôt
comme grand ou petit, tantôt comme noir ou blanc, tantôt
comme un honnête Homme ou un Belitre, suivant que le
raport le trouvoit conforme ou oposé au goût de ceux qui
nous en parloient. Cela me fait souvenir de ce que j’ai
oüi dire à un de nos ingénieux Ecrivains de
Nouvelles. Lots qu’on le venoit prier d’insérer un
Avertissement, au bas de sa Gazette, sur en Aprenti qui
avoit deserté son Maître, ou sur une Femme qui avoit
abandonné son Mari, il exhortoit, le Raporteur à se
calmer un peu, avant que de lui dicter la description de
la Personne fugitive, convaincu qu’animé de colère, il
la dépeindroit mal, qu’il seroit impossible de la
trouver jamais à la vûe d’un tel Portrait. Je pourrois
vous insinuer plusieurs Remarques de la même nature, qui
serviroient à connoîtte l’espprit & le génie de tous
les Partis ; mais, Je laisse à votre sagacité le choix
de perfectionner ou de négliger cette Spéculation. Je
suis, &c. »
Zitat/Motto
L’autre jour en
passant je vis un Forgeron, Le marteau à la main,
& la gueule béante, Avaler à longs traits d’un
Tailleur Fanfaron Le recit surprenant, qui
l’entraîne & l’enchante.
1Voyez Tome I. pag. 327. du Petrone Latin, & François, suivant se MS. Trouvé à Belgrade en 1688. nouv. Edit. in 8. 1709.