Le Spectateur ou le Socrate moderne: XLIV. Discours
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XLIV. Discours
Zitat/Motto
Inde hominum pecudúmque
genus, vitæque volantum,
Et quae marmoreo sert monstra sub æquore pontus.
Et quae marmoreo sert monstra sub æquore pontus.
Virg. Æneid. VI. 728.
De là sont venus les Hommes, les Bêtes à quatre piez, les Oiseaux, & les Monstres, que la Mer nourrit.Metatextualität
Observations sur la
Structure de l’Univers, & sur le nombre indefini d’Etres
qu’il y a au-dessous & au-dessus de l’Homme.
Metatextualität
Observations sur la
Structure de l’Univers, & sur le nombre indefini d’Etres
qu’il y a au-dessous & au-dessus de l’Homme.
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Quoi qu’il y ait un plaisir
extraordinaire à contempler le Monde matériel, je veux dire ce
Système de Corps célestes que la Nature a formé, avec tant
d’art, de la Matiere insensible, & les diférentes relations
que ces Corps ont les uns avec les autres ; il y a toûjours, ce
me semble, quelque chose de plus étonnant & qui frape
davantage dans la contemplation du Monde vital, c’est-à-dire de
tous ces Animaux, dont chaque Partie de l’Univers est ornée. Le
Monde Materiel n’est que l’écorce de l’Univers : Le Monde vital
en fournit les Habitans. Si nous examinons ces Parties du Monde
de matériel qui sont le plus près de nous, & qui deviennent
ainsi le sujet de nos observations & de nos recherches, il
est surprenant de penser au nombre infini d’Animaux qu’elles renferment. Chaque partie de la Matiere est peuplée :
Chaque Feuille verte nourrit un effain d’Habitans. A peine y
a-t-il une seule Humeur dans le Corps de l’Homme, ou celui de
tout autre Animal, où nos Microscopes ne découvrent des Millions
de Créatures vivantes. La surface des Animaux est aussi remplie
d’autres Animaux, qui servent à leur tour de base & de
pâture à d’autres : Que dis-je ? Dans les Corps les plus
solides, & dans le Marbre même, il y a des Cellules &
des Cavitéz qui fourmillent de ces Habitans, que leur petitesse
dérobe à nos yeux. D’un autre côté, si nous envisageons certains
Amas de la Nature & autres Corps plus lourds, nous voïons
les Mers, les Lacs & les Rivières abonder en plusieurs
Especes de Créatures vivantes : Nous voïons les Montagnes &
les Marais, les Deserts & les Bois, remplis d’Oiseaux &
de Bêtes à quatre pieds, & que chaque partie de la Matiere
fournit les nécessitez & les commoditez de la vie à toutes
les armées de ses Habitans. 1L’Auteur des Entretiens sur la pluralité
des Mondes tire, de cette considération, un très-bon Argument
pour faire voir que toutes les Planétes doivent être habitées.
En effet, puis qu’aucune partie de la Matiere qui nous est
connue ne demeure point inutile ni deserte, il s’enfuit par la
même raison, ou du moins il est fort probable, que ces vastes Corps, qui roulent à une distance si éloignée de
nous, sont remplis d’Etres proportionnez aux Lieux & à
l’état où ils se trouvent. L’Existence n’est un Bien que pour
les Etres douez de perception, & ne sert de rien, pour ainsi
dire, à la Matiere inanimée, qu’en ce qu’elle est de quelque
usage aux Etres qui sentent leur existence. De là vient, suivant
que nous le pouvons observer à l’égard des Corps qui nous
environnent, que la Matiere n’est faite que pour être la base
& le suport des Animaux, & qu’il n’y en a pas plus de
l’une, qu’il n’en faut pour l’existence des autres. La Bonté
infinie est si communicative, qu’elle se plaît à donner
l’Existence à chaque degré d’Etre capable de perception, j’ai
souvent médité là-dessus avec tant de plaisir, que je m’y
étendrai volontiers, & que j’examinerai cette partie de
l’Echelle d’Etres qui s’ofre à notre connoissance. Il y a
quelques Créatures vivantes qui s’élèvent tout juste au-dessus
de la Matiere insensible. Telle est, par exemple, pour n’en
alléguer aucune autre, cette Espece de Poisson à Coquille, formé
en Cone, qui croît sur la superficie de certains Rochers, &
qui meurt aussitôt qu’on l’en sépare. Il y a plusieurs autres
Créatures qui ne sont qu’à un degré au-dessus de celles-là,
& qui n’ont pour tous Sens que ceux de l’Atouchement &
du Goût. On en voit d’autres qui ont de plus celui de l’Ouie :
d’autres celui de l’Odorat, & d’autres
celui de la Vûe. On ne peut qu’admirer la’ progression graduelle
que fait le Monde vital à travers une infinie varieté d’Especes,
avant qu’il arrive à une Créature complete & formée avec
tous ses Sens. Entre celles-ci même, le diférent degré de
perfection, à l’égard des Sens, dont un Animal joüit au-dessus
d’un autre, va si loin, que malgré le même nom que le Sens porte
en divers Animaux, on le croiroit presque d’une autre nature. Si
nous observons ensuite leurs perfections internes, leur Ruse
& leur Sagacité, ou ce qu’on apelle en général leur
Instinct, nous trouverons qu’elles s’élèvent de même
imperceptiblement les unes au-dessus des autres, selon la
diversité des Animaux qui les possedent. Cette Progression dans
la Nature est si fort graduelle, que la plus parfaite Créature
d’une Espece inferieure aproche beaucoup de la plus imparfaite
de celle qui est immédiatement au-dessus. J’ai déjà insinué que
la Bonté transcendante de l’Etre suprême, qui a foin de tous ses
Ouvrages, paroit manifestement en ce qu’il n’y a presque point
de Matiere, de celle qui nous est connue, qui ne foit remplie de
Créatures vivantes ; mais elle n’éclate pas moins dans leur
diversité que dans leur multitude. S’il n’avoir fait qu’une
Espece d’Animaux, aucun des autres n’auroit joüi du bonheur de
l’Existence ; & c’est pour cela même, que, dans la Création
il a réduit en Espece chaque degré de Vie, chaque
capacité d’Etre. Tout l’Entre-deux qu’il y a, depuis une Plante
jusques à un Homme, est rempli de diverses sortes de Créatures,
qui s’élèvent les unes au-dessus des autres, par une gradation
si aisée & si douce, que les partages & les petits
détours d’une Espece à une autre sont presque insensibles. Ce
Vuide, ou ce Milieu, est si bien ménagé, qu’à peine y a-t-il un
degré de Perception qui ne se manifeste dans quelque partie du
Monde viral. Est ce la Bonté ou la Sagesse du Maître de
l’Univers, qui éclate le plus dans cette conduite ? Outre les
conséquences que j’ai tirées de ces Observations, il y en a une
qui s’en déduit fort naturellement. Si l’Echelle des Etres
s’élève par une progression si régulière jusques à l’Homme, nous
avons droit de suposer qu’elle monte, par les mêmes degrez,
entre les Etres qui sont d’une Nature supérieure à la sienne,
puis qu’il y a infiniment plus d’espace pour divers degrez de
perfection, entre l’Etre suprême & l’Homme, qu’il n’y en a
entre l’Homme & le plus vil de tous les Insectes. Mr. Locke,
dans son Essai philosophique sur l’Entendement Humain, a conclu
cette grande varieté d’Etres supérieurs à nous, de la varieté
qu’il ya entre ceux qui nous sont inférieurs, j’en citerai le
passage au long, après avoir observé que, malgré l’espace infini
qu’il y a entre l’Homme & son Créateur, il est impossible
que ce Vuide soit jamais rempli, puis qu’il y aura
toûjours une distance infinie entre l’Etre créé le plus parfait
& le Pouvoir qui l’a produit. 2 Dans ce
Système d’Etres créez, il n’y en a point de si merveilleux, ni
qui soit aussi digne de notre atention particuliere que l’Homme,
qui tient le milieu entre la Nature Animale &
l’Intellectuelle, le Monde visible &
l’invisible, & qui est ce Chaïnon, dans la Chaîne des Etres,
qu’on a souvent nommé 3le lieu de l’un & de l’autre Monde. En un mot,
celui qui d’un côté peut regarder l’Etre infiniment parfait
comme son Pere, les Anges, les Archanges & les Esprits du
plus haut rang comme ses Freres, peut de l’autre 4dire à la Corruption, tu es mon Père,
& aux Vers, vous êtes ma Mere & ma Sœur.
Zitat/Motto
Il me semble, dit Mr. Locke, qu’on peut conclurre
probablement, de ce que dans tout le Monde visible &
corporel nous ne remarquons aucun vuide, qu’il dévroit y
avoit plus d’Especes de Créatures intelligentes au-dessus de
nous, qu’il n’y en a de sensibles & de matérielles
au-dessous. En effet, à descendre depuis nous jusques aux
Créatures les plus viles, le passage de l’une à l’autre se
fait d’une maniere presque insensible, & par une suite
continuée d’Etres, qui, dans chaque variation d’Espece,
diférens très-peu l’un de l’autre. Il y a des Poissons qui
ont des aîles, & à qui l’Air n’est pas étranger.
D’ailleurs, il y a des Oiseaux qui habitent dans l’Eau, qui
ont le sang froid comme les Poissons, & dont la chair a
si bien le goût, qu’on permet aux scrupuleux d’en manger
durant les jours maigres. Il y a des Animaux qui aprochent
si fort de l’Espece des Qiseaux & des Bêtes à quatre
pieds, qu’ils tiennent le milieu entre-deux. Les Amphibies
participent également des Animaux terrestres & des
aquatiques. Les Veaux marins vivent sur la Terre & dans
la Mer ; & les Marsouins ont le sang chaud & les
entrailles d’un Cochon, pour ne rien dire de ce qu’on
raporte des Sirenes ou des Hommes marins. Il y a des Bêtes
qui semblent avoir autant de connoissance & de raison
que quelquesuns de ces Animaux qu’en apelle
Hommes ; & il y a une si grande proximité entre les
Animaux & les Vegetaux, que, si vous prenez le plus
imparfait de l’un & le plus parfait de l’autre, à peine
remarquerez-vous aucune diférence considérable entre eux.
Ainsi, jusqu’à ce que nous arrivions aux plus basses &
moins organisées parties de matiere, nous trouverons par
tout que les diférentes Especes sont liées ensemble, &
ne diférent que par des degrez presque insensibles. D’un
autre côté, lors que nous considérons la puissance & la
sagesse infinie de l’Auteur de toutes choses, nous avons
sujet de penser que c’est une chose conforme à la somptueuse
harmonie de l’Univers, & au grand dessein, de même qu’à
la bonté infinie de ce souverain Architecte, que les
diférentes Especes de Créatures s’élevent aussi peu à peu,
depuis nous, vers son infinie perfection, comme nous voyons
qu’elles vont depuis nous en descendant par des degrez
presque insensibles. Cela une fois admis comme probable,
nous avons raison de nous persuader qu’il y a beaucoup plus
d’Especes de Créatures au-dessus de nous qu’il n’y en a
au-dessous, parce que nous sommes beaucoup plus éloignez en
degrez de perfection de l’Etre infini de Dieu, qui du plus
bas état de l’Etre, & de ce qui aproche le plus du
néant. Cependant nous n’avons aucune idée claire &
distincte de toutes ces diférentes Especes.