Le Spectateur ou le Socrate moderne: XXIX. Discours
Permalink: https://gams.uni-graz.at/o:mws.2446
Nivel 1
XXIX. Discours
Cita/Lema
Ægritudinem laudare,
unam rem maxime destabilem, quorum est tandem
Phisophorum ?
Cic.Tulcul. Quæst. l. iv. c. 25.
Quels sont donc ces Philosophes qui louent la Tristesse & le Chagrin, une des choses les plus détestables qu’il y ait au monde ?Metatextualidad
La Tristesse & la
Chagrin ne sont pas l’essence de la Pieté qui inspire
toujours la bonne Humeur.
Metatextualidad
La Tristesse & la
Chagrin ne sont pas l’essence de la Pieté qui inspire
toujours la bonne Humeur.
Nivel 2
Il y a un Siécle ou environ que tous
ceux qui vouloient passer pour religieux en Angleterre, & suivre la Mode qui étoit alors en vogue,
devoient affecter un air aussi dévot qu’il étoit possible, &
abstenir de toutes les apparences de joie & de plaisanterie,
qu’on regardoit comme une marque certaine de réprobation &
d’un Esprit charnel. L’Homme saint, attaqué d’ordinaire du mal
de Rate & d’une profonde mélancolie, avoit l’air triste
& abatu.
Quoi que ce dehors afecté d’une Dévotion extraordinaire
soit presque banni de chez nous, il y a bien des Gens, qui, par
une tristesse naturelle, de faussés idées qu’ils ont de la
Pieté, ou la foiblesse de leur Esprit, se plaisent à mener une
vie desagréable, & s’abandonnent au Chagrin & à la Melancolie. Des craintes supersticieuses & des
scrupules mal fondez les privent des plaisirs de la
Conversation, & de tous les agrémens de la Societé qui ne
sont pas moins innocens que dignes de recherche ; comme si la
Joie n’etoit que pour les réprouvez, & que la Gaieté de
l’Esprit dût être interdite à ceux-là seuls qui y ont le plus de
droit. D’ailleurs je ne voudrois pas
taxer d’Hypocrisie les Personnes de ce Caractere, comme on le
fait trop souvent, puis qu’il faudrait connoître les secrets des
cœurs pour attribuer ce Vice à un autre, s’il n’y en a des
preuves qui reviennent à une Démonstration. D’un autre côté,
l’on voit tant de Personnes d’un mérite distingué entraînées par
une longue habitude à s’afliger de cette maniere, qu’elles sont
plûtôt dignes de compassion que de nos reproches. Je
souhaiterois, avec tout cela, qu’elles voulussent bien examiner,
si une telle conduite n’éloigne pas les Hommes d’une Vie sainte
& religieuse, puis qu’ils se la representent alors comme un
état peu sociable, qui étoufe la Joie & le Plaisir, qui
obscurcit toute la face de la Nature, & qui leur ôte même le
goût de leur propre Existence. J’ai déja fait voir2, dans quelques-uns de mes
Discours que la Pieté contribue beaucoup à la bonne Humeur,
& que cette disposition d’Esprit, dans une Personne
vertueuse, est non seulement la plus aimable, mais la plus digne
de nos Eloges.
Si nous en croïons nos
Logiciens, l’Homme est distingué de tout les autres Animaux par
la faculté qu’il a de rire. Son Esprit est capable de joie,
& il y est naturellement disposé. La Vertu ne doit pas être
emploïée à extirper les Afections de l’Esprit, mais à les
régler. Elle peut moderer & restraindre la joie, mais elle
n’a pas été destinée à la bannir du cœur de l’Homme. La Piété
rétrécit le Cercle de nos Plaisirs ; mais elle y soufre assez
d’étendue pour s’y égaïer, pour y être au large & à son
aise. La contemplation de l’Etre suprême & la pratique des
Vertus Chrétiennes tendent si peu à bannir la Joie du cœur,
qu’elles en sont les sources intarissables. En un mot, une Piété
solide réjouït & tranquilise l’Ame : il est vrai qu’elle exclut toute sorte de conduite legere, toute
sorte de joie vicieuse & déréglée ; mais en échange elle
produit une sérénité continuelle, un enjouement qui n’est jamais
interrompu, un desir habituel de plaire à tout le monde, &
une satisfaction que rien ne peut nous ravir.
Relato general
Retrato ajeno
1Un de nos plus habiles
Ecrivains, qui a été un des plus beaux Ornemens du Monde
savant, m’a diverti plus d’une fois par le récit d’une
avanture qui lui étoit arrivée dans sa jeunesse. Sorti
tout fraichement de l’Ecole, farci de Grec & de
Latin, il se voïoit en état d’aller étudier à
l’Université. Ses Parens même jugerent à propos qu’il y
allât tenter fortune à une Election qui devoit se faire
dans un College, dont un fameux Ministre Indépendant
étoit le Chef. Il se rendit ainsi auprès de ce Docteur,
pour en être examiné, suivant la coûtume. Il fut reçu à
la Porte par un Valet, fidèle Disciple de cette sombre
Génération alors à la Mode, qui le conduisit, avec un
grand silence & un air fort serieux, à travers une
longue Galerie obscurcie en plein midi, & qui
n’étoit éclairée que d’une simple Chandelle. Après une
courte station dans cet endroit lugubre, il fut mené
dans une Chambre tendue de noir, où il s’entretint
quelque tems de es propres pensées à la
clarté d’une Bougie, jusqu’à ce qu’enfin le Principal,
sorti d’une Chambre intérieure, parut avec une
demi-douzaine de Bonnets de nuit sur la tête, & une
sainte horreur sur le visage. Frapé de ce spectacle, le
jeune Homme trempla depuis la tête jusqu’aux piez ; mais
sa crainte fut bien redoublée, lors qu’au lieu de
s’entendre interroger sur les Humanitez, il se vit
examiné sur le progrès qu’il avoit fait dans la Grace.
Son Latin & son Grec ne lui servoient de rien, il
faloit qu’il rendît compte de l’état de son Ame, à
quelle occasion il s’étoit converti ; dans quel jour du
Mois & à quelle heure du jour cela croit arrivé ; de
quelle maniere il avoit poussé cet Ouvrage, & en
quel tems il l’avoit consommé ? Tout l’Examen fut
récapitulé & se réduisit à cette seule Question,
savoir, S’il étoit bien préparé pour mourir ? Elevé chez
des Parens sensez, qui lui avoient donné d’autres
Principes, il fut & éfraïé à la vue de cette
solemnité, & sur tout à l’ouïe de la derniere
demande, qu’après être sorti de cette Maison de deuil,
ou ne pût jamais l’engager à subir un second Examen,
incapable d’en essuïer les terreurs.
Retrato ajeno
Sombrieu est un de ces
Misanthropes. Il se croit obligé en conscience d’être pâle,
triste & mélancolique. Il s’imagine qu’un subit éclat de
rire est une violation du Vœu fait à son Batême. Une
Raillerie innocente l’émeut autant qu’un Blasphême.
Parlez-lui d’un Homme qui vient d’obtenir quelque Titre
d’honeur, il leve les mains & les yeux au Ciel ; si vous
lui décrivez une Cérémonie publique, il secoue la tête ; si
vous lui montrez un Equipage leste, il se félicite de ce
qu’il n’en a point. Tous les petits ornemens de la Vie ne
sont que Pompe & que Vanité. La Joie est une Folie &
les traits d’Esprit tendent à la Profanation. Il se
scandalise de ce que la Jeunesse est pleine d’ardeur, &
de ce que les Enfans aiment le badinage. Il asiste au Festin
d’un Batême, ou à des Nôces, comme à la Cérémonie d’un
Enterrement ; il soupire à la fin d’un Conte agréable, &
la dévotion le faisit lors que le reste de la Compagnie est
en train de s’égaïer. Après tout, Sombrieu a de la pieté,
& sa conduite n’auroit pas été mal-séante, s’il eût vécu durant les grandes Persécutions de
l’Eglise Chrétienne.
Ejemplo
En un mot, ceux qui
nous donnent de la Pieté une idée si triste & si
mélancolique ressemblent aux Espions que Moïse envoïa pour
découvrir la Terre de promission, & qui, par leur
mauvais raport, découragerent le Peuple d’y
entrer. Mais ceux qui nous font voir la Joie, la Gaieté
& la bonne Humeur, qui naissent de cet heureux état,
ressemblent aux Espions qui raporterent des Grapes de Raisin
& des Fruits délicieux, pour animer le Peuple à la
conquête du charmant Païs qui les produisoit.
Ejemplo
Un célébre Auteur Païen a écrit un
Discours pour montrer que l’Athée, qui nie l’existence d’un
Dieu, le deshonore moins que celui qui, après avoir admis
son existence, le supose cruel, difficile à plaire, &
terrible aux Homme. Pour moi, ajoute-t-il, j’aimerois mieux
qu’on dit à mon égard, que Plutarque n’a jamais été, que si
l’on disoit que Plutarque étoit d’un mauvais naturel,
capricieux ou inhumain.