Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXXVI. Discours
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Livello 1
XXXVI. Discours
Citazione/Motto
Candida perpetuo
reside, Concordia, lecto ;
Tamque pari semper sit Venus æqua jugo.
Diligat illa sencem quondam : Sed & ipsa marito,
Tunc quoque cùm fuerit, non videatur anus.
Tamque pari semper sit Venus æqua jugo.
Diligat illa sencem quondam : Sed & ipsa marito,
Tunc quoque cùm fuerit, non videatur anus.
Mart. Lib. IV. Epig. XIII.
Que la douce Concorde regne toujours dont leur Lit nuptial ! Que la Déesse Venus soit toujours favorable à un si heureux Couple ! Que l’Epouse aime toujours son Mari, lors méme qu’il sera vieux, & qu’elle ne paroisse jamais vieille à son Epoux, lors même qu’elle sera fort avancée en âge !Metatestualità
Reflexions sur le
Mariage, avec le Portrait d’Eraste & de Lætitia, de
Blondine & de Pimpan.
Metatestualità
Reflexions sur le
Mariage, avec le Portrait d’Eraste & de Lætitia, de
Blondine & de Pimpan.
Livello 2
Metatestualità
L’Essai qui suit vient du même
Auteur, à qui le Public est redevable de quelques excellens
Discours, qui sont marquez au bas de la lettre X.
Livello 3
« J’ai lu quelque part une Fable
qui supose que le Bien est le Pere de l’Amour. Il est
certain qu’on doit être à l’abri de la crainte des besoins
& de la pauvreté, avant qu’on puisse rechercher toutes
les douceurs & tous les agrémens de cette Passion.
Malgré tout cela, nous voïons un nombre infini de gens
mariez qui n’y sont pas sensibles au milieu de
toute l’abondance où ils vivent. Pour rendre un Mariage
heureux, il ne sufit pas que les humeurs des Parties
intéressées quadrent ensemble : J’en pourrois alléguer cent
Couples, qui n’ont pas le moindre sentiment d’Amour l’un
pour l’autre, quoi qu’ils soient d’une humeur si
ressemblante, que, s’ils n’étoient pas déja matiez, tout le
monde les déstineroit à former cette union. L’esprit de
l’Amour a quelque chose de si fin & de si délicat, qu’il
se dissipe souvent & s’envole, par quelques petits
accidens, ausquels les Personnes négligentes & impolies
ne font jamais atention, jusqu’à ce qu’il n’y a plus moïen
de le recouvrer. Rien n’a plus contribué à le bannir de
l’êtat du Mariage, qu’une trop grande familiarité & la
violation des regles de la Bienséance. Quoi que j’en pûsse
donner des Exemples à divers égards, je ne m’arrêterai qu’à
celui de la Parure. Les beaux Messieurs & les Belles de
la Ville, qui ne s’ajustent que dans la vûe de s’atraper les
uns les autres, croient n’avoir plus besoin de cet apas, dès
que le succès a répondu à leur atente. Mais outre la
mal-propreté, qui n’est alors que trop commune, il y a
plusieurs autres défauts, que je ne me souviens pas d’avoir
vû relever que dans une de nos Comédies modernes, où, sur ce
qu’une Femme de Chambre Françoise veut se
deshabiller & s’habiller en présence de l’Amant, qui est
le Hero de la Pièce & sur ce qu’elle dit à sa Maitresse
que cela étoit fort ordinaire en France, la Dame lui répond
qu’elle n’a voit jamais entendu parler de cette Mode, &
qu’elle est une Angloise assez impolie, pour ne vouloir
jamais aprendre à s’habiller en présence de son Epoux. Il y
a quelque chose de grossier dans la conduite de certaines
Femmes, qu’elles perdent l’amitié de leurs Maris pour des
fautes, dont un Homme, qui est d’un bon naturel ou bien
élevé, ne sait comment les avertir. Je crains même que les
Dames ne soient en général plus coupables à cet égard que
les Hommes, & que, dans les premiers épanchemens de
leurs amours, elles ne trouvent un goût si doux & si
agréable, qu’elles s’imaginent enfin qu’il est presque
impossible de s’en lasser. Il faut tant de délicatesse &
de prudence pour entretenir l’amitié après le Mariage, &
pour rendre la conversation toujours vive & agréable au
bout de vingt ou de trente ans, que je ne vois rien qui
puisse mieux y contribuer, qu’un serieux éfort de se plaire
l’un à l’autre, & qu’un bon sens superieur de la part du
Mari. J’apelle ici un Homme de bon sens celui qui entend les
affaires du Monde & qui a quelque étude. Une Femme régle
beaucoup l’estime qu’elle a pour un Homme sur
la figure qu’il fait dans le Monde, & sur le Caractére
qu’on lui donne entre ses Amis. Puis que le Savoir est le
principal avantage que nous aïons sur les Femmes, il me
semble qu’un Homme riche est aussi inexcusable de n’avoir
point étudié, qu’une Femme qui ne sait pas de quelle maniere
elle doit se comporter dans les occasions les plus
ordinaires de la vie. C’est ce qui éloigne les deux Sexes
l’un de l’autre : une Femme est chagrine & surprise de
ne trouver rien de plus dans la conversation d’un Homme que
dans le commun babil de son propre Sexe. Quelque petit
engagement au moins dans les affaires sert non seulement à
mettre les talens d’un Homme dans tout leur jour, & à
lui prescrire un Rôle, dont une Femme ne peut guère bien se
mêler ; mais il lui fournit de fréquentes occasions pour ces
petites absences, qui, malgré toute l’inquiétude apparente
qu’elles peuvent causer, sont au bout du compte quelques-uns
des meilleurs remedes qu’il y ait pour entretenir l’Amitié
& le Désir. Les Femmes sont si bien convaincues qu’elles
n’ont rien qui mérite de leur attacher l’Homme tout entier,
& de les rendre l’unique objet de ses travaux, qu’elles
méprisent souverainement celui qui, pour me servir de leur
expression favorite, est toûjours pendu à leur ceinture. De là vient non
seulement qu’elle a de jour en jour plus de tendresse pour
lui, mais qu’elle est infiniment plus contente d’elle-même.
Dans tout ce qu’elle dit ou observe, Je
visite quelquefois cet heureux Couple, & je me trouvai
chez eux la semaine derniere. Nous nous promenames dans la
Galerie aux Peintures, avant dîner ; & ce fut alors
qu’Eraste m’adressa le discours en ces termes :
Je tournai d’abord les yeux vers Lætitia, & je vis la
joie éclater sur son visage, pendant qu’elle jetta, sur
Eraste, un regard le plus tendre & le plus animé que
j’aie vû de ma vie. Blondine a épousé Pimpan ; elle n’a pû
résister à son Juste-au-corps-chamarré & à son
magnifique Nœud d’Epée, mais elle a la
mortification de le voir méprisé de tous ceux qui ont
quelque mérite. Pimpan n’a pas autre chose à faire après
diner, qu’à résoudre s’il rognera ses Ongles au Caffe de St.
James, à celui de White, ou chez lui. Depuis son mariage, il
n’y a rien dit à Blondine, qu’elle ne pût avoir apris aussi
bien de sa Femme de Chambre. Avec tout cela il a grand soin
de maintenir l’insolente & maligne Autorité d’un Epoux.
Quoi que ce soit qu’elle avance, il ne manque jamais de le
contredire, de la regaler d’un Serment, par voie de Préface,
& d’ajouter d’abord, Il faut avouer, ma Chere, que vous
parlez le plus sotement du monde. Blondine avoit
naturellement le cœur aussi disposé à la tendresse
conjugale, que le peut-être celui de Lætitia ; mais, comme
il n’y a guére plus d’Amitié, après qu’on a perdu l’Estime,
on auroit de la peine à décider aujourd’hui, si l’infortunée
Blondine hait ou méprise plus ce Fat, avec lequel elle est
obligée de passer le reste de ses jours. »
Eteroritratto
1Lætitia est jolie, modeste, pleine
de tendresse, & ne manque pas de bon sens ; elle est
mariée à 2Eraste, qui est dans un Emploi civil,
& qui a du goût pour les belles Lettres. Dans toutes
les Maisons qu’elle fréquente elle a le plaisir
d’entendre louer quelque action, généreuse de son Epoux,
ou quelque bon Mot qu’il a dit. Depuis leur mariage,
Eraste se met d’une maniere plus galante qu’il ne
faisoit auparavant ; & dans toutes les Visites où il
se trouve avec Lætitia, il n’a pas moins de complaisance
pour elle que pour toutes les autres Dames. Je l’ai vû
relever son Eventail, qu’elle avoit laissé tomber, avec
toute l’ardeur & la civilité d’un Amant. Lors qu’ils
vont prendre l’air ensemble, il ne pense qu’à cultiver
les talens de son Epouse, &, à la faveur d’un tour
d’esprit, qui lui est particulier, il sait entrevoir
bien des choses, donc elle n’avoit aucune idée. Ravie de
cette nouvelle Scène qui se dévelope à ses yeux, Lætitia
ne se plaît qu’à la compagnie de cet Homme qui lui donne
de si agréables instructions.
Eteroritratto
Eraste trouve une certaine justesse ou une
certaine beauté, donc elle ne s’étoit
pas aperçue : de sorte que, par son moïen, elle découvre
en elle-même cent bonnes qualitez, qu’elle n’a voit
jamais cru posseder. Il est d’ailleurs d’une
complaisance la plus ingénieuse du monde, &, par des
insinuations fort éloignées, il a le secret de lui faire
dire presque tout ce qu’il veut, qu’il reçoit toujours
comme si cela venoit d’elle-même, & dont il lui
attribue tout l’honneur. Eraste a un goût exquis pour la
Peinture & il mena l’autre jour son Epouse voir des
Tableaux qui dévoient se vendre en public.
Livello 4
J’ai emploïé depuis peu, me
dit-il, quelque argent à de nouvelles aquisitions :
Voyez-vous cette Piéce de Venus & d’Adonis, je l’ai
achetée sur le goût de Lætitia ; elle m’a coûté soixante
Guinées, & ce matin l’on m’en a ofert cent.