Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XLII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\042 (1723), S. 258-263, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1431 [aufgerufen am: ].


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XLII. Discours

Zitat/Motto► Heu pietas ! heu prisca fides ! —— —— ——

Virg. Æneid. VI. 873.

Hélas ! quel amour n’avoit-il pas pour la Patrie ! hélas, quelle franchise du vieux tems ne remarquoit-on pas dans toute sa conduite ! ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Sur la Mort de Mr. le Chevalier de Coverly. ◀Metatextualität

Ebene 2► Hier au soir à notre Coterie, nous reçumes une trisite nouvelle, qui nous afligea tous au dernier point. Je ne doute pas même que mes Lecteurs n’en soient touchez, lors qu’ils aprendront que le Chevalier Roger de Coverly est mort. Il finit ses jours dans sa Maison à la Campagne, après avoir été malade quelques semaines. Le Chevalier André Freeport eut une Lettre d’un de ses Correspondans de ces Quartiers-là, qui lui annonce que ce bon Vieillard s’étoit enrheumé aux Assises de la Province, lors qu’il y travailloit avec ardeur à obtenir l’effet d’une Requête, qu’il avoit dressée luimême, & qui avoit eu tout le succès qu’il en pouvoit atendre. Mais cette particularité vient d’un Juge de Paix Whig, qui étoit l’Ennemi & l‘Antagoniste déclaré du Chevalier. J’ai des Lettres du Chapelain & du Capitaine Sentry, qui n’en disent mot, quoi que remplies d’un détail, qui fait honneur à la mé-[259]moire de ce bon Vieillard. Mon Ami le Sommelier, qui prit tant de foin de moi l’Eté dernier lors que j’étois à la Maison du défunt, m’en a écrit une dans la simplicité de son cœur. Metatextualität► Il y a bien des Circonstances que les autres n’ont pas relevées, & c’est aussi pour cela que j’en vais faire part au Public, sans y rien ajouter ni diminuer. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mon très-honoré Monsieur,

« Sachant que vous étiez le bon Ami de mon vieux Maître, je n’ai pû m’empêcher de vous écrire la triste nouvelle de sa Mort, qui a afligé tout le Païs, aussi bien que ses pauvres Domestiques, qui l’aimoient, à coup sûr, plus que leur propre vie. Je crains fort qu’il n’attapât son Mal aux dernieres Assises de la Province, où il voulut aller, pour faire rendre justice à une pauvre Veuve, & à ses Enfans, qu’un Gentilhomme du voisinage oprimoit ; car vous savez, Monsieur, que mon bon Maître étoit toujours l’Ami du Pauvre & de l’Orphelin. A son retour, la premiere chose dont il se plaignit fut qu’il n’avoit plus de goût pour le Bœuf rôti, n’aïant pû manger d’un Aloïau, qu’on lui avoit servi à l’ordinaire, & vous savez qu’il aimoit beaucoup cette piéce-là. Depuis ce moment, il empira de jour en jour, quoi qu’il eût bon courage jusques à la fin. Il est vrai qu’une fois nous eumes grande espérance qu’il en revien-[260]droit, à l’occasion d’une Civilité, que la Dame Veuve, qu’il avoit courtisée les quarante dernieres années de sa Vie, lui envoïa faire ; mais ce ne fut qu’une petite lueur qui préceda sa Mort. Il a légué à y cette Dame, comme une marque de son Amour, un Colier de grosses Perles, & deux Bracelets d’argent enrichis de Joïaux, qui avoient apartenu à ma bonne vieille Maitresse la Mere de mon Chevalier. Il a legué au Chapelain le Hongre blanc, qui est si beau & qu’il mentoit lui-même quand il alloit à la Chasse, parce qu’il a cru qu’il en auroit grand foin, & il vous a laissé tous ses Livres. D’ailleurs il a donné au Chapelain une fort jolie Maison, avec de bonnes terres qui en dépendent. Le jour qu’il fit son Testament, le froid etoit si rude, qu’il laissa pour Deuil à tous les Hommes de la Paroisse au Surtout de Frise, & à toutes les Femmes une Capote noire. Ce fut le plus triste spectacle du monde de le voir dire adieu à ses pauvres Domestiques, & nous louer tous de notre fidélité, pendant que nous pleurions à chaudes larmes, sans pouvoir ouvrir la bouche. Comme nous avons presque tous grisonné au service de notre cher Maître, il nous a laissé des Pensions, qui nous mettent en état de vivre fort à notre aise le reste de nos jours. Il a fait plusieurs autres Legs charitables, qui ne sont pas venus jusques-ici à ma connoissance ; mais [261] on soutient qu’il a laissé de l’argent pour bâtit un Clocher à l’Eglise, car on lui a entendu dire, il y a quelque tems, que, s’il vivoit encore deux années, l’Eglise de Coverly auroit un Clocher. Le Chapelain dit à tout le monde qu’il a fait une très-belle fin, & il ne parle jamais de lui que les larmes aux yeux. Il a été inhumé, comme il l’avoit preferit, avec ses Ancêtres de Coverly, à la gauche de son Pere le Chevalier Arthur. Le Cercueil fut porté par six de ses Fermiers, & le Drap mortuaire par six de principaux Juges : Toute la Paroisse en Deuil & le cœur pénétré de douleur suivoit le Corps, les Hommes avec leurs Surtouts de Frise, & les Femmes avec leurs Capotes. Le Capitaine Sentry, Neveu de mon Maître, s’est mis en possession de tout le Bien. Lors que mon M vieux Maître le vit un peu avant sa Mort, il lui ferra la main, lui souhaita de jouïr en paix de son Héritage, & le pria d’en faire un bon usage, & de païer tous les Legs & les Dons charitables, qu’il laissoit, lui dit-il, comme des Censives ou des Redevances fondées sur ses terres. Le Capitaine paroit fort civil, quoi qu’il ne dise pas grand’ chofe. Il fait bien des caresses à ceux que mon Maître aimoit, sans oublier le vieux Chien de la Maison, qui étoit le Favori de mon Maître, comme vous savez. Si vous aviez entendu les cris lamentables que cette [262] pauvre Bête poussa le jour que mon Maître mourut, ils vous auraient percé le cœur. Il ne s’est plus soucié de rien depuis ce moment, non plus que nous. Ce fut la plus triste journée pour les Pauvres qu’il y ait jamais eu dans la Province d’Worcester. C’est tout ce que peut vous dire, &c. »

Edouard Poiblanc.

P.S. « Quelques semaines avant que mon Maître mourut, il exigea qu’un Livre, qui vous est adressé par la voie de Routier, fût donné, de sa part à Mr. le Chevalier Freeport. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Cette Lettre du pauvre Sommelier, quoi qu’écrite à sa maniere, nous donna une si haute idée de notre bon Ami défunt, qu’à sa lecture, il n’y eut pas un seul Membre de la Coterie qui ne versât des larmes. A l’ouverture du Livre que je remis au Chevalier Freeport, il trouva que c’étoit un Recueuil d’Actes de Parlement. Il y avoit, entre autres, l’Acte d Uniformité, dont quelques endroits, marquez de la propre main du défunt, se raportoient à deux ou trois Points, sur lesquels ils avoient disputé ensemble la derniere fois que Mr. De Coverly parut à la Coterie. Le Chevalier Freeport, qui, dans une autre occasion, auroit badiné là-dessus, à la vue de l’ecriture du bon Vieillard, ne pût retenir ses larmes, & mit le Livre dans sa po-[263]che. Le Capitaine Sentry m’avertit, que son Oncle a laissé des Bagues & des Habits de deuil pour tous les Membres de la Société. ◀Ebene 2

O. ◀Ebene 1