Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXXVIII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\038 (1723), S. 229-234, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1427 [aufgerufen am: ].


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XXXVIII. Discours

Zitat/Motto► Quis non invenit, turbâ quod amaret in illa ?

Ovid. Art. Amat L. I. 175.

Qui est-ce qui, dans cette grande foule, n’a pas trouvé un Objet digne de son amour ? ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Lettre de Mr. Honeycomb sur le chapitre des Femmes ◀Metatextualität

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mon cher Spectateur,

« Puis que 1 ma derniere Lettre a été bien reçue du Public, j’ai dessein de [230] continuer ma Correspondance avec vous sur ces charmantes & maudites Créatures les Femmes. Vous savez que ma principale étude, qui ne va pas sort loin, les regarde : Je n’ai jamais jetté les yeux sur un Livre que pour l’amour d’elles. J’ai trouvé même en dernier lieu deux traits d’Histoire, qui sont admirables pour un Spectateur, & qui ne manqueront pas de plaire beaucoup, s’ils viennent à passer par vos mains. J’ai lû le premier par hazard dans un Livre Anglois intitulé Herodote, qui étoit sur une Fenêtre de mon Ami Feu-ardent, un matin que je lui rendis visite. Il s’ouvrit heureusement à l’endroit que je vais vous raporter. Il nous dit que c’étoit la mode en Perse d’y avoir, tous les ans, plusieurs Foires, où l’on exposoit en vente toutes les Filles qui étoient nubiles. Les Hommes qui avoient besoin de Femmes s’y rendoient : Chacune étoit cedée au plus haut Encherisseur, & l’argent qui provenoit de leur Vente s’emploïoit à l’usage que vous aprendrez dans la suite. De cette maniere les plus riches avoient le choix de tout, & enlevoient les plus grandes Beautez. Les autres se distribuoient entre les Pauvres, & ceux qui n’avoient pas les moïens de païer une belle. Plusieurs de ces derniers épousoient les Agréables, sans qu’il leur en coutât un sou ; à moins que quelqu’un ne s’avisat d’en ofrir quelque chose, & alors [231] celui qui en ofroit le plus l’emportoit. Mais il faut que vous sachiez, mon Ami, qu’en Perse, de même que chez nous, il y avoit autant de Laides que de Belles ou d’Agréables, & qu’ainsi, après que les Magistrats s’étoient défaits d’une bonne partie, il leur en restoit encore quantité sur les bras. Pour s’en débarasser, ils donnoient aux Laides l’argent qu’ils avoient reçu de la vente des Belles : de sorte qu’un pauvre Homme, qui n’avoit pas de quoi obtenir une Beauté, se voïoit réduit à épouser une Femme riche ; & notez, s’il vous plaît, qu’on accordoit toûjours la meilleure Dot à la plus Laide. Mon Auteur ajoute que tout Mari pauvre étoit obligé de bien vivre avec sa Femme, ou, en cas qu’il se repentit de son marché, de la rendre avec sa Dot à la Foire suivante.

Je souhaiterois à cette occasion que vous voulussiez établir en idée une pareille Foire dans la Grande Bretagne. Qu’il seroit divertissant de vous y voir associer des Dames de qualité avec des Porteurs de Chaise & des Savetiers, ou nous dépeindre des Seigneurs & des Cordons bleus ravis de conduire par la main en grande cérémonie des Filles de nos petits Marchands & de nos Fermiers ! Quoi qu’à vous dire le vrai, eu égard à l’amour des richesses, qui domine plus dans notre Isle qu’il ne régnoit en Perse, je craindrois beaucoup qu’il n’y eût quel-[232] ques-uns de nos Seigneurs les plus distinguez qui choisiroient les meilleurs Parties, & qui disputeroient entre eux à qui emporteroit la plus riche de toutes nos Laides ; & qu’au contraire nos Beautez les plus célébres ne fussent achetées par des Héritiers extravagans, des Joueurs, ou des Prodigues. Quelles jolies reflexions ne feriez-vous pas sur la bonne Politique des Persans, qui avoient soin, par ces Mariages, d’embellir les principaux de l’Etat, & de rendre les Personnes de ceux qui gouvernoient les plus agréables ? Mais vous êtes un Ecrivain si habile & si judicieux, que je vous en laisse l’exécution.

Le second trait d’Histoire que je vous ai promis, se trouve aussi dans un Livre. Il y est dit qu’un Général des Tartares, après avoir mis le siege devant une Ville forte de la Chine, & l’avoir emportée d’assaut, voulut exposer en vente toutes les Femmes qu’il y avoit. Dans cette vûe, il examina bien leur juste valeur, & les fit mettre chacune dans un Sac, avec le prix marqué dessus. Les Chalans s’y rendirent en soule de toutes parts, quoi qu’obligez d’acheter Chat en poche, comme dit le Proverbe. Il y en eut un, entre autres, qui amorcé par le haut prix d’un des Sacs le marchanda, l’obtint & l’emporta sur ses épaules. Arrivé sur un Pont, à moitié chemin de son Logis, il voulut se reposer & voir en même tems [233] sa belle aquisition : A l’ouverture du Sac une petite Vieille montra le nez, dont il eut un tel dépit, qu’il l’alloit jetter dans la Riviere. Mais la bonne Dame le suplia d’atendre au moins qu’elle l’eut instruit de sa Famille. Il aprit alors qu’elle étoit Sœur d’un grand Mandarin, qui ne manqueroit pas d’enrichir son Beau-frere, dès qu’il le connoitroit. Là-dessus il renferma son Sac, qu’il emporta chez lui, & il eut une excellente Femme, qui lui procura toutes les richesses qu’elle lui avoit fait esperer du côté de son Frere.

Traum► Si j’étois disposé à rêver une seconde fois, il me semble que sur ce Plan, je pourrois former un songe assez agréable. Je supose donc que toutes les Femmes & Filles, qui sont à marier dans Londres & Westminster sont mises dans des Sacs, avec l’étiquéte du prix sur chacun, & portées au Marché public. Le premier Sac vendu est évalué cinq mille Piéces : A son ouverture on y trouve une brave Ménagere, d’un air fort gracieux ; & l’Aquereur, charmé de ses bonnes quatilitez, la païe aussi-tôt avec le plus grand plaisir du monde. Le second Sac qu’on ouvre n’est taxé qu’à cinq cens Piéces, quoi qu’il renferme une Beauté celébre. On s’étonne de la voir réduite à un si bas prix ; mais l’on nous dit qu’elle auroit valu dix mille Piéces ; & que ce grand rabais vient de ce qu’elle est une Gron-[234]deuse impitoïable. Je trouverois ensuite quelque jolie Demoiselle, modeste & discrete, qui seroit la fleur de tout le Marché ; & peut être que je découvrirois une demi-douzaine de jeunes Folâtres, empaquetées ensemble dans le même Sac ; à cent Livres Sterlin chacune. La Prude & la Coquete seroient évaluées au même prix, quoi que la premiere fût de meilleur débit. ◀Traum Metatextualität► Je m’imagine qu’un Rêve de ce tour-là seroit de votre goût, parce que vous y trouveriez quelque Moralité, pour m’exprimer, avec vous, en Philosophe. Mais quelque idée que vous en puissiez avoir, dispensez-vous, s’il vous plaît, d’honorer cette Lettre de la même Apologie pédantesque, dont vous avez régalé ma précédente. ◀Metatextualität Les Femmes aiment un Homme vif & enjoué, & ne se choquent jamais des railleries qui leur viennent d’un de leurs Admirateurs de profession. Je les piquote toûjours & je suis toujours bien avec elles. Tout à vous.

Honeycomb. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2

O. ◀Ebene 1

1Voyez le XXXIII. Disc.