Tam cari capitis ? —— —— ——
Hor. L. I. Ode XXIV. I.
Ah ! pourquoi rougirois-je de pleurer la mort
d’une Personne qui m’étoit si chere ?
Spectateur,
« Vous avez témoigné une si juste estime sur l’état du Mariage, que
c’est ce qui me fait hasarder à vous écrire cette Lettre, sans
craindre de passer pour ridicule, & à vous avouer ingénûment
que, quoi qu’il y ait déja trois Mois que j’ai
Je souhaiterois, mon cher Monsieur, qu’il vous fût possible de sentir ces agréables agitations, & de convaincre les Débauchez de ce Monde qu’ils sont incapables de goûter le bonheur, dont les Personnes vertueuses jouissent au milieu même de leurs disgraces.
Soufrez d’ailleurs que je vous interrompe quelques momens de plus,
& que je vous parle de la maniere dont ma Femme mourut. Elle
prit congé de toute sa Famille, & endura la vaine aplication de
tous les Remedes qu’on lui fit avec la plus grande patience du
monde. Lors que le Medecin lui eut anoncé qu’elle ne devoit plus
compter sur la Vie, elle pria du mieux qu’elle pût, tous ceux qui
étoient dans la Chambre de se retirer, à la réserve de moi seul.
Ensuite elle me dit, qu’elle étoit résignée à la volonté de Dieu,
& que je savois aussi bien qu’elle tout ce qui regardoit nos
affaires temporelles ; mais qu’elle avoit souhaité d’être seule avec
moi, pour me rendre, sans aucune interruption, ses derniers devoirs,
en presence de Dieu, &
Je me retiens ici & je ne veux pas vous dire que cette générosité
me déchira le cœur. Au lieu des reproches que j’en devois atendre,
pour m’être emporté quelquefois contre elle, elle me remercie de
toutes mes bontez : Quelle grandeur d’Ame ! Quel ménagement ! Et
pouvoit-on jamais avoir trop de bonté pour une Femme de ce mérite ?
Ce fut alors que tout ce que je lui avois dit en ma vie, que toutes
les occasions de chagrin & de joie qu’il y avoit eu entre nous,
vinrent en foule s’emparer de mon Esprit ; & lors que bientôt
après je vis les symptomes de la Mort se manifester sur ce cher
Corps que j’avois embrassé tant de fois avec ardeur ; lors que je
vis ces aimables yeux se couvrir du nuages épais, & se fixer sur
moi dans leur dernier éfort, je ne me possedai plus & je perdis
toute patience. Elle expira entre mes bras ; &, dans le trouble
qui m’agitoit, il me sembla que je voïois son sein s’élever encore.
Il y avoit sans doute quelque petit reste de vie ; Je lui criai
qu’elle venoit de me par1er : Mais hélas ! un Vertige me faisit,
tout me parut en mouvement autour
L’Instruction qu’on peut tirer de ce recit, & que je vous prie de faire valoir, est, Que, dans tous les Gens de bien, il y a une certaine égalité d’Ame, qui éclate au milieu même de leurs aflictions, & qui en diminue la violence. Quoi qu’ils soient exposez aux mêmes revers que les autres Hommes, le sentiment qu’ils ont de leur Vertu en afoiblit le coup, & l’utilité qu’ils reçoivent alors de celle- ci ne sert qu’à lui donner plus de vigueur. Je voulois vous engager à nous fournir des Régles pour vaincre ces aflictions ; mais il me semble qu’il vaudrait mieux nous enseigner la pratique de la Vertu, qui seule nous rend capables de les soutenir.
Vous autres, Gens de Lettres, avez ce qu’on apelle un goût fin &
délicat pour bien juger de tout ce qui est dit ou fait à propos : Il
y a quelque chose de cette nature profondement gravé dans l’Ame de
tout honnête-Homme, qui a de la candeur & de l’intégrité. Il a
un souverain mépris pour tout ce qui est faux, vicieux, ou indigne,
quand tout le monde l’aprouveroit. D’ailleurs il est très-sensible
aux plaisirs & aux soufrances qui lui conviennent, lors que son
devoir l’y engage. Ne paroître point afligé lors que la Bienséance
& l’Amitié le demandent, est plûtôt, selon moi, la marque d’un
Stupide, que de ne sentir pas la beau-Spectateur, que les
Hommes bien-faits, & polis d’aujourd’hui se piquent d’être
insensibles, & de n’avoir presque aucune Humanité. Celui qui est
toûjours prêt à tuer son Ennemi, passe pour un brave ; mais celui
qui regrette la Femme qu’il a perdue & qu’il chérissoit, n’est
pas dans le même degré de réputation. Quel nombre infini de bonnes
& de solides pensées ne nous debiteriez-vous pas, si vous
réflechissiez sur les Personnes qui sont les plus capables de la
tristesse, dont je viens de vous parler ? J’ose même avancer
qu’après en avoir fait un sérieux examen, vous trouverez que ce sont
les plus braves & les plus sages qu’il y ait au Monde. Je suis,
&c. »
F.I.
T.