Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XLI. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\041 (1723), S. 247-257, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1430 [aufgerufen am: ].


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XLI. Discours

Zitat/Motto► Sed me Parnassi deserta per ardua dulcis
Raptat amor : juvat ire jugis, quâ nulla priorum
Castaliam molli divertitur orbita clivo.

Virg. Georg. III. 291.

L’Amour m’entraine jusqu’au sommet le plus élevé & le plu solitaire du Parnasse : Je me plais à m’y promener dans les lieux, où nos Ancêtres n’ont jamais été, & qui conduisent, par une douce pente, à la Fontaine Castalie. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mr. le Spectateur,

« Je me retirai l’autre foit un peu plus tard qu’à mon ordinaire, & je me trouvai si éveillé, que je pris Virgile pour me divertir, jusqu’à ce que je sentisse plus de disposition au sommeil. C’est l’Auteur que je choisis toûjours en pareil cas ; parce que, selon moi, il n’y en a point qui écrive d’une maniere si divine, si harmonieuse, ni si égale, qui calme l’Esprit & le dispose à une agréable mélancolie ; situation, que je préfete à toute autre, pour la cloture de la Journée.

[248] Je lûs ces beaux traits, qu’on voit dans ses Géorgiques, où il se déclare entierement dévoué au service des Muses, & si charmé de la Poësie, qu’il souhaitoit avec ardeur de se transporter dans les Bocages sombres & les douces retraites du Mont Hémus. Je fermai le Livre & je m’allai coucher. Ce que j’avois lû fit une si grande impression sur mon Esprit, qu’il me sembla de voir accomplir en ma Personne le souhait de Virgile, & que j’en eus le Rêve suivant.

Metatextualität► Fiction sur les difficultez qu’il y a de parvenir à la Vertu & d’exceller dans la Poesie. ◀Metatextualität

Ebene 4► Traum► Allegorie► Transporté tout d’un coup dans les Plaines de la Béotie, j’aperçus le Mont Parnasse à l’extremité de l’Horison. Il me parut d’une si vaste étendue, que je me serois fatigué long-tems à chercher un sentier qui y menât tout droit, si je n’avois vû, à quelque distance, un Bocage, qui me détermina d’abord à marcher de ce côté-là, quoi que dans la Plaine, où il étoit situé, il n’y eût rien d’assez remarquable pour fixer ma vûe. Lorsque j’y fus arrivé, je le trouvai partagé en une infinité de Promenades & d’Allées, qui s’élargissoient en divers endroits, où elles formoient de beaux Cercles ou de grandes Ovales, environnez d’Ifs & de Cyprès, entre lesquels on voïoit des Niches & des Grotes couvertes de Lierre. On n’y entendoit aucun autre bruit que celui d’un doux Zephir, qui remuoit un peu les feuilles des Arbres, & tout y paroissoit enseveli dans un profond silence. Je [249] fus charmé de la beauté de cette Solitude, & jamais de ma vie je n’avois pris tant de plaisir à être seul, & à m’entretenir de mes pensées. Dans cet heureux état, je me promenai d’un côté & d’autre, sans choix & sans dessein, jusqu’à ce qu’au bout d’une Allée d’Arbres, je vis trois Dames assises sur un Banc de gazon, avec un Ruisseau qui couloit à leurs pieds & qui formoit un doux murmure. Je les adorai comme les Divinitez tutelaires du Bois, & je m’arrêtai pour les examiner chacun en détail. Celle du milieu, qui se nommoit la Solitude, avoit les bras croisez l’un sur l’autre, & paroissoit plûtôt pensive & tout-à-fait recueillie en elle-même, que chagrine ou afligée. La Déesse du Silence, avec un doigt sur la bouché, étoit à sa droit, & la Contemplation, qui avoit les yeux tournez vers le Ciel, étoit à sa gauche. Devant celle-ci paroissoit un Globe céleste, sur lequel on voïoit plusieurs Théoremes de Mathématique. Elle me prévint avec la plus grande afabilité du monde : Ebene 5► Dialog► Ne craignez pas, me dit-elle ; je fais quelle est votre intention, sans que vous ouvriez la bouche ; vous souhaiteriez qu’on vous conduisît à la Montagne des Muses : C’est ici le seul chemin par lequel on y puisse aller, & il n’y a personne qui soit aussi souvent emploïé que moi, pour servir de Guide à ceux qui font ce voyage. ◀Dialog ◀Ebene 5 Apres avoir parlé de la sorte, elle se le-[250]va de sa place, & je m’abandonnai à sa conduite ; mais à mesure que nous traversions le Bois, je ne pûs m’empêcher de lui demander qui étoient ceux qu’on admettoit dans cette agréable Retraite. Ebene 5► Dialog► Assûrément, lui dis-je, il n’y a rien qui puisse entrer ici que la Vertu & des Pensées vertueuses : Tout le Bois semble être destiné à la reception & au bonheur de ceux qui ont suivi, pendant toute leur vie, les lumieres de la Conscience, &, qui ont obéi aux ordres des Dieux. Vous avez raison, me dit-elle, & soyez persuadé que ce Lieu n’étoit d’abord destiné que pour les Gens de bien : On n’y en admit pas d’autres sous le régne de Saturne ; il n’y avoit que des saints. Prêtres que eussent droit d’y entrer ; ceux qui avoient délivré leur Pays de l’opprèssion & de la tyrannie venoient s’y reposer de leurs travaux ; & l’on n’y voyoit que des Philosophes que l’étude & l’amour de la Sagesse avoient rendus capables d’une Conservation toute divine. Mais à present ce Lieu n’est pas moins dangereux, qu’il étoit autrefois à l’abri de tout péril : Le Vice a si bien apris à imiter la Vertu, que souvent il y entre sous ce masque. Voyez-là, tout droit, vis-à vis de vous, la Vangeance, qui marche d’un pas grave & lent, revêtue des Habits de lHonneur. Tournez les yeux un peu à côté de celle-ci, & vous verrez l’Ambition, que se tient là debout tout sente ; si vous lui demandez son Nom, elle vous répon- [251] drea qu’elle est l’Emulation ou la Gloire. Mais celle de toutes ces indignes Créatures qui se glisse le plus souvent ici, malgré nous, est l’Incontinence, qui occupe aujourd’hui la place d’un Dieu, auquel ce Bucage étoit autrefois entierement dévoué. LAmour vertueux, suivi de lHymen, & de toutes les Graces qui l’accompagnent, a regné dans cet heureux séjour, une foule de Vertus lui servoient de Cortege, & il n’y avoit pas une seule Pensée deshonnête qui osat prétendre à y être admise. Oh ! que la Scène a bien changé de face, & qu’elle est rarement renouvellée par le petit nombre de ceux qui méprisent de la compagnie d’un Dieu si chamant ! ◀Dialog ◀Ebene 5

La Déesse n’eut pas plûtôt achevé son discours, que nous arrivames à l’extrémité du Bois, où commençoit une Plaine qui se terminoit au pied de la Montagne. Je me tins ici plus que jamais auprès d’elle, parce que divers Phantômes me sollicitoient à les prendre pour Guides, & qu’ils s’ofroient de me conduire au Mont des Muses par un chemin plus court. La Vanité, qui avoit séduit une infinité de Personnes, que je vis roder çà & là au bas de la Montagne, m’importuna plus que tous les autres. Je me détournai, avec indignation, de cette Troupe méprisable, & j’avertis la Déesse qui m’escortoit, que j’avois quelque esperance de pouvoir monter une partie du [252] chemin ; mais que je craignois beaucoup de n’avoir pas assez de force pour ateindre jusqu’à la Plaine du sommet. Instruit de sa propre bouche, qu’il étoit impossible de se tenir sur les côtez, & que, si je n’avançois vers le haut, je tomberois infailliblement jusques au bas, sans en pouvoir revenir, je résolus de n’épargner ni travail ni fatigue pour vaincre tous les obstacles ; tant je souhaitois avec ardeur le plaisir que j’esperois goûter à la fin de mon entreprise.

Il y avoit deux Sentiers qui conduisoient au sommet de la Montagne, & dont l’un étoit gardé par le Génie qui préside sur le moment de notre naissance. D’ailleurs il avoit ordre d’examiner les diférentes prétentions de ceux qui vouloient passer par ce chemin-là, & de n’y admettre que ceux que Melpomene avoit regardé d’un œuil favorable lors qu’ils étoient venus au Monde. L’autre Chemin étoit gardé par la Diligence, à laquelle s’adressoient plusieurs de ceux que le Génie n’avoit pas daigné recevoir mais ; elle étoit si tente à leur accorder leur demande, & ils trouvoient ensuite le Chemin si pénible & si embarrassé, que plusieurs, après y avoit marché quelque tems, aimoient mieux retourner en arriere, que de continuer leur route ; & qu’il y en avoit fort peu qui tinssent bon jusques à la fin. Outre ces deux Sentiers, qui conduisoient chacun à part au sommet de la [253] Montagne, il y en avoit un troisiéme formé de ces deux-là, qui se joignoient à une petite distance de l’entrée. Celui-ci menoit tout droit au Trône d’Apollon le petit nombre de ceux qui avoient le bonheur de le découvrir. Je ne sai si j’aurois eu le front de me presenter à l’une ou l’autre de ces deux Portes, si je n’avois vû qu’un Homme, qui avoit l’air d’un Païsan, & qui étoit suivi d’une roule d’aimable Jeunesse de l’un & de l’autre Sexe, demandoit qu’on les admît tous sans exception. Sa vûe me fit souvenir de ce Païsan, dont on a mis la figure dans une Carte, & qui servit de Guide au Prince Eugene, lors qu’il passa les Alpes. Quoi qu’il en soit, il avoit quantité de Papiers à la main, & il en produisit plusieurs, qu’il dit tenir de si bonne part, y qu’il ne doutoit pas qu’Apollon ne les reçût comme d’excelens Passeports, entre lesquels j’en crus voir quelques-uns de mon écriture. Du reste toute la Bande y fut admise, & donna, par sa presence, un nouvel éclat & de nouveaux plaisirs à cet heureux séjour. D’ailleurs cet honnête Homme ne cherchoit pas à y entrer lui-même ; mais, comme une espece de Fotêtier dans les Plaines d’un Bois, il servoit à guider les Passagers, qui, par leur mérite personnel, ou les instructions qu’il leur procuroit, avoient les moïens de réussir dans ce pénible voïage. Après l’avoir exami-[254]né fort atentivement, je vous avouërai de bonne foi, mon cher Monsieur, qu’à son air obligeant & modeste, je le pris pour vous même. D’un autre côté, nous ne fumes pas plûtôt entrez, qu’on nous aspergea, par trois fois, d’eau de la Fontaine Aganippe, qui avoit la vertu de nous garantir contre toutes sortes de maux, à la réserve des traits de l’Envie, qui nous poursuivit jusques au bout de notre Course. Arriver au sommet de la Montagne, par le Sentier du milieu, nous aperçumes d’abord deux Figures, qui attirèrent toute mon atention : L’une étoit une jeune Nymphe dans la fleur de son âge & de sa beauté, qui avoit des aîles aux épaulés & aux pieds, & qui pouvoit se transporter, en un instant, jusques aux Climats les plus éloignez. Elle changeoit à toute heure d’Habits ; on la voïoit quelquefois mise de la maniere du monde la plus naturelle & la plus séante, & une autre fois elle paroissoit avec les Habits les plus extravagans &les plus ridicules qu’on se puisse imaginer. Il y avoit auprès d’elle un Homme d’un âge mûr & d’un air fort grave, qui corrigeoit ses bizarreries, qu’il lui montroit dans un Miroir, & qui ne cessoit de jetter ses ornemens afectez & malséans au bas de la Montagne, où ils étoient ramassez avec foin par les Habitans de la Plaine, qui se faisoient un honneur de s’en parer. Cette Nymphe étoit l’Imagination, Fille de la Liberté, [255] la plus belle de toutes les Nymphes des Montagnes. Son Conseiller étoit le Jugement, qui doit sa naissance au Tems, & qui est le seul Fils qu’il reconnoisse pour légitime. Au milieu d’eux, il y avoit un jeune Garçon, nommé l’Esprit, auquel ils ont donné le jour, & qui étoit assis sur un Trône composé des Ouvrages des Auteurs les plus célébres. Quoi que les Grecs & les Romains en fissent le plus grand nombre, je ne pûs que sentir une secrete joie de voir que nos Compatriotes dominoient sur tous les autres.

En état d’examiner à loisir cet agréable séjour, & plein d’une vigueur nouvelle, il me sembla que je voïois tous les Objets d’une maniere plus intime & plus satisfaisante, que je respirois un air plus épuré, que j’étois sous un Ciel toûjours serain, & que le Soleil y éclairoit sans aucune interruption. Les deux sommets de la Montagne, s’élevoient de part & d’autre, & formoient, au milieu d’une riante Vallée, le séjour des Muses, & de ceux qui avoient produit des Ouvrages dignes de l’immortalité. Apollon y étoit assis sur un Trône d’Or, couvert d’un vieux Laurier, qui étendoit ses branches & son ombre au dessus de sa tête. Son Carquois & son Arc étoient à ses pieds. Il tenoit sa Harpe à la main, pendant que les Muses, rangées autour de lui, célébroient, par des Hymnes, sa Vic-[256]toire sur le Serpent Python, & chantoient quelquefois les Amours de Leucothoé & de Daphnis. Après elles, Homer, Vergile & Milton avoient leurs places. Il y avoit ensuite une soule d’Auteurs, entre lesquels je fus bien surpris de voir quelques Lapons, qui, malgré la grossiereté de leurs Habits, y avoient été reçus en dernier lieu. Je vis Pindare se promener tout seul, sans que personne osat l’aborder, jusqu’à ce que 1 Cowley se joignit à lui ; mais fatigué à marcher sur ses traces, & presque mis hors d’haleine, il le quita pour suivre Horace & Anacréon, avec lesquels il me parut se plaire infiniment.

Un peu plus loin je vis un autre groupe d’Auteurs, vers lesquels je m’avançai, & je trouvai que c’étoit Socrate, qui dictoit à Xenophon & à l’Esprit de Platon ; mais le Poëte Musée avoit l’Auditoire le plus nombreux autour de lui. J‘étois trop éloigné pour entendre ce qu’il disoit, ou reconnoître le visage de ses Auditeurs, quoi qu’il me sembla d’y apercevoir Virgile, plein d’admiration à l’oüie de ses paroles harmonieuses.

Enfin, tout juste au bord du sommet, je vis Boccalini, qui expediot des [257] Lettres au bas de la Montagne pour instruire les Habitans de ce qui se passoit sur le Parnasse ; mais je m’aperçus qu’il les ecrivoit à la dérobée, sans l’aveu des Muses, & sans qu’Apollon les revit. Elevé à cette hauteur & environné d’un Ciel toûjours serain, je pouvois découvrir les inquiétudes & les peines infinies que les Hommes se donnoient en bas, pour se fraïer un chemin à travers les labyrinthes de la Vie. Le sentier de la Vertu me paroissoit vis-à-vis de chacun d’eux ; mais l’Intérêt, ou quelque Esprit malia venoit les en éloigner à tout moment. Ainsi je n’étois pas moins sensible à mots propre bonheur, que couché de compassion à la vûe de leurs embarras, dont ils n’avoient pas la force de se délivrer. ◀Allegorie ◀Traum ◀Ebene 4 Ce contraste, si opposé au calme que je goûtois, me fit éveiller en sursaut, & ne m’a laissé que l’esperance que le récit de mon Songe ne vous déplaira pas. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

T. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Fameux Poëte Anglois, dont i lest parlé en divers endroits des Volumes précedens.