Le Spectateur ou le Socrate moderne: XLI. Discours
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XLI. Discours
Citation/Motto
Sed me Parnassi deserta
per ardua dulcis
Raptat amor : juvat ire jugis, quâ nulla priorum
Castaliam molli divertitur orbita clivo.
Raptat amor : juvat ire jugis, quâ nulla priorum
Castaliam molli divertitur orbita clivo.
Virg. Georg. III. 291.
L’Amour m’entraine jusqu’au sommet le plus élevé & le plu solitaire du Parnasse : Je me plais à m’y promener dans les lieux, où nos Ancêtres n’ont jamais été, & qui conduisent, par une douce pente, à la Fontaine Castalie.Level 2
Level 3
Letter/Letter to the editor
Mr. le Spectateur, « Je me
retirai l’autre foit un peu plus tard qu’à mon
ordinaire, & je me trouvai si éveillé, que je pris
Virgile pour me divertir, jusqu’à ce que je sentisse
plus de disposition au sommeil. C’est l’Auteur que je
choisis toûjours en pareil cas ; parce que, selon moi,
il n’y en a point qui écrive d’une maniere si divine, si
harmonieuse, ni si égale, qui calme l’Esprit & le
dispose à une agréable mélancolie ; situation, que je
préfete à toute autre, pour la cloture de la Journée.
Je lûs ces beaux traits, qu’on voit
dans ses Géorgiques, où il se déclare entierement dévoué
au service des Muses, & si charmé de la Poësie,
qu’il souhaitoit avec ardeur de se transporter dans les
Bocages sombres & les douces retraites du Mont
Hémus. Je fermai le Livre & je m’allai coucher. Ce
que j’avois lû fit une si grande impression sur mon
Esprit, qu’il me sembla de voir accomplir en ma Personne
le souhait de Virgile, & que j’en eus le Rêve
suivant.
Ce contraste, si opposé au calme que je goûtois,
me fit éveiller en sursaut, & ne m’a laissé que
l’esperance que le récit de mon Songe ne vous déplaira
pas. »
Metatextuality
Fiction sur les difficultez qu’il y a de parvenir
à la Vertu & d’exceller dans la Poesie.
Metatextuality
Fiction sur les difficultez qu’il y a de parvenir
à la Vertu & d’exceller dans la Poesie.
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Dream
Allegory
Transporté tout d’un
coup dans les Plaines de la Béotie, j’aperçus le
Mont Parnasse à l’extremité de l’Horison. Il me
parut d’une si vaste étendue, que je me serois
fatigué long-tems à chercher un sentier qui y
menât tout droit, si je n’avois vû, à quelque
distance, un Bocage, qui me détermina d’abord à
marcher de ce côté-là, quoi que dans la Plaine, où
il étoit situé, il n’y eût rien d’assez
remarquable pour fixer ma vûe. Lorsque j’y fus
arrivé, je le trouvai partagé en une infinité de
Promenades & d’Allées, qui s’élargissoient en
divers endroits, où elles formoient de beaux
Cercles ou de grandes Ovales, environnez d’Ifs
& de Cyprès, entre lesquels on voïoit des
Niches & des Grotes couvertes de Lierre. On
n’y entendoit aucun autre bruit que celui d’un
doux Zephir, qui remuoit un peu les feuilles des
Arbres, & tout y paroissoit enseveli dans un
profond silence. Je fus charmé de la
beauté de cette Solitude, & jamais de ma vie
je n’avois pris tant de plaisir à être seul, &
à m’entretenir de mes pensées. Dans cet heureux
état, je me promenai d’un côté & d’autre, sans
choix & sans dessein, jusqu’à ce qu’au bout
d’une Allée d’Arbres, je vis trois Dames assises
sur un Banc de gazon, avec un Ruisseau qui couloit
à leurs pieds & qui formoit un doux murmure.
Je les adorai comme les Divinitez tutelaires du
Bois, & je m’arrêtai pour les examiner chacun
en détail. Celle du milieu, qui se nommoit la
Solitude, avoit les bras croisez l’un sur l’autre,
& paroissoit plûtôt pensive & tout-à-fait
recueillie en elle-même, que chagrine ou afligée.
La Déesse du Silence, avec un doigt sur la bouché,
étoit à sa droit, & la Contemplation, qui
avoit les yeux tournez vers le Ciel, étoit à sa
gauche. Devant celle-ci paroissoit un Globe
céleste, sur lequel on voïoit plusieurs Théoremes
de Mathématique. Elle me prévint avec la plus
grande afabilité du monde :
Apres avoir parlé de la sorte, elle se
leva de sa place, & je
m’abandonnai à sa conduite ; mais à mesure que
nous traversions le Bois, je ne pûs m’empêcher de
lui demander qui étoient ceux qu’on admettoit dans
cette agréable Retraite.
La Déesse n’eut pas plûtôt achevé son
discours, que nous arrivames à l’extrémité du
Bois, où commençoit une Plaine qui se terminoit au
pied de la Montagne. Je me tins ici plus que
jamais auprès d’elle, parce que divers Phantômes
me sollicitoient à les prendre pour Guides, &
qu’ils s’ofroient de me conduire au Mont des Muses
par un chemin plus court. La Vanité, qui avoit
séduit une infinité de Personnes, que je vis roder
çà & là au bas de la Montagne, m’importuna
plus que tous les autres. Je me détournai, avec
indignation, de cette Troupe méprisable, &
j’avertis la Déesse qui m’escortoit, que j’avois
quelque esperance de pouvoir monter une partie du
chemin ; mais que je craignois
beaucoup de n’avoir pas assez de force pour
ateindre jusqu’à la Plaine du sommet. Instruit de
sa propre bouche, qu’il étoit impossible de se
tenir sur les côtez, & que, si je n’avançois
vers le haut, je tomberois infailliblement jusques
au bas, sans en pouvoir revenir, je résolus de
n’épargner ni travail ni fatigue pour vaincre tous
les obstacles ; tant je souhaitois avec ardeur le
plaisir que j’esperois goûter à la fin de mon
entreprise. Il y avoit deux Sentiers qui
conduisoient au sommet de la Montagne, & dont
l’un étoit gardé par le Génie qui préside sur le
moment de notre naissance. D’ailleurs il avoit
ordre d’examiner les diférentes prétentions de
ceux qui vouloient passer par ce chemin-là, &
de n’y admettre que ceux que Melpomene avoit
regardé d’un œuil favorable lors qu’ils étoient
venus au Monde. L’autre Chemin étoit gardé par la
Diligence, à laquelle s’adressoient plusieurs de
ceux que le Génie n’avoit pas daigné recevoir
mais ; elle étoit si tente à leur accorder leur
demande, & ils trouvoient ensuite le Chemin si
pénible & si embarrassé, que plusieurs, après
y avoit marché quelque tems, aimoient mieux
retourner en arriere, que de continuer leur
route ; & qu’il y en avoit fort peu qui
tinssent bon jusques à la fin. Outre ces deux
Sentiers, qui conduisoient chacun à part au sommet
de la Montagne, il y en avoit un
troisiéme formé de ces deux-là, qui se joignoient
à une petite distance de l’entrée. Celui-ci menoit
tout droit au Trône d’Apollon le petit nombre de
ceux qui avoient le bonheur de le découvrir. Je ne
sai si j’aurois eu le front de me presenter à
l’une ou l’autre de ces deux Portes, si je n’avois
vû qu’un Homme, qui avoit l’air d’un Païsan, &
qui étoit suivi d’une roule d’aimable Jeunesse de
l’un & de l’autre Sexe, demandoit qu’on les
admît tous sans exception. Sa vûe me fit souvenir
de ce Païsan, dont on a mis la figure dans une
Carte, & qui servit de Guide au Prince Eugene,
lors qu’il passa les Alpes. Quoi qu’il en soit, il
avoit quantité de Papiers à la main, & il en
produisit plusieurs, qu’il dit tenir de si bonne
part, y qu’il ne doutoit pas qu’Apollon ne les
reçût comme d’excelens Passeports, entre lesquels
j’en crus voir quelques-uns de mon écriture. Du
reste toute la Bande y fut admise, & donna,
par sa presence, un nouvel éclat & de nouveaux
plaisirs à cet heureux séjour. D’ailleurs cet
honnête Homme ne cherchoit pas à y entrer
lui-même ; mais, comme une espece de Fotêtier dans
les Plaines d’un Bois, il servoit à guider les
Passagers, qui, par leur mérite personnel, ou les
instructions qu’il leur procuroit, avoient les
moïens de réussir dans ce pénible voïage. Après
l’avoir examiné fort atentivement,
je vous avouërai de bonne foi, mon cher Monsieur,
qu’à son air obligeant & modeste, je le pris
pour vous même. D’un autre côté, nous ne fumes pas
plûtôt entrez, qu’on nous aspergea, par trois
fois, d’eau de la Fontaine Aganippe, qui avoit la
vertu de nous garantir contre toutes sortes de
maux, à la réserve des traits de l’Envie, qui nous
poursuivit jusques au bout de notre Course.
Arriver au sommet de la Montagne, par le Sentier
du milieu, nous aperçumes d’abord deux Figures,
qui attirèrent toute mon atention : L’une étoit
une jeune Nymphe dans la fleur de son âge & de
sa beauté, qui avoit des aîles aux épaulés &
aux pieds, & qui pouvoit se transporter, en un
instant, jusques aux Climats les plus éloignez.
Elle changeoit à toute heure d’Habits ; on la
voïoit quelquefois mise de la maniere du monde la
plus naturelle & la plus séante, & une
autre fois elle paroissoit avec les Habits les
plus extravagans &les plus ridicules qu’on se
puisse imaginer. Il y avoit auprès d’elle un Homme
d’un âge mûr & d’un air fort grave, qui
corrigeoit ses bizarreries, qu’il lui montroit
dans un Miroir, & qui ne cessoit de jetter ses
ornemens afectez & malséans au bas de la
Montagne, où ils étoient ramassez avec foin par
les Habitans de la Plaine, qui se faisoient un
honneur de s’en parer. Cette Nymphe étoit
l’Imagination, Fille de la Liberté, la plus belle de toutes les Nymphes des
Montagnes. Son Conseiller étoit le Jugement, qui
doit sa naissance au Tems, & qui est le seul
Fils qu’il reconnoisse pour légitime. Au milieu
d’eux, il y avoit un jeune Garçon, nommé l’Esprit,
auquel ils ont donné le jour, & qui étoit
assis sur un Trône composé des Ouvrages des
Auteurs les plus célébres. Quoi que les Grecs
& les Romains en fissent le plus grand nombre,
je ne pûs que sentir une secrete joie de voir que
nos Compatriotes dominoient sur tous les autres.
En état d’examiner à loisir cet agréable séjour,
& plein d’une vigueur nouvelle, il me sembla
que je voïois tous les Objets d’une maniere plus
intime & plus satisfaisante, que je respirois
un air plus épuré, que j’étois sous un Ciel
toûjours serain, & que le Soleil y éclairoit
sans aucune interruption. Les deux sommets de la
Montagne, s’élevoient de part & d’autre, &
formoient, au milieu d’une riante Vallée, le
séjour des Muses, & de ceux qui avoient
produit des Ouvrages dignes de l’immortalité.
Apollon y étoit assis sur un Trône d’Or, couvert
d’un vieux Laurier, qui étendoit ses branches
& son ombre au dessus de sa tête. Son Carquois
& son Arc étoient à ses pieds. Il tenoit sa
Harpe à la main, pendant que les Muses, rangées
autour de lui, célébroient, par des Hymnes, sa
Victoire sur le Serpent Python,
& chantoient quelquefois les Amours de
Leucothoé & de Daphnis. Après elles, Homer,
Vergile & Milton avoient leurs places. Il y
avoit ensuite une soule d’Auteurs, entre lesquels
je fus bien surpris de voir quelques Lapons, qui,
malgré la grossiereté de leurs Habits, y avoient
été reçus en dernier lieu. Je vis Pindare se
promener tout seul, sans que personne osat
l’aborder, jusqu’à ce que 1Cowley se joignit à lui ;
mais fatigué à marcher sur ses traces, &
presque mis hors d’haleine, il le quita pour
suivre Horace & Anacréon, avec lesquels il me
parut se plaire infiniment. Un peu plus loin je
vis un autre groupe d’Auteurs, vers lesquels je
m’avançai, & je trouvai que c’étoit Socrate,
qui dictoit à Xenophon & à l’Esprit de
Platon ; mais le Poëte Musée avoit l’Auditoire le
plus nombreux autour de lui. J‘étois trop éloigné
pour entendre ce qu’il disoit, ou reconnoître le
visage de ses Auditeurs, quoi qu’il me sembla d’y
apercevoir Virgile, plein d’admiration à l’oüie de
ses paroles harmonieuses. Enfin, tout juste au
bord du sommet, je vis Boccalini, qui expediot des
Lettres au bas de la Montagne pour
instruire les Habitans de ce qui se passoit sur le
Parnasse ; mais je m’aperçus qu’il les ecrivoit à
la dérobée, sans l’aveu des Muses, & sans
qu’Apollon les revit. Elevé à cette hauteur &
environné d’un Ciel toûjours serain, je pouvois
découvrir les inquiétudes & les peines
infinies que les Hommes se donnoient en bas, pour
se fraïer un chemin à travers les labyrinthes de
la Vie. Le sentier de la Vertu me paroissoit
vis-à-vis de chacun d’eux ; mais l’Intérêt, ou
quelque Esprit malia venoit les en éloigner à tout
moment. Ainsi je n’étois pas moins sensible à mots
propre bonheur, que couché de compassion à la vûe
de leurs embarras, dont ils n’avoient pas la force
de se délivrer.
Level 5
Dialogue
Ne craignez pas, me
dit-elle ; je fais quelle est votre intention,
sans que vous ouvriez la bouche ; vous
souhaiteriez qu’on vous conduisît à la Montagne
des Muses : C’est ici le seul chemin par lequel on
y puisse aller, & il n’y a personne qui soit
aussi souvent emploïé que moi, pour servir de
Guide à ceux qui font ce voyage.
Level 5
Dialogue
Assûrément, lui
dis-je, il n’y a rien qui puisse entrer ici que la
Vertu & des Pensées vertueuses : Tout le Bois
semble être destiné à la reception & au
bonheur de ceux qui ont suivi, pendant toute leur
vie, les lumieres de la Conscience, &, qui ont
obéi aux ordres des Dieux. Vous avez raison, me
dit-elle, & soyez persuadé que ce Lieu n’étoit
d’abord destiné que pour les Gens de bien : On n’y
en admit pas d’autres sous le régne de Saturne ;
il n’y avoit que des saints. Prêtres que eussent
droit d’y entrer ; ceux qui avoient délivré leur
Pays de l’opprèssion & de la tyrannie venoient
s’y reposer de leurs travaux ; & l’on n’y
voyoit que des Philosophes que l’étude &
l’amour de la Sagesse avoient rendus capables
d’une Conservation toute divine. Mais à present ce
Lieu n’est pas moins dangereux, qu’il étoit
autrefois à l’abri de tout péril : Le Vice a si
bien apris à imiter la Vertu, que souvent il y
entre sous ce masque. Voyez-là, tout droit, vis-à
vis de vous, la Vangeance, qui marche d’un pas
grave & lent, revêtue des Habits de l’Honneur.
Tournez les yeux un peu à côté de celle-ci, &
vous verrez l’Ambition, que se tient là debout
tout sente ; si vous lui demandez son Nom, elle
vous répondrea qu’elle est
l’Emulation ou la Gloire. Mais celle de toutes ces
indignes Créatures qui se glisse le plus souvent
ici, malgré nous, est l’Incontinence, qui occupe
aujourd’hui la place d’un Dieu, auquel ce Bucage
étoit autrefois entierement dévoué. L’Amour
vertueux, suivi de l’Hymen, & de toutes les
Graces qui l’accompagnent, a regné dans cet
heureux séjour, une foule de Vertus lui servoient
de Cortege, & il n’y avoit pas une seule
Pensée deshonnête qui osat prétendre à y être
admise. Oh ! que la Scène a bien changé de face,
& qu’elle est rarement renouvellée par le
petit nombre de ceux qui méprisent de la compagnie
d’un Dieu si chamant !
1Fameux Poëte Anglois, dont i lest parlé en divers endroits des Volumes précedens.